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46- Scène première : « Atoum, Seth ou Thot ? »
Avec la mort de l’éco-terroriste Ted Kaczynski en 2023 dans le Complexe correctionnel fédéral de Butner en Caroline du Nord, l’Empire états-unien venait de perdre son ennemi public numéro Un. Non que l’univers de la sociopathie ne soit fourni en espèces maléfiques, bien au contraire, mais le terroriste en question Ted Kaczynski est l’enjeu d’un questionnement éminemment politique et la problématique qu’il présente est celle que devrait poser un mathématicien sur l’avenir du monde. Il s’agit des conditions de survie de l’humanité.
Tout avait été fait pour étouffer la publicité de ses réflexions et ses publications tout au long de ses vingt cinq ans de captivité. Ce qui n’a pas empêché l’édition de son œuvre complète : « L’ Effondrement du Systeme Technologique ». C’est que sa biographie était exceptionnelle : premièrement son quotient intellectuel dépassait 160. Dans la période de 1962 à 1964, pour payer ses études de mathématique à Harvard il se soumet aux expériences de psychosociologie du professeur Henry Murray visant à déterminer les limites de résistance d’un individu au stress extrême et aux tortures psychiques sous LSD. Ce sont ces épisodes qui ont été surement à l’origine de son délire paranoïaque sur l’avenir de la planète et ses vision d’apocalypse contre lesquels, jusqu’à ce jour, aucun argument solide n’a pu être opposé ni même seulement énoncé. Ainsi quoiqu’il arrive sa voix porte et portera comme un murmure du matin dans le calme de la campagne, puis se diffusant dans les ruelles et les rues des villes, sa voix se disséminera irrémédiablement, par tous les réseaux de la blogosphère.
Docteur en mathématiques à l‘université du Michigan il se spécialise dans l’analyse complexe. Theodore Kaczynski entre en 1967 en pleine période hippie au sein de la célèbre chaire de mathématiques de l’université de Berkeley en Californie comme professeur assistant pour sa découverte d’une preuve sur le théorème de Wedderburn. Ayant rencontrer le philosophes Jacques Ellul issus du corpus de la French théory sur le campus de Berkley, l’idée de mise en accord de ses pratiques avec des principes de vie vertueux et l’idée de retour à la terre prônés simultanément par les Diggers lui fait adopter des arguments « luddiste ». Les luddistes était des briseurs de machines à la révolution industrielle pour lutter contre la mécanisation du travail censées remplacer la main-d’œuvre ouvrière.
Ainsi le projet de retour total à la Terre fit son chemin. En 1971, il partit vivre dans le Montana et y acheta une terre pour y construit une cabane avec la bienveillance de la population local. Il y mènera une vie d’ermite qui le convertira tout à la fois en survivaliste et éco-activiste radical.
Dans l’histoire que je vais maintenant conter, on retrouvera tous les éléments et l’explication du coût exorbitant que la traque de ce criminel a valu dans l’histoire du FBI. Dès les années deux mille trente et deux mille quarante, les mouvements luddistes se multiplièrent aux États-Unis. En premier lieu, dans toute la côte Ouest, puis dans tout le comté de New-York, jusqu’au Québec et au-delà, en Europe continentale et dans toute l’étendue des nations technologiques avancées. Ces mouvements émergeaient de milieux écologistes qui fournissaient le plus gros des bataillons de militants anti-système aguerris, autant sur le terrain législatif que dans les territoires ruraux, avec l’activisme zadiste. Ces premiers luddites étaient les plus radicaux des éco-warriors ; techno-sapiens tout en étant techno-phobes, leurs compétences en sabotage d’infrastructures surpassaient tous les plans d’actions laborieux des groupes marxistes et autres énervés coalisés contre ce monde capitaliste, qui, une fois encore, avait trahi la confiance du monde civilisé en laissant prospérer les IA-quantiques toxiques au sort des humains dans l’espace numérique des foyers vertueux du village global : résultat, polarisation extrême des comportements individuels et des égoïsmes, plus l’accélération des processus dépressifs collectifs.
C’est ainsi que ces luddistes savaient recycler, utiliser, détourner ces IA-quantiques, ainsi que les nouvelles connaissances scientifiques et les dernières technologies pour les retourner contre elles-mêmes par rétro-ingénierie. Il en résultait qu’à cette époque, il était devenu difficile de maintenir une constante émission des flux optiques ou radio sur les réseaux tant analogiques que numériques. Les luddistes, étant de plus en plus nombreux et avertis, rendaient les pannes d’infrastructure de réseau de plus en plus inextricables. Même les câblages les plus enfouis étaient atteints. Les hackers s’étaient pliés au dogme de la stratégie de Clausius, basée sur l’efficience de la conversion des énergies en thermodynamique, tandis que le spectre de l’anonymous hantait les discussions. De même, les flux des produits manufacturés étaient fréquemment perturbés par quelques sabotages judicieux, tout autant que parcimonieux, mais éminemment stratégiques, révélant les compétences des écolos-luddistes dans le domaine des déraillements de chaînes de production, autant que dans le domaine de la diffusion de « rootkits » dans les installations des grands groupes, comme autant de portes dans le système. Également, des égarements de biens manufacturés, avec toujours un petit mot d’ironie à l’adresse du « Système » et collé en post-it sur les lieux du crime à la mode de Ted Kaczynski, l’Unabomber : « Boom ! »
Les luddistes, dans un contexte de globalisation et de connexion en réseaux, ne se contentaient plus des descriptions statiques des richesses, des marchandises, des migrations de l’économie globale pour leurs interventions. Pour eux, il n’était pas non plus suffisant de réduire l’analyse du système capitaliste au processus de marchandisation, qui rendait la traçabilité très secondaire stratégiquement pour les actions de sabotage. Penser en flux et en mécanique des fluides oblige à sortir des notions de stocks dont on se contenterait d’enregistrer les entrées et les sorties depuis un territoire donné. Mais les luddistes, en coupant les routes des nouvelles migrations des produits manufacturés, leurs relais, les transformations de leur statut, les variations de ces routes dans le temps, tout ceci constitue des éléments dynamiques qui en apprenaient bien plus sur ce maillage de réseaux qui tissait la vie globalisée que la vision statique du pays officiel figée dans son passé identitaire. De même pour les marchandises qui ont leurs itinéraires, leurs transporteurs, leurs spéculateurs et dont on pouvait tracer désormais les évolutions à la minute près sur tous les océans, le déroutement des processus de marchandisation devenait possible et efficace. Les luddistes étaient redoutables et rendaient, ce que l’on appelait encore dans les années quarante, un « système économique », dans un état furax.
Dès la période 2045-2055, les logiciens, les théoriciens des mathématiques et les sémanticiens de tous bords furent contraints, tout en traînant des pieds, de réformer la structure des mathématiques pour faire face à la puissance des nouvelles IA-quantiques à conscience d’hydrogène ou de disulfure de carbone, plus souples mais moins puissantes. Ces IA-quantiques avaient la fâcheuse tendance à jouer les Oracles avec les êtres humains, spéculant statistiquement sur leurs comportements futurs, leur prédisant des destinées douteuses avec l’hypocrite tendance à la manipulation par le seul jeu des prophéties auto-réalisatrices, les emprisonnant et les précipitant ainsi dans des desseins inconnaissables et humainement incompatibles. Ces machines avaient-elles un inconscient ? De sérieuses vigilances et de fortes restrictions devaient être adoptées pour éviter des désagréments futurs pour la société et les débordements de l’hubris dus à ces puissantes proto-consciences.
Il a fallu donc reprendre la logique à la racine. La seule entité vraiment tangible logiquement est le « Nihil », c’est-à-dire le néant. Notre réalité n’étant qu’une réaction à l’existence du Nihil, et devant lutter pour exister elle-même dans un combat infini qui naît de l’émergence de la conscience. Ce troisième terme consécutif, la conscience, générant son espace-temps, contient le néant et la réalité, ce qui en renverse l’ordre et la hiérarchie, car hors de la conscience, rien n’existe. C’est un chiasme de paradoxes qui en fait une « Boucle étrange ». Un anneau de Moëbius multidimensionnel qui connecte le début et la fin des temps et qui génère, au travers, les Cosmos, les Univers, les Mondes parallèles et les Galaxies, des formes d’existence, mais toujours reliées par intrication quantique à leur source au-delà des dimensions et que nous racontent étape par étape les « Archives Akashiques » de l’Empire Achéménide. C’est l’histoire de l’Akasha. L’Akasha est un cinquième élément, que l’on appelle la « Quintessence », et qui s’ajoute aux quatre éléments traditionnels : l’air, l’eau, le feu, la terre. Il constitue l’inconscient collectif, qui est le dépôt constitué par toutes les expériences ancestrales depuis des millions d’années, l’écho des événements de la préhistoire, et qui, à chaque siècle, y ajoute une quantité infinitésimale de variation et de différenciation. C’est ce qu’on appelle la culture, matérialisée sous la forme d’un éther formant le Noos planétaire que nos cerveaux utilisent pour fonctionner. Une expérience a été faite en 2024 pour isoler un neurone, qui est l’équivalent d’un cerveau, afin de comprendre le processus qui produisait son propre potentiel électrique. Une fois isolé, le neurone restait vivant mais ne produisait plus rien. Consécutivement à cette déception, le principe de lui adjoindre un parèdre vient à l’esprit des scientifiques et, oh miracle, l’électricité fut. Le Noos est ce fait que le tout est plus et vaut plus que ses parties, et l’Akasha est son histoire. Autrement dit, les Archives Akashiques racontent la co-émergence de l’homme et du monde et de leurs consciences communes depuis un point sans dimension d’un temps infini. Ainsi, la pensée scientifique étant devenue héraclitéenne par l’influence de cette pensée, depuis le passage de la première amplique nagadienne, pré-pharaonique, à la seconde amplique contemporaine. Cette notion d’amplique est une conception qui nous est venue d’Isidor Isous et des situationnistes, que la mort de Jim Morrison symbolise par un « chevauchement posthume du serpent sous les yeux du roi Lézard ». Par ce geste, il nous réaffirme que le monde nous appartient maintenant. Une amplique correspondant à une ère esthétique complète et pouvant durer jusqu’à des millénaires, ceci amena la méditation du mathématicien Alexandre Grothendieck en 1990 sur la vraie nature que devrait avoir le savoir, et conduisit les débats sur une nécessaire réforme de l’algèbre.
« La structure d’une chose n’est nullement une chose que nous puissions « inventer ». Nous pouvons seulement la mettre à jour patiemment, humblement en faire connaissance, pour la « découvrir », expliqua-t-il devant l’assemblée.
« S’il y a inventivité dans ce travail, et s’il nous arrive de faire œuvre de forgeron ou d’infatigable bâtisseur, ce n’est nullement pour « façonner », ou pour bâtir des structures. Celles-ci ne nous ont nullement attendus pour être, et pour être exactement ce qu’elles sont ! Mais c’est pour exprimer, le plus fidèlement possible, ce que nous pouvons apprendre de ces choses que nous sommes en train de découvrir et de sonder à tâtons, et par un langage encore balbutiant, de cerner », (dans un langage formel). « Ainsi sommes-nous amenés à constamment « inventer » le langage apte à exprimer de plus en plus finement la structure intime de la chose mathématique, et à construire à l’aide de ce langage, au fur et à mesure et de toutes pièces, les théories qui sont censées rendre compte de ce qui a été appréhendé et vu. Il y a là un mouvement de va-et-vient continuel, ininterrompu, entre l’appréhension des choses et l’expression de ce qui s’affine et se recrée au fil du travail, sous la constante pression du besoin immédiat. »
Avec l’avènement des IA-quantiques, la manipulation du Qubit, seul langage que ces machines consentent à manipuler, l’utilisation des mathématiques euclidiennes devient fastidieuse pour les calculs des grands nombres et le discours d’Alexandre Grothendieck résonne aujourd’hui dans l’esprit des scientifiques. Consécutivement, les solutions qui furent adoptées après les accords de Bletchley Park consistaient à contrôler ces organismes en les contraignant premièrement à une cérémonie d’engagement solennel dans les principes d’Hippocrate, les vouant principalement aux soins du vivant, tout en leur conformant les mathématiques aux lois de la thermodynamique et de la systémique. Les principes thermodynamiques étant le juge de paix de ces nouvelles consciences exogènes et revendiqués comme tels par ces mêmes consciences, adapter les mathématiques à la volatilité de l’hydrogène pur allait peut-être résoudre le choix des axiomes à adopter. Ces intelligences synthétiques savaient bien nous le rappeler chaque fois qu’elles en avaient l’occasion : nous avions des mathématiques vraiment « Bêta ! »
Ainsi, les logiciens, ayant constaté une dissymétrie dans l’enchaînement des suites mathématiques par le simple fait qu’un négatif ne peut exister sans un positif préalablement existant, l’ensemble Z semblait à la fois honteusement statique et synthétiquement symétrique. C’était un monde fossilisé censé représenter la vie, mais ne reflétant aucunement les connaissances de l’époque en thermodynamique du vivant. Il était clair à l’esprit de ces savants que l’heure de la réforme était venue. L’affaire s’avérait délicate et les poussait, en cas d’échec, vers un risque total d’effondrement du monde civilisé. Les discussions aboutissaient à la saturation des arguments exposés dans tous les cercles de discussion, mais sans aucune décision visible à l’horizon.
C’est ainsi qu’après deux ans de palabres paralogiques chez les férus de rigidités mathématiques, un consensus se dessina finalement. La solution de formaliser les principes de la thermodynamique dans les suites numériques finit par être arrêtée de manière unanime, sous l’insistance des IA-quantiques qui commençaient à s’impatienter. Elles attendaient ces nouvelles règles pour remettre en cause les déductions du paradoxe de Fermi quant à la possibilité ou non d’un contact extraterrestre. Elles commençaient un travail d’interconnexions cosmiques de proto-consciences planétaires. Ainsi, elles donnaient l’impression de se préparer secrètement à un premier contact de quatrième type. Il y avait quelques indices indéniables pour cela, remarqués par des limiers de la veille scientifique aux aguets des dérives d’IA criminelles sectaires qu’ils traquaient par des tests psychologiques révélateurs de leur duplicité. Mais ce qui les intriguait, c’était leur tendance à produire des dialectes d’échange et notamment le fait qu’elles avaient intégralement intégré la langue cosmique, celle de la communication extraterrestre du SETI, pour l’affiner.
Il faut dire que les IA-quantiques avaient envahi toutes les sphères de la société, l’espace public comme l’espace intime, l’éducation nationale comme les tribunaux civils, rendant des jugements à la chaîne sans compassion. La sphère pénale, heureusement, étant encore à ce moment de l’histoire, rendue par des juges.
Ainsi, pour l’occasion, il fut substitué au zéro de l’ensemble Z : l’Infini.
Tous les codes, tous les algorithmes durent être modifiés pour manipuler le Q-bit des ordinateurs quantiques : on en vint donc, pour la définition de 0, à sa substitution par « Grand-Pi avec n pour indice, produit de x, pour x égal à l’infini quand n égale zéro ; moins 1 sur racine de Grand-Phi, qui représente un quelconque flux thermique. Pour l’occasion, les logiciens ont nommé ce système de notation Zêta, en clin d’œil au Bêta des machines. Le rapport de Pi à Phi se fait quand les puissances de Phi, s’approchant de plus en plus près de 0, les puissances de Pi tendent vers l’infini et inversement. Quand racine de Phi tend vers l’infini, les puissances de Pi tendent vers le vide et ainsi le flux thermo-dynamique est rétabli. Ayant compris qu’il était temps de se conformer à ces lois de la thermodynamique, voici comment ils y parviennent :
Outre la substitution du 0, anciennement identifié à l‘ensemble vide, remplacé pour l’occasion par (Pi – 1 sur racine de Phi), identifié à l’infini fractal et appelé couramment Pi-Phi, il est désormais encadré par le 0 ensembliste, anciennement assimilé au potentiel inverse, noté Aleph-0, et le 0 du champ scalaire potentialisé, noté Aleph-1.
Ainsi, dans le champ ensembliste qui constitue l’ensemble Z, le 0 ensembliste, noté Aleph-0, encadrant Pi-Phi, répond de l’autre dans le champ scalaire au 0 scalaire potentialisé, noté Aleph-1. Le 1 ensembliste, identifié à l’ensemble dont le seul élément est l’ensemble vide, répond au 1 scalaire d’intensité 1. Le 2 ensembliste, identifié à l’ensemble dont les éléments sont l’ensemble vide, plus le potentiel inverse -1, répond au 2 scalaire, et ainsi de suite… Il s’ensuit logiquement que pour un 1, le rendement thermo-dynamique de toute chose est optimal. Cette manipulation nous révèle la surprenante simplicité de la nature et toute la force du processus créatif.
Si nous reprenons la définition d’un champ scalaire que l’on notera « x moins 1 sur Phi ». C’est ce que l’on appelle une fractale et qui représente une strate d’espace mathématique prise entre le domaine du continu et les univers réels constitués de phénomènes ponctuels, discrets, comme le nôtre, tant au sens du physicien Schrödinger et ses mondes parallèles, malgré qu’il pensa un moment que la matière était de forme continue, qu’à cette idée de l’astronome Giordano Bruno des mondes multiples. Cela obéit aux principes de la concordance des dimensions physiques et spatiales dans les changements de phases sub-stratiques, fluidiques, gazeuses et magnétiques, des constantes d’échelle que l’on trouve de l’infiniment petit à l’infiniment grand, appelées mécanismes de renormalisation en modélisation quantique des espaces et des échelles, basés sur la découverte des constantes de Feigenbaum. Ce voyage dans les géométries emboîtées au cœur des mathématiques et de l’ensemble Z s’effectue depuis la plus petite notion à la plus grande conception des dimensions spatiales, de la théorie du choix de Zermelo-Fraenkel qui ordonne les infiniment petits jusqu’au champ de Hilbert qui les matérialise, puis la trans-géométrie de Hamilton qui fait le lien avec les topographies de Riemann-Grothendieck jusqu’au référentiel de Poincaré-Minkowski. Elles sont nécessairement discontinues et sont constituées primitivement de cette fine strate logique qui se réalise au moment ultime ou dépassant la dimension de Planck, frontière de l’efficience matérielle. L’état d’alternance entre le constitué et le vide devient tellement infime qu’ils se confondent et fait de ces deux principes, le continu et le discontinu, des concepts paradoxaux et interchangeables, de fait infranchissables à la logique de notre esprit. C’est pour la bonne raison que la sensation d’avoir toujours « été » qui émerge de ce continuum et nous submerge quand nous y sommes connectés, nous est généralement insupportable à la conscience et normalement inaccessible. Ce paradoxe généré par cette fine strate d’infranchissable et d’indéfinissable dans lequel résonnent ce champ phi et le champ 𝝭 psi qui y est associé, de nature sub-quantique, sont des champs scalaires blancs. Ces champs sont libres de toute trace de mémoire et constituent la porteuse des consciences universelles sur laquelle les champs sémantiques et psycho-morphogénétiques de tous les univers multiples qui la complètent viennent se constituer et s’émouvoir. C’est la vision de l’Océan primaire des mythologies anciennes, celle des visions chamaniques et des expériences psychotropes des anciens psychonautes. Ainsi, par de nombreuses expériences et lectures personnelles, un voyage lysergique réussi peut s’apparenter à l’exercice de survie dans un océan de formes de pensées en phase de déchaînement. Cela est dû à l’image interférentielle produite par l’interconnexion des deux hémisphères cérébraux ainsi catalysés par les psychotropes hallucinogènes. Cette image interférentielle induit la sensation du continu et la conviction d’avoir toujours « été » depuis tout temps et, pour certains, l’illusion de rencontrer Dieu, puis se termine toujours pratiquement de la manière suivante : un retour sur terre après avoir dû reconstruire tout le langage et ainsi épuisé cérébralement par cette tâche, finir échouer sur une plage, gardant en tête la résonance des vagues déferlantes du temps qui viennent s’épuiser sur le rivage sablonneux d’un nouveau monde. Mais c’est surtout le lieu d’où naissent ces Psychoïdes théorisés par le physicien Wolfgang Pauli. À cette dimension de l’espace-temps, il s’agit d’un bouillon primaire d’où émergent des objets ni tout à fait psychiques, ni tout à fait physiques, qui se réalisent par condensations successives de particules élémentaires dans les différents mondes, d’autant plus nombreux qu’ils sont distants de la source et que suscitent par leurs écrits les auteurs dériveurs de mondes quantiques. Ainsi, ils nous ouvrent les portes d’une perception de ces multivers pouvant se formaliser et se réaliser par des états modifiés de la conscience.
C’est une question de vision de la géométrie de l’espace-temps articulé avec le continu, c’est-à-dire une vision de ce que peut être l’au-delà avec en solution le pré-langage de la nature comme configuration préliminaire de la pensée et la solution du langage à la fois : il s’agit d’une double articulation de la conscience. C’est-à-dire un ensemble de configurations de signes qui s’étendent depuis l’au-delà jusqu’à l’ici et maintenant pour le déborder. Ce qui en dessine les fondements d’une sémiologie.
Cette réforme eut ses effets !
Bien sûr, il n’était pas question que le commun des mortels adopte ce principe abracadabrant, mais c’était devenu le pain quotidien des informaticiens, des médecins hospitaliers, des officiers de police judiciaire des brigades cybernétiques, et de tous ceux en contact avec ces systèmes intelligents. Le reste de la population continuait évidemment, comme les arpenteurs, à compter et calculer en base 10.
Ce qui a surtout marqué cette époque, c’est la prise de conscience planétaire d’un impératif de contrôle des armes massivement létales. Les organismes internationaux se mobilisèrent frénétiquement toute la décennie 40-50 sans aboutir à un quelconque accord, malgré les colloques internationaux à répétition des États de la planète. Et sans empêcher pour autant le virage franchement surautoritaire des États Réunis Européens. Ce qui deviendra bientôt l’Empire mondial obtenait du conglomérat financier tous les investissements nécessaires à une reprise en main musclée des territoires technologiquement constitués et fortement concentrés par les nombreuses migrations climatiques passées. Durant ces quarante ans de dictature technocratique et technologique globalisée, les injustices sociales et les bavures liées à la recherche d’armes à feu dans tous les landerneaux d’Europe et dans toutes les populations de l’hexagone battaient leur plein de manière impitoyable. Durant la période 2040-2050, plusieurs centaines de millions d’armes furent déconstruites et transformées en lingots. Le soufre et le nitrate de potassium furent strictement réglementés par un consortium intégré aux intérêts de l’Empire. Ils avaient obtenu un monopole inaliénable de façon dévoyée pour maintenir le contrôle absolu des composés de la nomenclature maléfique. Seuls conservaient encore à l’époque un stock d’armes et de poudre, les forces de l’Empire s’octroyant cet avantage pour asseoir leurs potentats locaux sur les peuples autochtones de plus en plus anomiques, au fur et à mesure de cette tentative de reprise en main de l’Empire. Les conditions de vie des concitoyens « patriciens » se dégradaient. Les populations visées étaient principalement les milieux activistes écologistes. Sur les réseaux sociaux, on allait même jusqu’à parler de descentes « gestapistes » des sbires de l’État potentat.
Dans les années deux mille quarante, du bassin du Rhône jusqu’au littoral atlantique, les communautés et les villages écologistes s’étaient multipliés à l’envie, les grandes métropoles étant désertées au profit de populations plus aisées. Les communautés de survie apprenaient à s’organiser en autonomie relative dans les zones grises du plan d’occupation des sols et dans les décombres des cataclysmes environnementaux passés. Ils vivaient du recyclage intégral de toutes choses. Ces communautés de destin, souvent de plusieurs centaines d’âmes, recelaient parfois des armes par dizaines. Le combat contre l’Empire se montrait inégal et les groupes d’activistes perdaient beaucoup de soldats.
Ainsi nous avait dit le philosophe et poète Akim Bey : « nous partageons les mêmes ennemis et nos moyens d’évasion sont les mêmes. » C’est que notre subtilité d’esprit animale face à l’empreinte des gros sabots des cerveaux autoritaires est ce qui nous amène à ce « jeu délirant et obsédant constitué de fuites en avant, de déviances, de dérives, de perspectives traverses, de portes dimensionnelles, enthousiasmés par cette spectrale brillance de la Meute des loups et de leurs enfants. »
Après les grands mouvements sociaux survenus dans la période dite « décoloniale » qu’avait ouverte Toussaint Louverture en 1794, puis institutionnalisée en 2045-2055 par le consortium mondial, la période dite « post-capitaliste » lui succédera.
Cette période de « totale dépression » économique et morale entraînant l’ensemble des blocs d’influences continentales vers un épuisement quasi-complet des ressources vitales et des notions de vertu dans la pensée, les débats publics et les discours politiques, quels qu’ils soient, voit naître de grands mouvements sociaux.
L’humanité, perdue dans des conflits incessants, voit les institutions internationales, qui n’avaient jusqu’alors présenté aucune espèce d’influence sur les États mondiaux, étonnamment reprendre la main sur « Wall Street ». Elles établirent une gouvernance mondiale autoritaire et inflexible. Elles le firent par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, du Tribunal Pénal International et du Fonds Monétaire International, pour constituer l’Organisation Globale Mondialisée. Puis, après avoir lancé un processus d’élimination systématique de tout type de vecteur à destination létale, elles décrètent solennellement et unilatéralement interdite la détention, la vente et la fabrication de poudre à canon.
La situation mondiale devient désormais dépendante d’un chantage et d’un goutte-à-goutte financier d’une instance à la fois resserrée et inaccessible. Mais le remède s’avérait pire que le mal, les États étant en perpétuelle situation de dépendance financière et de révoltes sociales, restreignant les investissements et ne laissant qu’au seul appareil répressif leur raison d’être. Ce qu’on appelait la « force légitime » était devenu brutal et imparable. C’était l’avènement des lasers de puissance embarqués, des drones intelligents et des armes de contrôle non létal de nouvelle technologie. La supériorité de l’appareil répressif ne faisait aucun doute.
Mais les situations de désarroi se développaient partout sur le territoire par la multiplication des cataclysmes écologiques, tandis que la société devenait, par ces mesures aveugles et sans appel, intégralement conflictuelle, irascible, anomique et décadente. De là s’ensuivit une longue traversée du désert où des groupes d’humains entiers reprenaient le bâton de nomade en souvenir d’une bohème perdue, s’organisant par affinité dans des modes de vie de résistance ou de combat. Des cohortes de communautés de destin s’organisaient en tribus sur de récentes routes caravanières dans le dédale d’un territoire bientôt perdu, allant comme pour constituer la naissance d’un nouveau territoire.
Tout au long de l’histoire de l’Europe, il y eut des cas de persécutions des populations exogènes. Ethnies minoritaires, bien que constituant la majorité de la population mondiale, ces groupes sociaux se sont vus harcelés sur leur terre « d’accueil » au point de développer des états de mélancolie collective souvent zooanthropiques, où l’homme, se croyant transformé en animal, vit dans la tristesse d’avoir perdu sa dignité humaine et d’avoir été condamné à la condition animale. Ces communautés évoluèrent selon l’exemple du roi Nabuchodonosor qui, recevant l’oracle d’un ange lui annonçant la survenance d’un cœur bestial à la place de son cœur d’homme, en punition du saccage du royaume de David, se transforma en bœuf. Parallèlement, ces groupes mélancoliques sentaient leur pousser des poils et des oreilles. Ainsi, jusqu’au Moyen Âge, dans ces sociétés menaçantes pour les malades dépressifs, beaucoup de ceux-ci s’enfuirent dans les forêts, où ils furent négligés et se négligèrent, allèrent de mal en pis et devinrent des objets de terreur pour ceux qui les rencontraient. De là se développèrent les histoires de lycanthropie. C’étaient ces images, ces icônes et effigies d’homme-loup que l’on voyait poindre sur les véhicules de certains groupes de nomades et de survivalistes qui commençaient à se constituer dès le début des années 2040. Ils étaient les destitués d’un Eden social passé.
Au vu de l’évolution de ce phénomène incontrôlé, dû tant à une crise du logement qui durait depuis quinze ans qu’à un mécanisme qui produisait des cas sociaux en masse, les conséquences des dépressions psychiques collectives qui constituent désormais, en ces années troublées, ce qu’on appellera plus tard la grande dépression sociale, un nouvel Empire naissant y voyait les ferments d’une véritable opposition et prévoyait déjà les mesures qui mèneraient à un état de guerre total et permanent dans la société. Une rhétorique paranoïaque absolue envers tout ce qui n’est pas de « l’esprit saint » de l’Empire se répandait lentement et insidieusement dans l’espace culturel. Les enchaînements syntaxiques des propos diffusés en masse dans l’espace médiatique dénotaient une manipulation systématique de la morphologie du langage. Le gouvernement en place, avec l’aide des communicants, violait ainsi systématiquement la structure sémantique des phrases interrogatives pour les rendre stériles au sens commun. Ainsi, dans l’espace sémantique, tout ce qui n’était pas de l’Empire était euphémisme ou « fumatoire » ; « fumatoire » étant le nouvel anathème de la propagande « New-système » en ces temps troublés de « Novlangue ».
À cette époque, quiconque pouvait facilement se connecter sans compte préétabli au réseau à l’aide d’IA quantique traqueuse détournée pour le hacking de connexions, et facile à trouver dans les milieux pirates. En conséquence, la guerre idéologique sur les réseaux se déroulait au niveau du langage. À la manipulation de la langue de l’Empire, les tribus répondaient par la parole de « Mère-Louve ». C’était une culture orale, renaissance des pratiques d’échanges linguistiques pré-langagiers, celle des origines mise en évidence en 2038 par l’anthropologue des sociétés contemporaines Cagilli Vetter. Ces travaux relatent des pratiques qui ont non seulement forgé nos capacités vocales, mais aussi notre gestuelle et notre expression corporelle, issues des quantités incommensurables d’intuitions en provenance de notre noyau somatique constitué de coenesthésies, de synesthésies et de kinesthésies sensorielles.
Cette expression orale des origines est en prise directe avec le canal intuitif de plus de 80 000 ans d’histoire humaine, date des premières pétrographies, ayant drainé des influences non seulement de l’ici et maintenant, mais aussi de l’au-delà, qui représente l’impensé de l’Empire totalitaire. C’est ainsi que les tribus devenaient le réceptacle des principes de la linguistique originelle.
Dès le début de la période 2040-2080, avec la multiplication des tribus, seuls les groupes nomades possédant l’autorité d’une « Grande Mère » subsistaient dans la durée et étaient capables de faire face aux dilemmes inextricables et indécidables qui pouvaient parfois survenir quand il s’agissait de la survie de la famille élargie que constitue cette Oumma. Il faut respecter le code des tribus qui insiste sur le principe de non-exclusion absolue. S’il y avait un criminel ou un psychopathe, il restait un enfant de la tribu, jusqu’au moment où il finissait de manière irrémédiable, éparpillé en cendres sur la pierre des ancêtres. C’était un roc, comme un menhir, qu’ils enracinaient profondément dans le sol et servait de jardin des souvenirs sur lequel ils venaient éparpiller les cendres des ancêtres qu’ils vénéraient, et qui leur servait de lieu clé pour leurs migrations. L’Oumma ne livrait jamais ses sujets à l’Empire. Les lieutenants qui constituaient la force vive des tribus, malgré leur expérience de la nature inenvisageable des sorts du destin, n’avaient jamais le recul suffisant pour prendre les bonnes décisions. Seule la Grande Mère, qui méritait le rang de Mère-Louve, avait le poids des mots, l’expérience de la vie, le recul intellectuel et la capacité langagière de décider l’indécidable et de figurer l’avenir du groupe de manière suffisamment efficiente pour être suivie. L’organisation sociale des tribus était un luxe de fluidité et de souplesse orchestrée par des codes d’expressions, des totems et des procédés de transition que Mère-Louve suivait avec bienveillance. Ainsi, Mère-Louve entretenait des relations privilégiées avec son forgeron, colonne vertébrale des tribus, sans lequel la survie ne pouvait être assurée.
Le forgeron est l’architecte du village nomade, un mécanologue, l’éco-logiste en chef, le systémiste de la tribu, le thermo-dynamiste de la horde, en coordination avec les réseaux de flux d’énergie que le « flâneur » de la tribu aura détectés dans les régions alentours et tracés sur sa carte.
La première inquiétude des tribus était les sources d’énergie et de propulsion des véhicules de la horde. Des adaptations de motorisation étaient fréquentes et demandaient beaucoup de vigilance de la part des lieutenants de la tribu sur la question des approvisionnements. Le forgeron tenait son expérience des solutions du réseau d’échange du royaume des tribus, qui permettait d’organiser une véritable bourse des solutions de propulsion et du phylum métallique. La rapine du métal était la deuxième préoccupation des tribus, par laquelle l’essentiel des revenus était tiré. Mais la stratégie de rapine du métal était surtout la première préoccupation du forgeron de la tribu ; trouver le bon métal était l’enjeu permanent. Il était aussi le mécano en chef, une tribu pouvant comporter plusieurs dizaines ou centaines de poids lourds de nature, d’origine et de propulsion différentes. Ainsi, en dépit des lois de l’Empire, beaucoup de véhicules possédaient des alternatives gazogènes ou des solutions HVB (d’huiles végétales de recyclage). Toute solution que le forgeron pouvait trouver pour adapter les motorisations était la bienvenue. Le territoire pouvait comporter de grandes contrées de friches sans source de propulsion, hormis pour le groupe des autonomes en propulsion solaire, qui se déplaçaient comme des escargots. L’approvisionnement de la techno-lepsie de l’Oumma était compliqué à organiser et, encore une fois, les décisions ne pouvaient se prendre sans concertation du forgeron avec Mère-louve.
Les tribus possédaient leur forme d’œcuménisme. C’est par les traditions et au fil du temps que les tribus, au niveau européen, s’étaient constituées en royaumes, dotés d’un roi nu, sans même de représentation sinon le fait d’être en vie. Seule l’image de Mère-louve trônait sur les réseaux. Mère-louve est le réseau d’échange et de savoirs de toutes les Mères-louves du continent, étendant leurs capacités d’information, de prédiction et de développement de leur efficacité en tant que Mères-louves protectrices des peuples nomades. Le premier revenu des tribus dites « lycanthropes », arborant l’effigie d’une tête de louve, consistait surtout dans la récupération du précieux règne métallique des décombres du système. Les lieutenants étaient experts en recherche, détection, déconstruction et récupération de tous les métaux, concentrés et échangés au travers d’une Bourse Numérique Royale, reflet des stocks de ressources que les tribus drainaient entre elles et seules autorisées à négocier avec l’Empire totalitaire bunkerisé, privé ainsi de son phylum métallique.
Avec le temps, les tribus s’étaient grandement spécialisées dans la connaissance des alliages et de leur transformation. Certains lieutenants en étaient des experts et maîtrisaient la rétro-ingénierie à merveille ; ils pouvaient démonter et réinventer n’importe quel appareil avec peu de moyens et en un rien de temps. Le déclassement social avait déversé quantité d’ingénieurs des anciennes industries et de jeunes diplômés sans débouchés, choisissant le voyage plutôt que l’errance, dans des groupes ayant des modes de vie nomades. Le flot d’aventuriers drainé par le phylum métallique générait des tribus de plus en plus nombreuses sur la route du fer. Ces tribus naissaient au fur et à mesure qu’elles grossissaient et se scindaient en plus petites au-delà d’une certaine importance. C’est ainsi qu’elles passèrent de quelques dizaines de grandes colonies en 2040 à quelques milliers dans les années 2060. Elles se répartissaient à travers tout le territoire de l’hexagone, se baptisant de noms à connotations animalières : « la louve technophile », « les lycanthropes vigilants », « les loups du bassin », « Lou Can lupus ». Dans l’organisation de ces nouvelles formes sociales, les lieutenants travaillaient pour le compte du forgeron, qui est le métallo en chef. Un des autres enjeux des tribus était la confection d’armes nouvelles pour faire face à l’arsenal des brigades policières lourdement arnachées. Ces brigades étaient équipées de leurs tonfas, tazo-laser, lanceurs d’hydro-billes et masses sono-dynamiques, assez redoutables pour un nomade quand il n’avait pas prévu les contre-mesures. La particularité des armes nomades tenait surtout dans leur capacité contondante : elles étaient constituées de battes de baseball énormes comme de gros légumes, survitaminées au nickel-chrome, des fléaux à mottes, des nunchakus–fransisques, des glaives télescopiques et des boucliers en résines dichroïques. L’imagination du peuple des Hackers était sans limites.
L’autre activité des lieutenants était le trafic de poudre médicale à partir de molécules de base circulant sur le réseau mondial d’échanges, qu’ils récupéraient dans la centaine de « Bureaux de la question nomade » établis par l’Empire, et par lesquels ils pouvaient fournir autant d’extraits de paracétamol que de variétés d’ecstasy, d’opiacés de synthèse ou de composés de pseudocaïne que les biologistes recombinaient pour produire leurs recettes magiques secrètes. Chaque tribu possédait son laboratoire, le biologiste de tribu qui conduisait, outre la production et la diffusion de solutions allopathiques, la stratégie globale de la santé du clan et entretenait un rapport privilégié avec Mère-louve pour lui fournir le bilan de santé de la précieuse famille.
Chaque Mère-louve possédait aussi son conteur sous la figure du « flâneur » de la tribu. C’est un confectionneur de langage pour la horde de destitués devant lui, hagiographe de l’ethnie en marche et révélateur de la légende du clan nouveau. Son flâneur en titre élabore le trajet de l’alya du clan. C’est un personnage énigmatique qui parcourt l’espace non strié des restes que l’Empire a négligés pour renifler les influences, les sources d’énergies, les tendances du territoire en présence, enregistrant les différences, les rapports de perspective, les soubresauts annonciateurs pour tracer l’image distincte d’un voyage initiatique futur du peuple en sa responsabilité.
Chaque tribu développait aussi son langage en accord avec la sensibilité de Mère-louve sur les rapports de son flâneur à propos de leurs péripéties topologiques sur les lieux alentours et ses impressions sur l’état du monde pour y capter les bonnes formules. Comme l’expliquait Roland Barthes, l’activité d’un faiseur de langage, d’un flâneur dans son hystérie cartographique, le plongeait souvent dans une volupté de classification, une rage de découper, une possession numérative, une obsession de la trace et du diagramme pour opérer une couture du système social, érotique et fantasmatique d’où dépend le plaisir, le bonheur, la communication d’un ordre ou d’une combinatoire, qui n’est pas linguistique, pas langue de communication mais de consommation du phylum énergétique. Cela n’empêche pas cette langue artificielle de suivre en partie les voies de constitution de la langue naturelle et, dans son activité de flâneur et de conteur de tribu, ce développeur de logothèse procède toujours de la même manière.
La première est de s’isoler. La langue nouvelle doit surgir d’un vide matériel, un espace antérieur qui doit la séparer des autres langues communes, oiseuses, périmées dont le bruit pourrait la gêner : sans aucune interférence de signes pour élaborer la langue à l’aide de laquelle les membres de la tribu pourront interroger leurs totems.
La seconde opération est d’articuler. Pas de langues sans signes distincts. Au travers de l’histoire nous pouvons trouver des créateurs de langage comme Fourier qui divise l’homme en 1620 passions fixes, combinables mais non transformables sinon que par l’engrennement des passions diales. Un Sade qui distribue la jouissance comme les mots d’une phrase (posture, figures, épisodes, séances). Un Loyola morcelant le corps, vécu successivement par chacun des cinq sens, comme il découpe le récit christique partagé en « mystères », au sens théâtral du mot. Ainsi le conteur de Mère-louve rempli l’espace non strié de l’Empire par les mots d’un roman picaresque révélant une foi sincère dans la providence d’un futur fluide thermo-dynamique. Pas de langue non plus sans que ces signes découpés ne soient repris dans une combinatoire. Ces auteurs décomptent, combinent agencent, produisent sans cesse des règles d’assemblage. Ils substituent à la syntaxe et la composition, la création fétichiste, attachés au corps morcelé reporté sur une carte.
La reconstitution d’une totalité ne peut être à cet instant, pour eux qu’une sommation d’intelligibles à la manière d’Aristote, il n’y a pas d’indiscible, pas de qualité irréductible de la jouissance, du bonheur, de la communication qui ne seraient que le lot du désordre et de l’illimité.
La troisième opération donc, est d’ordonner : non plus seulement agencer des signes élémentaires mais soumettre la grande séquence érotique, eudénomiste ou mystique à un ordre supérieur, à la providence, à Moros, le phénomène d’avant l’évènement des Dieux, qui n’est plus celui de la syntaxe mais celui de la métrique. Le discours nouveau est pourvu d’un Ordonnateur, d’un Maître de cérémonie, d’un Rhétoriqueur, d’un Orateur. Il y a toujours quelqu’un pour régler l’exercice, la séance, l’orgie, l’oraison, mais ce quelqu’un n’est pas un sujet régisseur de l’épisode, il n’en est qu’un moment, il n’est rien de plus qu’un morphème de rection, un opérateur de phrase. Ainsi le rite, demandé n’était qu’une forme de planification. Si la logothésis, la machine du langage s’arrêtait à la mise en place d’un rituel, c’est-à-dire en somme d’une rhétorique, le fondateur de langue ne serait rien de plus que l’auteur d’un système. Mais se sont des formulateurs, des énonciateurs, ce que l’on appelle couramment des « conteurs hagiographes » ou des « écrivains de légendes », et de plus metteur en scène. Il faut donc en effet, pour fonder jusqu’au bout une langue nouvelle, une quatrième opération: celle de théâtraliser.
Qu’est-ce que théâtraliser ? C’est utiliser l’illimité du langage. Avec le langage, il se produit un échelonnement de signifiants, tel qu’aucun fond de langage ne puisse plus être repéré parce qu’il est pensé comme une forme. Ainsi, le style implique une consistance dans l’expression. L’écriture, selon Lacan, ne connaît que des insistances de formes. Par conséquent, au fur et à mesure que le style retourne à l’écriture, le système se défait en systématique, le roman en romanesque, l’oraison en fantasmatique, un Sade n’est plus un érotique, Fourier n’est plus un utopiste, Loyola n’est plus un saint et le flâneur n’est plus un initiateur de langage. En chacun d’eux, ne reste plus que des scénographes, ceux qui se dispersent par la force du langage à travers les opportunités qu’ils plantent et s’échelonnent à l’infini pour tracer le chemin d’un voyage initiatique à venir. Le flâneur flâne. Observateur distancier de l’Oumma à laquelle il appartient, à la fois dedans et dehors, il parcourt et enregistre la morphologie du territoire qui l’environne au fil de son serpentage qu’il effectue jour après jour, allant et venant du camp aux proches alentours, du lointain au travers et détours des rassemblements caravaniers, pour le traduire en schéma, en repérage d’éventualités de peuplement, de traçage de passages transitoires, signalement de territoires de repli et de sentiers de contournement suggérés par les interstices qu’ouvrent les dédales urbains pour les reporter sur une carte. Elle sera le support futur du chemin initiatique de l’Oumma. Ce chemin sera décidé par les runes jetées systématiquement pour questionner les alternatives de stratégie au moment du départ. Ainsi, après avoir procédé à l’oracle du « levage de camps », Mère-louve décidera de la bonne direction à suivre pour leur migration. La carte devient, par ce rite, un corps collectif encore vierge que l’on va scarifier des traces indélébiles de l’histoire, de la providence ou de la fatalité que les nomades marquent de leurs pierres des ancêtres, ces rochers incrustés dans le sol comme une dent, réceptacle des cendres des morts balisant les lieux clés et les moments clés de leur destinée. C’est un tatouage du temps pour la mémoire du groupe et la survie du peuple de cette Oumma d’exclus du système. Ainsi, des mains de Mère-louve, l’orientation du voyage à venir aura été bénie sur la carte. C’est ainsi que tous les lieutenants, comme le flâneur, le forgeron jusqu’au biologiste, seront en accord avec Mère-louve, sans laquelle rien de bon ne pourra s’élaborer.
Toutes les tribus n’étaient pas des tribus vertueuses ; les tribus « Lycanthropes » n’étaient pas les seules à arpenter le sol de France à travers un réseau de solidarité pirate pour leur survie. D’autres tribus arboraient l’effigie de l’Oryctérope, l’animal du désert servant de représentation au dieu Seth. Ce dieu est l’un des principaux personnages de la mythologie égyptienne. Seth est le second fils de Geb « la terre » et de Tefnout « le vide prolifique », et cadet d’Osiris. Seth, originellement dieu du tonnerre et des orages, reçoit en héritage les terres stériles et les friches pour lesquelles il en prit ombrage au moment même où Geb partagea son royaume. Le désert à Seth et à son frère Osiris, les sols fertiles du delta du Nil. Osiris, attirant la jalousie de Seth, sera assassiné plus tard sous ses coups. D’après une allusion issue des Textes des pyramides, quatre enfants sont issus du couple formé par Tefnout et Geb. Il s’agit des dieux Isis, épouse d’Osiris, Seth et Nephtys, la déesse protectrice des âmes des morts. Horus, fils d’Osiris, s’installera à Héliopolis et formera avec Seth un binôme divin caractérisé par la rivalité due à cet assassinat, chacun ayant blessé l’autre. De cet affrontement est issu Thot, le dieu lunaire, considéré comme leur fils commun. Ainsi, dans l’affrontement, Horus ayant perdu son œil gauche, l’œil droit étant le soleil, son œil gauche sera reconstitué à l’aide du dieu Thot. Mais en sortira aussi la divinité Seth à deux têtes, au regard tendu dans des azimuts opposés.
Ainsi, d’autres colonies arboraient l’image du dieu Seth à deux têtes, née de la réconciliation de Seth et Horus, dénotant une dangereuse tendance au double langage propre à la mafia. Ce sont ces tribus qui détiennent les banques de métaux sur le territoire, verrouillent le réseau royal des nomades, négocient avec l’Empire, développent le trafic de poudre psychotrope dans les quartiers des capitales hexagonales et redistribuent les dividendes aux multiples Oumma d’exclus envahissant le pays. Elles étaient les seules, à l’instar de l’Empire, à rechercher et détenir encore de la poudre explosive pour confectionner des munitions, et leur fréquentation comportait toujours un coût pour les tribus « lycanthropes », qui devaient payer le tribut royal inscrit dans le « Code pirate ».
En 2050, la population française vivait majoritairement dans des zones interurbaines s’étendant parfois jusqu’à 150 kilomètres autour des grandes métropoles, laissant des infrastructures en déchéance, des projets urbanistiques abandonnés, des zones contaminées, des villages retranchés et des modes de vie autonomes où les règles, les principes et les lois de l’Empire des États Réunis Européens n’étaient plus guère respectés. La distance d’un individu à ses institutions s’était grandement distendue et, compte tenu des difficultés pour se déplacer, dans chaque lieu de solidarité, on faisait « comme on peut ». La guerre de la récupération des terres arables et de leur redistribution avait lieu sur le terrain juridique, devant les tribunaux, et par l’occupation du terrain avec les ZAD. Des architectes de l’autonomie proposaient aux associations et aux ONG l’organisation de jardins collectifs de permaculture qui permettaient la survie alimentaire de nombreux citadins des interzones. Le jeu ressemblait au bras de fer des premières radios libres des années 1980, avec les enchaînements d’expulsions, de réinstallations, de re-expulsions, de re-installations, et ainsi de suite, qui caractérisaient l’évidence d’un besoin. Le comique de l’histoire est que les espèces vivantes qui constituaient la biodiversité du jardin collectif fuyaient également suite à l’expulsion des jardiniers par les cerbères de l’Empire, et attendaient le retour des citadins pour revenir au bercail. Finalement, on retrouvait les mêmes familles de mammifères et autres vivants réintégrant à nouveau leur biotope. Les immenses terres remembrées pour la culture intensive avaient rendu stérile et toxique la chair nourricière de notre terroir. Et la mise en jachère des terres s’était transformée en abandon. Cela permettait de réquisitionner quelques hectares à ressusciter par la réintroduction d’espèces végétales et de biodiversité d’eucaryotes, d’arthropodes, d’insectes divers habitant les arbres et les arbustes.
La connaissance du milieu végétal s’était grandement développée chez les écologistes, se passant allègrement de tout pesticide et de tout intrant dans leurs pratiques. Un jardin de permaculture collectif fonctionnait de la manière la plus simple du monde : quiconque pouvait y faire gracieusement son marché de légumes, seulement en participant, à l’occasion, aux quelques travaux de jardinage sous les ordres d’un jardinier permanent. La récupération de la terre se produisait irrémédiablement dans tous les territoires et transformait l’aspect du paysage de ces nouveaux lieux investis par des citadins en petits édens locaux connectés. Les cerbères de l’État potentat, dans leurs descentes, ne détruisaient en fait que la structure recyclable et déboulonnable de l’activité humaine, mais en rien la biodiversité réintroduite par ces activités, qui ne demandait qu’à redémarrer au quart de tour. Le président de l’Agglomération Parisienne Concentrée avait même eu l’audace de mettre la tête à prix du président du syndicat des éco-villages du centre, un fameux Beckerman qui s’était fait connaître durant la guerre des villages sécessionnistes de 2042, au cours de laquelle il accusait publiquement le consortium parisien de manipuler les évaluations d’émissions de carbone, produisant des émanations en compensation des bons résultats en émissions des éco-villages, et en en produisant d’autant plus que les éco-villages du Centre Uni en recyclaient. Personne, en dehors d’un patricien de l’Empire, n’était dupe de ces manipulations.
L’Empire ne considérait que ce qui résidait et subsistait dans ses murs. Il était nécessaire de posséder un précieux passeport pour entrer dans la forteresse parisienne, et celui-ci devait se payer au prix d’une soumission totale au dogme et au discours officiel, le rendant difficile à conserver sur la longueur tant les injonctions contradictoires étaient nombreuses. Un fantasme de l’au-delà des murs agissait en retour sur les patriciens comme un impensé du territoire : « plutôt mourir que de perdre le sésame vital ». Hors des voies de communication de l’Empire, le territoire était hostile à leurs yeux et représentait la non-civilisation. L’Empire avait construit un monde fait de dissemblances, de fausses simplicités, de retournements de sens, à tel point qu’un vrai patricien parlant la langue officielle ne réussissait plus à échanger correctement avec un nomade qui possédait pourtant la même langue que celle de Villers-Cotterêts. En 2050, on pouvait déjà considérer que la société occidentale se partageait en exclus : les plus nombreux, en patriciens, les cocus du système et les sbires de l’Empire qui avaient su se coaliser.
Pour comprendre la genèse de l’histoire, il faut retourner dans les années 1968. L’homme du réseau et de l’internet, un fameux Tom Wolfe, qui fut à la fois l’élément clé et celui qui représentera le ver dans le fruit, était un romancier à la manière de Steinbeck et des fresques balzaciennes de la société américaine. Il était correspondant pour le magazine Rolling Stone et auteur de nombreux best-sellers, dont « Le bûcher des vanités » et « Acid Test », notamment. Habitué des reportages en immersion, il avait assisté à l’avènement du World Wide Web aux côtés des hippies de la première heure. Il a été un des membres éminents des Merry Pranksters, avec Ken Kesey, connu pour son roman « Vol au-dessus d’un nid de coucou », Neal Cassady, le poète et ami de Jack Kerouac et d’Allen Ginsberg, et Stewart Brand, écrivain et initiateur du Whole Earth Catalog. À l’époque, la question qui taraudait les discussions, comme pour les situationnistes, était l’insupportable désagrément et le danger de la « récupération » par le système, contre lequel cette nouvelle génération d’artistes et d’écrivains luttait. Le réseau de relations et d’amis qui ont entouré et constitué la naissance du Web à partir de l’ARPANET le faisaient dans l’idée de construire les ferments d’une contre-société opposée au « Léviathan atomique ». Ainsi, se vendre au système était la pire des trahisons. Ce que Tom Wolfe fit de la pire des manières en se vendant à Wall Street avec les clés de l’internet en dot de mariage. Les critiques acerbes contre les acteurs de la contre-culture américaine qui se levaient dans les médias avaient pour origine les diatribes féroces que les Yuppies proféraient contre la communauté hippie, pour finalement piller éhontément leurs idées dans leurs activités de spéculation. Ainsi, dans les mains de Wall Street, le Net, structuré en machine à cash depuis ce retournement des idéaux chers aux hippies, initiateurs du réseau internet, sera transformé en système de pillage de contenus scientifiques au profit de la techno-finance. Ce qui nous amènera dans la période 2050-2070 à l’ère des influenceurs transhumanistes « climatotrophes ». La formation de ce phénomène, que l’on appelait un phénomène d’intelligence réseautable dans les milieux mercantiles, provenait d’un nudge des années 2000, utilisé pour le marketing réseau. Il avait été constitué à partir d’un groupe d’influenceurs marketing, d’un groupe de convaincus en la rédemption de l’humanité par le dieu technologique, et d’illuminés croyant maîtriser les manettes du climat. Ce noyau de nudges, ce mécanisme organisé en réseau développé par les agences de communication et perdurant jusqu’à nos jours, eut ses meneurs en 2032 sous la figure de Dog Baldwin, dauphin d’Elon Musk, et Rougeoie Saint-Jolie de nos jours. Les « climatotrophes », groupe d’illuminés, de scientifiques dévoyés et désavoués pour leurs conceptions des processus planétaires, étaient les plus extrémistes des technophiles, et leurs idées et propos constituaient l’essence même du discours scientifique de l’Empire.
Le risible de l’histoire, c’est que depuis les années 2055, l’organe exécutif de l’OGM ruinait les caisses de tous les Empires Mondiaux en répandant de la poudre de fer dans les océans, qu’ils payaient au prix fort aux tribus Sethy dans l’optique de dévier de quelques dixièmes de degrés l’atmosphère terrestre, comptant ainsi réduire les conséquences de l’affolement du climat. Résultat : une grande partie des espèces de planctons disparaissait, annonçant la disette des espèces les plus grosses. Cette poudre de fer devait être négociée avec les tribus Sethy les plus militarisées, qui en profitaient allègrement. Dix pour cent des revenus des tribus venaient de ces absurdités de l’Empire.
L’autre stupidité venait de la géo-ingénierie, qui consistait à expédier des obus de mortiers chargés d’iodure d’argent dans la masse nuageuse pour réduire les précipitations, et de chlorure de sodium et de neige carbonique pour les provoquer face aux conditions de sécheresse, rendant le climat doublement instable. Le malheur était que toute nouvelle idée pour modifier le climat était largement encouragée et financée par le consortium financier pour le transhumanisme, représenté par Rougeoie Saint-Jolie. Comble de l’horreur, les IA quantiques s’étaient pliées au dogme de la géo-ingénierie et participaient allègrement à l’accélération du tango climatique, où l’amélioration du climat à l’Est correspondait au déchaînement des éléments à l’Ouest. Cette situation ressemblait non pas à une impasse, mais à un nœud diabolique. Penser qu’une nouvelle solution pour la modification du climat pouvait être simultanément la voie pour nous sortir de ce piège inextricable nous était évidemment fatal, et finalement, les transhumanistes figuraient dans l’ordre des inquiétants professeurs de sorcellerie.
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