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29- Ce qui a sérieusement élargi les possibilités vitales des organismes primaires a consisté dans leur capacité à copuler.
290- L’étape suivante sur la voie empruntée par l’organisme pour se libérer de l’emprise des conditions extérieures fut l’apparition d’une constance rigoureusement réglée par son milieu interne, que nous trouvons par exemple chez les animaux à sang chaud. Non seulement la température constante, indépendante des conditions extérieures, est maintenue dans le milieu interne de ces organismes, mais on voit apparaître des niveaux strictement déterminés de l’acidité, de la concentration de l’oxygène et de l’acide carbonique, de la teneur en sucre et en acides aminés, du rapport du phosphore et du calcium, etc., qui sont nos constantes biologiques d’aujourd’hui. Cela permet l’existence des animaux à sang chaud dans un éventail très large de conditions extérieures. L’organisation de nouveaux systèmes de régulation exceptionnellement complexes, pour lesquels le système nerveux et les glandes endocrines jouent le rôle principal, a été indispensable. Dans ces systèmes, des mécanismes récepteurs spéciaux enregistrent tout écart de la normale et, par un processus très complexe, transmettent les signaux aux organes qui rétablissent l’équilibre. La division d’une cellule bactérienne, contrairement à une simple réaction atomique, n’est pas un simple acte de désintégration, mais une chaîne très complexe de phénomènes dont le résultat est d’abord l’accroissement du système vivant et ensuite sa division, avec la conservation dans les éléments ainsi formés des mêmes formes d’organisation de la structure et du métabolisme. La capacité d’absorption active (visant à accroître la différence de concentration) de substances du milieu extérieur et la capacité d’excrétion se sont probablement constituées à un stade relativement précoce de la formation des systèmes vivants. Lorsque dans ces systèmes se sont créés les mécanismes de conjugaison à l’aide desquels l’énergie libre des réactions chimiques n’était plus dispersée sous forme de chaleur, mais était utilisée par les processus absorbant l’énergie, celle-ci se transformait en particulier en ATP et d’autres combinaisons possédant des liaisons riches en énergie. Ainsi, la capacité de transport actif des substances semble être à la base même de l’organisation de tout ce qui est vivant. Elle est propre à tous les organismes actuels. Il est intéressant de noter que même chez les organismes supérieurs contemporains capables d’aérobiose, l’arrêt momentané ou définitif de cette respiration n’inhibe pas le processus de transport actif. Le problème du transport actif est devenu particulièrement complexe avec l’apparition des multicellulaires, lorsque a surgi la nécessité du mouvement des substances non seulement à l’intérieur des cellules, mais aussi à travers celles-ci, le mouvement assurant une transmission rapide et bien réglée des différentes combinaisons d’une cellule à une autre et même à travers tout un système de cellules et de voies intercellulaires à des distances relativement grandes. La deuxième propriété essentielle des organismes vivants est leur capacité de croissance, d’augmentation irréversible de leur masse par suite de leur activité vitale aux dépens des substances du milieu extérieur. Cela découle du fait que les organismes sont des systèmes ouverts.
291- On ne peut aborder la question de la vie, de la biologie, de l’écologie aujourd’hui sans aborder ces sujets sous l’aspect de la science des systèmes. Dans les systèmes fermés, l’équilibre est conditionné par l’égalité des vitesses des réactions directe et inverse, et c’est pourquoi il ne peut y avoir aucune augmentation de masse. Au contraire, dans les systèmes ouverts, il est normal que la vitesse de réaction soit en sens inverse. Pendant le processus tendant à une complexité accrue des êtres vivants, la propriété initiale de croissance a été continuellement accompagnée de modifications qualitatives du métabolisme, modifications à la base du phénomène du développement ontogénétique des organismes. Plus un système vivant s’est élevé dans l’échelle de l’évolution, et plus le développement ontogénétique, étroitement lié à la croissance, a pris des formes complexes. Si le premier phénomène (croissance) n’a conduit qu’à une augmentation quantitative du système vivant, le deuxième (développement) a déterminé une différenciation qualitative de ses parties, différenciation toujours plus approfondie et apparaissant à certaines étapes de l’existence individuelle du système donné. Le métabolisme, en tant que réseau de processus strictement coordonnés dans le temps, ne peut évidemment jamais rester totalement invariable. En interaction étroite avec les conditions dans lesquelles il se produit, ce phénomène doit obligatoirement subir certaines modifications. Ce n’est qu’ainsi que peut se faire l’évolution des systèmes vivants.
Ainsi, dès la période initiale de l’évolution de la vie et surtout pendant la différentiation des organismes qui s’est constamment accrue par la suite, la mort a été et reste l’aboutissement normal et obligatoire des modifications qualitatives du métabolisme que subit chaque organisme pendant son ontogenèse. Donc, au début, il n’y avait que deux voies pour l’existence individuelle de chaque système vivant : il grandissait et se divisait, ou bien il vieillissait et mourait. Ces possibilités se sont par la suite élargies dans une certaine mesure. Premièrement, à un certain stade de l’évolution des organismes unicellulaires, ils ont acquis la capacité de former des spores ou des kystes. C’est alors que s’est produit le passage de la cellule à l’état latent, à l’anabiose. Ceci a une grande importance biologique pour la conservation de l’organisme dans des conditions extérieures défavorables (température trop élevée ou trop basse, faible humidité, etc.). L’état d’anabiose est très largement répandu dans la nature vivante. Il est essentiellement différent de la mort par le fait que lorsque l’organisme périt, de nombreuses réactions métaboliques conservent leur vitesse, ou même l’augmentent, mais leur coordination est perturbée. Au contraire, dans l’état d’anabiose, par exemple pour la déshydratation de la cellule ou pour son refroidissement excessif, la coordination des réactions métaboliques est conservée, mais toutes les vitesses des réactions se réduisent graduellement et régulièrement jusqu’à zéro. La deuxième circonstance qui, à une certaine étape de l’évolution, a sérieusement élargi les possibilités vitales des organismes primaires a consisté dans leur capacité à copuler, c’est-à-dire à réunir deux systèmes vivants, proches par leur organisation. Évidemment, malgré toute leur ressemblance, ces deux systèmes qui fusionnaient ne pouvaient être absolument identiques quant à leur métabolisme. Lorsqu’il y a interaction de plusieurs réseaux métaboliques différenciés dans un système vivant unifié, le processus vital de ce système est considérablement stimulé d’une manière encore inexpliquée. Cela peut être observé dans les cultures de plusieurs organismes unicellulaires.
292- La division active des corps vivants en croissance s’est produite, pour l’essentiel, que lorsqu’un métabolisme, même très primitif, s’est formé dans les systèmes vivants. On peut se représenter schématiquement ce processus de division active de la manière suivante. À la suite des processus synthétiques, il s’est formé dans le système vivant, à partir des substances du milieu extérieur, un certain polymère, une protéine par exemple, ou simplement de l’amidon. Ensuite, une modification régulière du métabolisme s’est effectuée dans le système, renforçant le processus de l’hydrolyse. À la suite de quoi s’est produite une décomposition du polymère qui a conduit à une formation rapide dans le système d’une substance active du point de vue de l’osmose (par exemple du sucre). Lorsque la vitesse de formation de cette substance dépassait celle de sa diffusion dans le milieu extérieur, une forte pression osmotique s’établissait à l’intérieur du système qui se divisait. Avec une modification inverse du métabolisme, ces fragments commençaient alors à grandir, accumulant les polymères, puis se fractionnaient à nouveau, etc. Plus la voie de développement phylogénétique est longue, plus l’être vivant se trouve à un degré élevé de l’échelle de l’évolution et plus les formes de son hérédité sont complexes. L’évolution des êtres vivants était dirigée vers la création et le perfectionnement du processus d’extension de l’excitation, car cela a contribué à renforcer la liaison entre l’organisme et le milieu. L’extension de l’excitation a reçu une importance toute particulière lorsque apparurent les multicellulaires. Les données de la physiologie comparée révèlent les voies de perfectionnement graduel de ce phénomène pendant l’évolution de la vie. Sous son aspect initial, cette forme de transmission de l’excitation est encore très imparfaite, car elle n’est réalisée qu’à une vitesse relativement très faible. Pendant l’évolution, une augmentation considérable de la vitesse de transmission de l’excitation a pu être obtenue sur cette base, mais un changement radical n’a été atteint que par l’apparition et le développement du système nerveux avec sa fonction spécialisée de perception des excitations et de transmission des irritations, ce qui a été un événement exceptionnellement important de l’évolution de la vie. Il a déterminé tout le développement ultérieur du monde animal pour lequel le système nerveux est devenu le chaînon essentiel des rapports entre les organismes et le milieu extérieur. Cette organisation du système nerveux a déterminé la naissance d’une nouvelle forme de réflexes de l’organisme aux influences du monde extérieur. À l’inverse de la réaction globale des organismes aux excitations pendant la période pré-nerveuse, il se produit après la formation du système nerveux une perception différenciée des actions du milieu extérieur par des récepteurs spécialisés : les organes de l’ouïe, de la vue, du toucher, etc. Plus la transmission de l’excitation se fait par le centre nerveux et plus la réaction de l’organisme se fait par l’intermédiaire d’organes exécuteurs spécialisés en réponse aux signaux qu’ils reçoivent. Ce phénomène, le plus important de la physiologie des animaux, s’appelle réflexe. Durant le processus de développement historique des animaux, le rapport entre les réflexes inconditionnés et conditionnés s’est constamment modifié au profit de ces derniers. Les formes d’activité innées prédominent sur leurs réflexes conditionnés dans le comportement des invertébrés et des vertébrés inférieurs. Chez les animaux supérieurs, la valeur des réflexes conditionnés augmente, ils deviennent toujours plus complexes et plus perfectionnés.
293- L’activité nerveuse supérieure des animaux est un ensemble de réflexes conditionnés multiformes et de nature différente qui se constituent pendant le développement de l’individu. Pavlov assimile en particulier à l’activité réflexe conditionnée les sensations, les notions et les impressions fournies à l’homme par le milieu extérieur. Ainsi, l’activité réflexe conditionnée est le premier système de signalisation de la réalité, commun à l’homme et aux animaux. Cependant, chez l’homme, par suite du développement de l’activité laborieuse et de la vie sociale, se sont développés et se sont extrêmement perfectionnés des signaux de deuxième ordre, les signaux des signaux primaires, sous forme de paroles dites, entendues et vues. Ce deuxième système de signalisation de la réalité n’appartient qu’à l’homme et il est qualitativement nouveau. D’après Pavlov, ces signaux des signaux sont des images de la réalité généralisées, abstraites et détachées. Ils sont une abstraction de la réalité et admettent la généralisation, ce qui constitue la faculté de penser, faculté supérieure, supplémentaire, spécifiquement humaine qui crée d’abord l’empirisme propre à tous les hommes et enfin la science qui est l’outil de l’orientation suprême de l’homme dans le monde et en lui-même. Ici, le domaine de l’évolution biologique de la matière est remplacé par sa nouvelle forme de mouvement, la vie sociale. Il est également indiscutable que parmi la multitude innombrable de ces corps, quelques-uns au moins ont dû suivre la même évolution que notre planète. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit de considérer notre Terre comme l’unique habitacle de la vie. Des formes identiques du mouvement de la matière doivent exister aussi sur d’autres planètes proches ou lointaines. Mais seuls les vols et voyages cosmiques pourront donner une réponse précise à cette question une fois résolu le paradoxe de « Fermi ».
Ce qui caractérise l’évolution de la matière, c’est qu’elle s’effectue à des cadences toujours plus rapides, comme si elle suivait une courbe très raide. L’évolution abiogénétique des substances organiques a duré des milliards d’années. Avec l’apparition de la vie, l’évolution s’est accélérée. Les transformations essentielles dans l’évolution de la vie ont nécessité des dizaines ou centaines de millions d’années. Un million d’années a suffi pour l’apparition et l’évolution biologique de l’homme. Les transformations sociales se sont effectuées pendant des centaines et milliers d’années. Et maintenant nous constatons aisément que des événements importants dans le développement de la société humaine se produisent en quelques dizaines d’années. Nous devons avoir toujours présent à l’esprit cette loi de l’évolution aussi bien en analysant les événements d’un passé lointain qu’en imaginant l’avenir. Lorsque apparaît quelque nouvelle forme de mouvement de la matière, les anciennes sont conservées, mais leur rôle dans le progrès suivant devient infime car les cadences de leur développement sont très inférieures à celles du développement de la nouvelle forme du mouvement. Nous l’avons vu sur l’exemple de la formation de la vie, lorsque les méthodes abiogénétiques de la synthèse des substances organiques sont passées à l’arrière-plan par rapport aux synthèses biologiques plus rapides. Cela concerne aussi le passage de la forme biologique du mouvement à la forme sociale par l’événement de l’arc réflexe.
294- Il est douteux que pendant le dernier millénaire l’homme ait beaucoup changé biologiquement, mais pendant ce temps il a acquis sur la nature une puissance sans précédent qui résulte d’une évolution sociale et non d’une évolution biologique individuelle. La grande voie du progrès humain n’est plus maintenant le développement biologique de la personne humaine individuelle, mais le perfectionnement de sa vie sociale. « Le progrès de la forme sociale du mouvement de la matière ».
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