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La naissance d’une utopie
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En Californie dans les années 70, le désir dans la jeunesse des campus de Standford, San Francisco, Berckley, de changer la société commençait à poindre. Enfant de la guerre du Viêt-nam, ils cherchaient à développer une contre-culture à l’impérialisme Bureaucratique rationaliste du moment, une culture eudénomiste nécessairement inclusive et autonome.
Où l’idée d’une « Zone d’autonomie temporaire »
« Hello world » sont les mots traditionnellement écrits par un programme informatique simple dont le but est de faire la démonstration rapide de son exécution sans erreur.
Les premier réseaux électroniques se développent au cours des années 1980, encore méconnus du grand public, familiers seulement aux experts de la programmation informatique et à certains universitaires, Ils incarnent pour certains d’entre eux un espace de résistance, un non-lieu social, territoire encore invisible à l’abri duquel rassembler une communauté nouvelle et subvertir les pouvoirs. C’est l’époque des premiers groupes de hackers : fraudeurs ou simplement désœuvrés, ces jeunes pirates électroniques, que traque une section nouvelle du FBI, se sont affublés de noms mythologiques, Seigneurs du Chaos ou Légion du Jugement dernier. Ils lancent des attaques surprises contre les grandes institutions, sabotage de bases de données ou blocage national des lignes téléphoniques, et forment alors, selon le mot de l’écrivain Bruce Sterling, une véritable époque « underground numérique ». C’est aussi l’époque où, sous le pseudonyme d’Hakim Bey, un universitaire californien atypique, militant anarchiste et ami de Sylvère Lotringer, théorise ce qu’il appelle les « zones d’autonomie temporaire », TAZ selon leur acronyme anglais. La formule est appelée à un grand succès, parce qu’elle résumera bientôt parfaitement cette préhistoire de l’Internet où, pendant quelques années, un réseau sans publicité ni grands sites commerciaux, encore dans l’angle mort des pouvoirs, a été le support d’une véritable culture politique alternative.
Dans la Silicon Valley les Geeks véhiculaient l’Utopie Numériques. Cette évolution technique qu’est le World Wide Web, aussi spectaculaire soit-elle, ne peut être la source unique des utopies auxquelles furent associés les ordinateurs. Qu’une telle machine puisse être posée sur un bureau et manipulée par un individu n’en fait pas pour autant une technologie « personnelle ». Que des groupes de personnes échangent via un réseau d’ordinateurs connectés n’implique pas nécessairement que leurs interactions en ligne s’inscrivent dans une logique de « communautés virtuelles ». Au contraire, sur les lieux de travail, ordinateur de bureau et en réseaux peuvent devenir de puissants leviers pour assimiler plus encore l’individu à son entreprise. Au sein du foyer, si les mêmes outils permettent aux écoliers de télécharger les contenus de bibliothèque publiques, ils transforment également le salon en super-marché numérique, opportunité dont se saisissent les boutiques afin de collecter toutes sortes d’informations personnelles sur ces consommateurs potentiels. Malgré les promesses d’une utopie en marche auréolant l’émergence de l’internet, rien ne vouait l’ordinateur, connecté ou pas, à aplanir les structures organisationnelles, participer de l’individuation des humains ou oeuvrer à la création de communautés soudées malgré la dispersion géographique. Pourquoi alors, ordinateurs et réseaux furent-ils le moteur des rêves d’une ad-hocratie distribuée, d’un marché libre et égalitaire et d’un « Soi » plus épanoui ? Où ces rêves avaient-ils pris forme ? Et qui enrôla ces outils informatique comme porte drapeaux ? Pour répondre à ces questions, il faut en revenir à l’histoire de ce groupe extrêmement influent de journalistes et d’entrepreneurs de la baie de San Francisco : Stewart Brand et le réseau Whole Earth. Entre la fin des années soixante et la fin des années quatre-vingt-dix, Brand constitua un réseau composé de personnes et de revues qui furent à l’initiative d’une série de rencontres entre les milieux bohèmes de San Francisco et la silicon valley, carrefour technologique naissant. Dés 1968 il regroupa les acteurs des deux mondes dans les pages d’un des ouvrages les plus représentatifs de l’époque, le Whole Earth Catalog. En 1985, il les réunit de nouveau au sein d’un dispositif de conférences électronique qui allait devenir le plus influent de la décennie, le Whole Earth Lectronic Link ou WELL. Dès lors, et ce jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, Brand et les autres membres du réseau, dont Kevin Kelly, Howard Rheingold, Esther Dyson ou encore John Perry Barlow, devinrent les personnalités les plus citées pour illustrer une vision contre-culturelle de l’internet. Finalement, en 1993, tous participèrent à la création de Wired, le magazine, qui plus que tout autre vantera la dimension révolutionnaire du monde numérique émergent. Si l’on fait le récit de leur histoire, celui de la culture militaro-industrielle de la recherche, qui fit son apparition lors de la seconde guerre mondiale, et celui de l’Amérique de la contre-culture, qu’elle soient érudites ou vulgarisées, on la dépeint en utilisant des termes apparus au sein même du mouvement : – une culture antithétique aux technologies et structure sociales qui nourrissent l’Etat en guerre froide et son industrie de l’armement. De ce point de vue, les années quarante et cinquante sont souvent considérées comme une période sombre, modelée par des normes sociales rigides, des institutions hiérarchiques et les pressions permanentes résultant du face-à-face nucléaire entre les États-Unis et l’Union Soviétique. La décennie suivante aurait quant à elle surgi dans un grand tourbillon en Technicolor de contestation politique et de développement personnel visant en grande partie à renverser la bureaucratie militaro-industrielle de la guerre froide. On expliquent la pérennité du complexe militaro-industriel, ainsi que la perpétuelle croissance du capitalisme des grandes industries et de la culture de consommation, en avançant que les idéaux authentiquement révolutionnaires de la génération de 68 ont été en quelque sorte intégrés par leurs adversaires, pour ainsi dire récupérés. La production intellectuelle et technologique de la recherche aux États-Unis présentait énormément d’intérêt aux yeux des « Nouveaux Communalistes ». Et si les hippies, qu’ils soient de Manhattan ou de Haight-Ashbury, condamnaient dans son intégralité l’industrie de l’armement ainsi que le processus politique à son origine, ils n’en furent pas moins des lecteurs assidus de Norbert Wiener, Buckminster Fuller et Marshall McLuhan. La Nouvelle Gauche et les Nouveaux Communalistes partageaient l’idée que la bureaucratie technologique représentait, au mieux la menace d’une existence d’adulte terne et psychologiquement douloureuse, et qu’au pire elle entraînerait l’extinction de l’espèce humaine. Pour la Nouvelle Gauche, la politique de mouvement rendait possible le reversement de cette bureaucratie tout en permettant d’expérimenter dans son intimité propre la solidarité dans l’engagement commun et la possibilité de vivre une vie d’adulte qui conserve sa charge émotionnelle. Pour les Nouveaux Communalistes et une grande partie du mouvement contre-culturel, la cybernétique et la « Théorie Générale des Systèmes » offraient une alternative idéologique. Comme Norbert Wiener vingt ans plus tôt, un certain nombre de membres de la contre-culture voyaient dans la cybernétique la perspective d’un monde construit non pas sur des hiérarchies verticales ou des flux d’autorité descendants, mais autour de circuits en boucle, d’énergie et d’information. Ces circuits ouvraient la voie à un ordre social stable dont les fondations ne seraient pas les chaînes de commandement aliénantes des univers militaire et économique, mais les flux et les reflux de la communication. Brand se mis à l’idée que le LSD, le peyolt et les psychotropes pouvaient altérer et sublimer les perceptions. Cette idée faisant son chemin, c’est alors que Brand se mit alors à fréquenter les Merry Pranksters, ces fervents adeptes du trip dans tous les sens du terme. Les Pranksters s’étant rencontrés pour la première fois aux alentours de la maison de Ken Kesey sur Perry Lane, à proximité du campus de Stanford. Peu de temps après le séjour de Kesey à l’hôpital psychiatrique des anciens combattants de Menlo Park, connaissant bien la pharmacopée et la chimie Kesey prit l’habitude de ramener du LSD chez lui. Un petit groupe se constitua dès lors, une poignée d’écrivains de Stanford, l’artiste Roy Seburn auteur de l’habillage du Magic Bus, le psychologue Richard Alpert professeur de psychologie à l’université Harvard ayant étudié les effets des substances psychédéliques, le guitariste Jerry Garcia et encore Page Browning initiateur des happening et des Acids Tests. Tous étaient venus pour faire la fête en différentes occasions. En moins d’une année, Kesey avait rassemblé une nouvelle tribu dont Page Browning et Gurney Norman rescapés de la bande de Perry Lane. À l’automne 1964, lui et les Pranksters peignirent ce vieux bus scolaire et partirent pour l’Est, première étape de ce qui deviendrait la tournée légendaire décrite par Tom Wolfe dans les pages de « The Electric Kool-Aid Acid Test », Brand ne faisait pas partie de l’équipée. Il représentait selon Wolfe « l’aile modérée et réfléchie des Merry Pranksters », un comble de la part de celui qui allait plus tard trahir le mouvement en se vendant aux financiers de « Wall Street ».
De cette période, il en reste les textes bientôt culte d’Hakim Bey, dont les premières version date de 1985. Ils en appellent aux « usages illégaux, clandestins et rebelles » du nouveau réseau, et au développement en son sein d’un « ombrageux contre-réseau » ou « toile », structure ouverte d’échanges horizontaux d’information, à l’instar du samizdat et du marché noir. Tout en renvoyant au Caliban de la « Tempête » et au mythe pionnier du colon non corrompu, mais aussi à Guy Debord et aux libertaires, l’ouvrage fait une large place à la théorie française, moyennant un double rapport : son pillage éclectique d’un côté, en invoquant « l’âge de la simulation » ou la « pensée du chaos » sur un mode baudrillardien, et les « micropolitique nomades » ou les « espaces imperceptibles » sur un ton deleuzien ; et la dénonciation, de l’autre côté, de ses usages serviles dans l’université, « sado-masochisme intellectuel » des années 1980 qu’il oppose aux usages libres, occasionnels et ludiques du corpus théorique, de Virilio à Guattari. Si la zone en question perdra vite son autonomie, une mystique de l’enclave utopique et du contre-monde en-ligne lui suivra, qui décline – ou détourne – encore et toujours quelques formules fétiches des auteurs français. La page où Deleuze et Guattari assimilent le « penseur à une sorte de surfeur comme personnage conceptuel », et une pensée qui glisse à de nouvelles manière d’êtres » – quand bien même ils entendaient par là comparer la pensée aux vrais sports de mer, et non à la navigation en-ligne – vient ainsi justifier l’idée d’un autre mode de pensée, sur le réseau, que la raison linéaire. Une pensée digitale et modulaire que les sites Web d’étudiants déjà évoqués associent, précisément, à la French théory. L’œuvre individuelle de Félix Guattari a sur ces premiers cyber-communautaristes américains un impact spécifique, pour ses références à la « machine autopoiétique » du biologiste Francisco Varela, qui désigne une ontogenèse (construction de soi non subjective) passant par des « dispositifs machiniques ». Mais aussi, sur un ton plus utopiste, pour son évocation des banques de données et des nouvelles formes d’interactivité comme susceptibles de nous faire sortir de la période oppressive actuelle et de nous faire entrer dans une ère post-média caractérisée par une réappropriation et une re-singularisation de l’utilisation des médias – soit l’équivalent des TAZ militantes en pleine France du Minitel. Mais plutôt que d’inviter ainsi à politiser le réseau, à penser l’Internet comme arme d’opposition, la théorie française est surtout l’occasion, outre-océan, d’une auto-réflexion ludique de la technique. Les textes français fournissent le moyen d’élucider grâce à la théorie un outil encore peu analysé. On va y puiser phrases ou concepts permettant de thématiser le réseau, d’en décrire les mécanismes, de démontrer même que son fonctionnement serait comparable à celui de la pensée théorique française – homologie récurrente de la toile et de la théorie, d’un vecteur de diffusion technique et d’un corpus de textes philosophiques, dont on trouve maints exemples sur les sites web de « French Théorie » : on retranscrit sélectivement un entretien avec Baudrillard pour en faire un monologue sur les nouvelles technologies ; on propose sous le nom de « Deleuze & Guattari RhizOmat » un module de citations « piratées » des deux auteurs qui se déclenche au gré des liens hypertexte comme si leur pensée constituait elle-même une machine aléatoire ; ou on fait du motif de l’infection et de la dissémination chez Derrida le portrait même du Net (lire à ce sujet » Propagations » de Dominique Boullier chez Armand Colin). Les auteurs français sont présentés l’un après l’autres comme les prophètes du grand réseau – au premier rang Deleuze et Guattari, dont le motif botanique du rhizome, ce réseau souterrain et non hiérarchique de tiges à liaison latérales, annoncerait exactement l’internet.
De tels effets de miroir entre l’arsenal théorique et les modalités du réseau s’appuient sur leur nouveauté à chacun, discursive pour celui-là, technique pour celui-ci. Certains forums de discussion suggèrent de relire chaque œuvres française comme réseau de concepts et, dans l’autre sens, aborder le net lui-même en tant que programme réalisée de la théorie française. C’est le cas sur la fameuse « D&G List », une « Chat room » réunissant depuis 1993 fans ou exégètes de Deleuze et Guattari. De Montréal à Sydney, et de Los Angeles à Warwick, fief universitaire des deleuziens britanniques, les participants parlent ainsi, pour le réseau, d’une « BwO Zone » (pour corps sans organes), de « démultiplications machiniques » et de « synthèses conjonctives » , variation sur les « synthèse disjonctives » chères aux deux auteurs. Ils assimilent la désubjectivation en-ligne, et tous les jeux de rôles qu’autorise le courrier électronique, au souhait des auteurs de « Mille Pateaux », dès la première page de se « rendre méconnaissables », de rendre imperceptible ce qui nous fait agir, éprouver ou penser ». Aux États Unis comme en Europe, les internautes deleuzo-guattariens rangent ces tactiques de disparition et de démultiplication sur le réseau sous la rubrique générale de « matérialisme cybernéique », insistant sur la solution de continuité du réseau au monde matériel, mais aussi du corps de l’usager au corps du Net, sur les plaisirs d’une perdition dans la « rhizophère », de même que Jaron Lanier, co-inventeur du premier dispositif de réalité virtuelle, a pu louer avec des accents barthésiens « le corps érotique du réseau », l’imprévisibilité de l’hypertexte comme « force qui tient du désir ». Qu’il s’agisse d’un tel désir de réseau ou du recours à un langage théorique qui en mime les mécanismes, des utopies anachisantes ou des libertés plus textuelles (stylistiques, lexicale, référentielle) qu’on a vu prises par les contributeurs aux e-zines de théorie, des formes de subjectivation inédites émergent ainsi sur le Net. Grâce à un langage neuf, c’est une véritable production de soi qui s’opère en effet à la croisée du médium nouveau et du référent théorique. Il y a convergence de l’habilité technique et de la caution théorique, personnalisation de la machine en même temps que du texte français, chaque usager empruntant aux deux pôles pour inventer des façons de faire singulières – et devenir aussi « autarcique » que le réseau, tout en étant aussi « affirmatif » que le texte, seul sur son clavier ou dans le cadre des innombrables microcommunautés d’internautes.
Pareille convergence a un double avantage. Elle fournit aux pionnier diffus de l’internet un langage et des concepts où réfléchir leur pratique, et aux auteurs français un vecteur de diffusion beaucoup plus large, et moins coûteux, que l’industrie du livre – contribuant à étendre leur lectorat au-delà des seul campus. Mais les promesses politiques de la zone d’autonomie temporaire ne survive pas à l’accélération de l’essor des réseaux au milieu des années 1990. Parmi les cyber-cultures alternatives, toutes ces politiques du réseau nées de la période pionnière, la mouvance qui va l’emporter – et dont les arguments imprégnaient déjà le livre d’Hakim Bey – est celle des libertariens civils (civil libertarians) véritables héritiers en-ligne des premiers pionnier qui vont faire triompher sur le Net l’idéologie du « libre accès » : défense d’une liberté d’expression sans contenu, intransitive jusqu’à la tautologie, abolition du copyright au profit d’usages communautaire auto-régulés, et surtout, sur le refrain du « complot de Washington », appel à la privatisation généralisée et diabolisation du pouvoir étatique, qui espionne les correspondances et encrypte ses propres informations. Promu par l’Électronique Frontier Fondation de John Perry Barlowe (Parolier du groupe Grateful Dead) et quelques autres groupes de pression blancs et régionalistes, ce courant fait de la sacro-sainte liberté d’expression le seul « contenu » du réseau, aux dépend d’un programme politique exogène, d’une action collective hors du Net – puisqu’il refuse l’idée même d’espace public. En gagnant la bataille idéologique du réseau, les libertariens en ont écarté l’autre interprétation politique, plus tactique, moins envoutée par la technologie, celle qui défend un usage parallèle du Net au service de luttes qui le précèdent, celle qu’appelait de ses vœux Guattari sur le modèle des radios libres – et que promeuvent en vain, et en citant Virilio et Deleuze, les jeunes époux Kroker, fondateurs du e-zine Cthéory, qui regrettent dès 1997 l’hédonisme réactionnaire d’une Toile sans limites qui n’est déjà plus, selon eux, qu’un vaste parc d’attraction.






La pensée foulcado-deleuzienne
Au-delà des seul traductions, il est possible désormais de mettre les apports théoriques et politique forte de l’universalisme républicain à la française, même si un tel geste, impensable pour l’instant dans le champ intellectuel grand public, passe encore par les raccourcis du plaidoyer pour la minorité sexuelle en tant que telle, par exemple chez Marie-Hélène Bourcier, ou par les dossiers à charge des revues les plus acquises à la pensée foulcado–deleuzienne, de Chimère à Multitudes. Pendant ce temps, l’Université française, moins timidement qu’il y a quelques années, monte colloques et centres d’études sur la théorique queer, les débats féministes américains, le paradigme postcolonial ou même les « performance studies », au croisement des théories du corps performatif (de Derrida à Judith Butler) et des univers français de la danse et du théâtre. L’important, ici, est qu’il s’agit souvent moins d’un décalque des positions et des polarités étatsuniennes que de fourbir, en puisant dans le corpus anglo-saxon aussi bien que dans les textes canoniques de la « théorie française », ses propres armes critique et théoriques, adaptées au contexte spécifique de la France de ce début de millénaire. Car on peut transplanter des textes, mais on ne saurait bien sûr importer un contexte, et c’est forts d’un tel sens du déplacement que certains intellectuels et militants français développent aujourd’hui avec les textes en question le rapport d’usage, de mise en œuvre, donc aussi d’inventaire critique, qu’a su déployer avant eux l’Université américaine, et qu’avaient longtemps tenu pour illégitime l’Université française et sa tradition d’exégèse désincarnée. Ce dont est venue témoigner récemment, malgré la fièvre commémorative et les enthousiasmes ponctuels et solennels qu’elle suscite, une certaine inflexion pratique, politique, donnée ici et là aux célébrations de Foucault et Deleuze – respectivement pour les vingtième (2004) et dixième (2005) anniversaire de leur mort, mais aussi à l’hommage national bien pardoxal (pour un pays qui a longtemps boudé son œuvre) rendu à Jacques Derrida au moment de sa disparition en octobre 2004 : à bien y regarder, on pouvait en effet discerner, parmi le concert de louanges contrites ou même hypocrites, les aveux autrement interessants de militants, de poètes ou même de musiciens venus raconter l’usage qu’ils avaient de certains de leurs textes ou de leurs concepts. L’exemple le plus frappant de ce nouveau rapport d’usage, libre et politiquement chargé, est peut-être le stimulant numéro consacré par la revue Vacarmes à Michel Foucault, là aussi au milieu d’une pléthore de commémorations plus convenues : des stratégies d’Act Up au nouveau paysage carcéral, et de SOS Racisme à la carte européenne des camps de détention d’immigrés clandestins, il s’agissait de mettre à l’épreuve du présent les outils foucaldien, quitte à faire honnêtement la part de ce qui nous y relie et de ce qui nous sépare. Difficile, bien entendu, de tirer des conclusions définitives d’une telle évolution et de symptômes aussi disparates, sinon aussi localisés. D’autant qu’à la faveur de ces retours en grâce, médias et institutions ne manquent pas à leur tour de déployer leurs propres tactiques de réappropriation, ou de circonscrire parfois un nouveau créneau porteur autour de ces « pensée rebelles ». Q’un rapport neuf à ces textes d’il y a trente ou quarante ans et l’ouverture tardive aux courants qu’ils ont alimentés outre-Atlantique et dans le reste du monde puissent venir féconder en France de nouvelles pratiques, artistiques ou militantes, et contribuer à modifier la carte du champ intellectuel, on ne pourra en juger qu’à moyen et long terme. Car une telle évolution renvoie, en fin de compte, à l’espace social dans son ensemble, à l’appareil idéologique dominant tout autant qu’à des boulversements culturels et symbolique de grande ampleur, et non pas seulement à l’organisation de l’institution universitaire ni même au champ de production des discours. Si les signes se font jour d’une crispation française face aux questions et aux courants de pensée décrits dans ce livre, de puissants obstacles demeurent encore pour qu’ils essaient au-delà des cercles les plus directement concernés. Mais le pli semble pris, le mauvais sort brisé, et de l’Europe en débat et de la gauche en crise, une politique des textes inédits – et une critique sociale largement renouvelée. À ce titre en tout cas, la trop longue parenthèse des années 1980 se referme peut-être enfin.



La théorie française




Finalement, s’il est une leçon de cette invention américaine de la théorie française, comme de son abandon en France et de ses avatars mondiaux, c’est celle d’une continuité à rétablir coûte que coûte, contre les représentations polarisantes et les discours binaires : marxisme allemand contre nietzschéisme français, alors même que la micropolitique est le prolongement de l’idée de révolution ; phénoménologie française contre « perspectivisme » (multiplication des points de vue, pluralisation du sujet) postructuraliste, là où celui-ci n’est peut-être qu’une radicalisation de celle là, comme le suggérait Vincent Descombes ; ou encore le communautarisme américain contre l’universalisme français, qui dissimulent derrière des décalages de champs la convergence profonde de deux puissances alliées, ou les querelles que suggérait Bourdieu entre « deux impérialisme de l’universel » concurrent mais complémentaire. Reste donc à souder, à connecter, à continuer de brancher – Marx sur les théories non dialectiques de la différence, les luttes pour les droits civiques sur les politiques identitaires de l’université, le romantisme révolutionnaire sur les micropolitiques plus tactiques, le sexe ou la race, sur la classe sociale, et les radicalismes théoriques américains sur les nouvelles formes de dissidence sociale en France : des salles de cours aux politiques groupusculaires, ce sont autant de continuités à rétablir contre le fatalismes en vogue du postmoderne, de la fin de l’histoire et de la génération perdue, et leur impuissances. Le matérialisme, en tant que tradition intellectuelle, est d’abord cette méfiance joyeuse envers tous les discontinuismes, et leurs fausses séparations. C’est un travail de branchement, en d’autres termes, contre le mythe des ruptures, le fantasme des arrachements et des déconnexions. Guattari nous parle de « trahison créatives ». Pensées vivantes. Elle sont surfaces sensibles, peaux effleurées, sombres replis – moins un corps de pensée, débonnaire et charnu, qu’une zone de contacts aux frontières érodées. Il suffit d’une seule citation, d’un argument repris, d’un livre mentionné ou d’une œuvre entière dans l’effacement de son nom propre. Leur circulation, leur détournement, leur transfert loin du contexte qui les vit naître et l’audace même de leurs usages, contre les modesd’emploi d’une didactique des textes, font ensemble – après qu’ils ont quitté leur auteur, mais avant qu’un corpus déjà ne les ait embaumés – toute l’érotique de la pensée. Son errance, incertaine. Le frottement des deux termes paraît secouer la poussière d’une époque révolue ; pourtant, l’idée d’une libido théorique (non une jouissance des mots, bien sûr, mais un rapport libidinal à la théorie) n’avait pas attendu les années 1970 pour nous rappeler l’ancestral tapin des textes, leurs œillades aguichantes sur les trottoirs de l’histoire, d’autant plus prometteuses qu’elles échappent au contrôle de leurs tristes souteneurs, héritier officiels ou exégètes d’école. Avec cette drague des textes il n’est pas question de métaphore, mais d’opposer le désir comme jeu – au sens de la mécanique- délai, ripage, à la proscription du moindre flottement, à l’introspection des bons emboitements, qui président de leur côté aux interprétations légitimes. Celles-ci postulent une source magique, majuscule, une essence textuelle avec sa vérité monosémique. Et jugent sévèrement, à son aune, les lectures étrangères, les feuilletages étudiants, les reprises fragmentaires et toutes les instrumentalisations, autant de distorsions sympathiques, mais qu’invaliderait leur caractère de blasphème. Le désir en question, au contraire, s’échauffe au contact des textes, entiers ou en lambeaux, à la mesure d’un intervalle premier auquel on doit la vie des textes : intervalle entre l’irruption de l’écriture et sa normalisation anthologique, entre les logiques de champ et les aléas de la postérité, entre les effets de mode et le changement souterrain des paradigmes. S’ouvre ainsi une zone de non-droit entre contrôleurs d’origine et propriétaires à venir, une zone toute d’interstices à l’abri de laquelle, loin des gardien de l’œuvre, des textes seront mis en œuvre : ils s’inscriront le long de certains parcours, tatoueront des corps, investiront des pratiques et rassembleront des communautés inédites. C’est au sein d’un tel intervalle que s’est jouée aux États-Unis, au tournant des années 1980, l’invention de la théorie française – un intervalle ouvert, au creux duquel sa puissance est toujours intacte.


Il était une foi Fred Turner
Cette évolution technique qu’est le World Wide Web, aussi spectaculaire soit-elle, ne peut être la source unique des utopies auxquelles furent associés les ordinateurs. Qu’une telle machine puisse être posée sur un bureau et manipulée par un individu n’en fait pas pour autant une technologie « personnelle ». Que des groupes de personnes échangent via un réseau d’ordinateurs connectés n’implique pas nécessairement que leurs interactions en ligne s’inscrivent dans une logique de « communautés virtuelles ». Au contraire, sur les lieux de travail, ordinateur de bureau et en réseaux peuvent devenir de puissants leviers pour assimiler plus encore l’individu à son entreprise. Au sein du foyer, si les mêmes outils permettent aux écoliers de télécharger les contenus de bibliothèque publiques, ils transforment également le salon en super-marché numérique, opportunité dont se saisissent les boutiques afin de collecter toutes sortes d’informations personnelles sur ces consommateurs potentiels. Malgré les promesses d’une utopie en marche auréolant l’émergence de l’internet, rien ne vouait l’ordinateur, connecté ou pas, à aplanir les structures organisationnelles, participer de l’individuation des humains ou œuvrer à la création de communautés soudées malgré la dispersion géographique.





Le rêve d’une ad-hocracie distribuée
Pourquoi alors, ordinateurs et réseaux furent-ils le moteur des rêves d’une ad-hocracie distribuée, d’un marché libre et égalitaire et d’un « Soi » plus épanoui ? Où ces rêves avaient-ils pris forme ? Et qui enrôla ces outils informatique comme porte drapeaux ? Pour répondre à ces questions, il faut en revenir à l’histoire d’un groupe extrêmement influent de journalistes et d’entrepreneurs de la baie de San Francisco : Stewart Brand et le réseau Whole Earth. Entre la fin des années soixante et la fin des années quatre-vingt-dix, Brand constitua un réseau composé de personnes et de revues qui furent à l’initiative d’une série de rencontres entre les milieux bohèmes de San Francisco et la silicon valley, carrefour technologique naissant. Dés 1968 il regroupa les acteurs des deux mondes dans les pages d’un des ouvrages les plus représentatifs de l’époque, le Whole Earth Catalog. En 1985, il les réunit de nouveau au sein d’un dispositif de conférences électronique qui allait devenir le plus influent de la décennie, le Whole Earth Lectronic Link ou WELL. Dès lors, et ce jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, Brand et les autres membres du réseau, dont Kevin Kelly, Howard Rheingold, Esther Dyson ou encore John Perry Barlow, devinrent les personnalités les plus citées pour illustrer une vision contre-culturelle de l’internet. Finalement, en 1993, tous participèrent à la création de Wired, le magazine, qui plus que tout autre vantera la dimension révolutionnaire du monde numérique émergent.





Aux sources de l’utopie numérique
Fred Turner

« Ce livre réussit un véritable tour de force. Suivant la biographie de Stewart Brand, il dresse le portrait d’un personnage collectif : internet. En déplaçant l’attention des inventeurs vers les passeurs, Fred Turner offre une leçon de sociologie des sciences et des techniques. Toujours là au bon moment, Stewart Brand est le point d’intersection d’univers hétérogènes. Il amène le LSD dans les laboratoires du Stanford Research Institute, et introduit la micro-informatique dans l’univers pastoral des hippies… »
Dominique Cardon
Biographie de l’auteur
Fred Turner est professeur de sciences de la communication à l’université Stanford, au cœur de la Silicon Valley. Il est devenu un chercheur incontournable pour l’histoire de l’Internet, du multimédia, et des relations entre l’art, la technologie et les nouveaux pouvoir des entreprises de communication numérique.


Qu’est-ce que le samizdat ?
On se souvient de l’arbre qui surgit des fentes d’un rocher ou des ruines d’une église. L’arbre vert du samizdat est encore plus étonnant. Il pousse sur le bâtiment en construction du socialisme totalitaire.
Le samizdat est le modèle d’une littérature libre existant en l’absence de liberté. Il a une vieille tradition, incarnée le plus complètement en Russie par le sort de Pouchkine. La censure et les persécutions d’écrivains vont de pair avec tout régime totalitaire et autocratique. Les artistes ont toujours tenté de passer outre aux interdictions venues d’en haut. Mais si jadis il existait des œuvres interdites, maintenant il y a une littérature interdite. Qu’a de commun le samizdat avec la littérature habituelle et en quoi s’en distingue-t-il ? Le samizdat comprend tous les genres de littérature inhérents à la production littéraire libre : vers, prose, ouvrages sur la vie politique et sociale, recherches scientifiques, traductions, programmes pour la structure politique de la société. Mais il y a aussi des genres particuliers au seul samizdat : lettres aux journaux occidentaux (que ceux-ci ne publient pas toujours), et comptes rendus d’audiences judiciaires. Ce genre a été inauguré brillamment par la journaliste, aujourd’hui disparue, Frieda Vigdorova. Le samizdat ne se borne pas à donner les points de vue de l’opposition, il fournit également les textes ou les sténogrammes officieux des déclarations faites par les hautes personnalités dirigeantes lors de réunions tenues secrètes. Ces deux derniers modes d’expression extralittéraires ont été élevés par le samizdat au niveau d’un genre littéraire, tout comme autrefois l’art épistolaire est devenu littérature avec les sentimentalistes anglais où l’étude s’est transformée en une œuvre achevée avec la peinture française. Le trait caractéristique du samizdat est l’interpénétration des éléments littéraires et non littéraires. Il en est ainsi parce qu’il s’agit non pas d’une littérature libre, mais d’un modèle existant en l’absence de liberté et qui ne remplit pas que des fonctions littéraires.






Le forgeron des dieux
un roman signé Soliane

Dans cet exercice je me suis lancé précédemment à ce travail d’écriture et par curiosité naturel, dans un processus de déconstruction de la pensée occidentale qui c’est avéré être la déconstruction de ma propre pensée. Éliminant tour à tour les métaphores du langage sur le monde qui me semblais inappropriées. Reconstruisant l’édifice avec de nouvelles métaphores plus sonnantes, plus au faits de la vie.
Suite du texte ➤➤➤
