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Autonomie intellectuelle
L’autonomie, on en mange à toutes les sauces. En éducation, et en pédagogie particulièrement, c’est comme un hamburger, dans lequel on mélange tout ce qu’on aime, tout ce qu’on souhaite, pour obtenir à la fin un ensemble insipide. Une sorte de « mou tout » qui n’a plus aucune saveur spécifique. À vouloir mettre de l’autonomie partout et tout le temps, n’en perd-on pas le sens ?
C’est justement le sens de l’autonomie que l’ouvrage de Philippe Foray, philosophe de l’éducation, nous invite à retrouver.
En moins de 200 pages, en appui sur des référencements précis et une bibliographie étoffée, il propose des repères autour de questions chacune plus sensible que les autres : qu’entend-on par autonomie ? Quelles différences a-t-elle avec l’émancipation ? Quels modèles politiques développe-t-elle ? Quels sont ses objectifs, et ses paradoxes ? Il aborde également les liens entre autonomie et éducation, puis entre autonomie et autorité, les conditions qui permettent de devenir autonome, la place des jeux dans ces démarches. Il étudie spécifiquement les pédagogies de l’autonomie, au sein de deux contextes complémentaires, la famille et l’école, et interroge leur contribution à la lutte contre l’accroissement des inégalités. On le voit bien, la densité du propos ne laisse pas le temps au lecteur de s’ennuyer.
Lorsqu’il s’agit par exemple de s’entendre sur le sens du terme « autonomie », Philippe Foray le définit comme la capacité d’une personne à se diriger elle-même dans le monde. Mais il explique ensuite très clairement que cela ne suffit pas d’en rester là, parce que c’est une notion à plusieurs têtes. L’autonomie serait à la fois fonctionnelle, intellectuelle et morale. Fonctionnelle, c’est-à-dire agir par soi-même, ou « se dégourdir »,préfèreront certains, parce qu’elle se traduit par l’exercice de l’autocontrainte et de l’autodiscipline. Morale, pour choisir par soi-même, en particulier ce qui conditionne l’exercice de son existence à partir de ce qui nous semble bon ou désirable. Intellectuelle, à travers l’exercice de la réflexivité, pour penser par soi-même. C’est cette autonomie qui permet de lutter contre les emprises, notamment celles liées à la pulsion de la consommation et au flot débridé d’informations déversées par les médias de masse.
Au sujet de l’école, on redécouvre qu’elle existe d’abord comme lieu de la culture écrite. Le nier ou le minimiser empêcherait la jeunesse de disposer des bénéfices générés par la rencontre avec ces savoirs. C’est un véritable combat que d’entretenir cette fonction sociale, dans un monde où prédominent les logiques de l’immédiateté des désirs. Voilà certainement pourquoi le travail des enseignants se situe plus dans les marges plutôt qu’au cœur de la culture dominante.
Ainsi, Philippe Foray justifie le fondement de la transmission de la culture écrite par l’école. Mais, pour autant, il développe sans équivoque qu’il ne suffit pas d’enseigner pour que les élèves apprennent. Le principe premier des pédagogies de l’autonomie est donc de libérer les élèves de la dépendance à leurs enseignants, pour qu’ils deviennent progressivement auteurs et sujets de leurs apprentissages. Le proclamer n’est pas un gage d’accès naturel pour tous les élèves, parce que ces pédagogies ne sont pas, ipso facto, neutres socialement. Mais associer les élèves à ce qu’ils peuvent apprendre à l’école, c’est enrichir « les conditions de l’apprentissage ainsi que celle du lien entre l’apprentissage et le désir » (p. 168).
