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32- L’avènement du « Calorisme » ouvre la voie à un nouvel « Illuminisme ».
320- Dans les années cinquante, une nouvelle étape de la conscience humaine sera franchie. L’existence est nécessairement un processus à trois termes : le moi solipsiste, l’autre inféré comme continuité dans le monde et le langage. Le langage est un autre par lequel cet autrui exprime son sentiment vis-à-vis d’une réalité extérieure qui le contient comme elle est contenue par lui. Le langage est une extension consubstantielle de nous-mêmes, une prothèse laryngo-manuelle structurée en Logos techno-logique à caractère connotatif, « une Tehnologie », un bout de nous-mêmes sous forme d’une réalité détachée avec sa racine de nature subjective et son articulation, extension de nature objective, constituant un tiers agent, un grand Autre entre l’autre et moi, me délivrant le message de l’autre mais sous un ordre inversé. Le langage parle de lui-même. Comme nous parlons de nous-mêmes au travers du langage. Le langage est le troisième terme de notre Ontologie propre avec « l’Autre » pourvoyeur de langage et parlant de lui-même en disant « Je, tu, il » de la même manière que le langage comprend les mots et « comprend » le mot « mot ». Au lieu de nous servir du langage comme d’un outil pour exprimer nos pensées et nos expériences, peut-être qu’à partir du moment où je remarque que le langage me constitue et me contrôle, je commence alors à contrôler le langage (Heinz von Foerster), parce que nous sommes intégralement constitués de langages. Le langage n’est-il pas la matière qui cherche à comprendre comment l’esprit fonctionne ? Nous commençons à connaître les constantes qui règlent les mécanismes physiques de l’univers, les constantes physiques qui règlent les mécanismes du vivant. Nous pouvons désormais établir par des constantes nouvelles son évolution naturelle, c’est-à-dire la société. Les intellectuels ont le devoir de faire preuve d’intelligence collective pour se pencher sur la société, tel un médecin sur son patient, pour rétablir par la maîtrise de ces constantes son intégrité physique, psychique et spirituelle, plus délicate. Nous traversons le monde de nos âmes torturées et laissons les cendres de nos amours et de nos espoirs en guise de sédiment sur la voie de la destinée et de l’histoire. Car le feu couve dans une âme plus sûrement que sous la cendre. L’incendiaire est le plus dissimulé des criminels. Mais le feu prouve aussi son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore, il matérialise la fête des hommes. La valeur gastronomique prime la valeur alimentaire et c’est dans la joie et non pas dans la peine que l’homme a trouvé son esprit. La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. L’amour, la mort et le feu sont unis dans un même instant. Par son sacrifice dans le cœur de la flamme, l’éphémère nous donne une leçon d’éternité. La mort totale et sans trace est la garantie que nous partons tout entiers dans l’au-delà. Tout perdre pour tout gagner. La leçon du feu est claire : « Après avoir tout obtenu par adresse, par amour ou par violence, il faut que tu cèdes tout, que tu t’anéantisses. »
321- Mais le Phénix renaît de ses cendres, comme un désir un instant apaisé. On voit de reste que cette allégorie est marquée de la double primitivité du feu et de l’amour. Si l’on enflamme quand on aime, c’est la preuve qu’étant aimé, on s’enflammait. La théorie de ce feu immanent à la matière détermine un matérialisme spécial pour lequel il faut créer un mot, car il représente une nuance philosophique importante, intermédiaire entre le matérialisme et l’animisme : le « Calorisme », correspondant à la matérialisation d’une âme ou à l’animation de la matière. Il est une forme de passage entre matière et vie. Il est la sourde conscience de l’assimilation matérielle de la digestion, de l’animalisation de l’inanimé. Le calorisme du poète Novalis, dont la littérature nous a suffisamment indiqué la profondeur, se sublime en une vision illuminée. C’était là une sorte de nécessité matérielle : on ne voit pas d’autre idéalisation possible pour l’amour de Novalis que cet illuminisme. Peut-être serait-il intéressant de considérer un illuminisme plus coordonné comme celui de Swedenborg et de se demander si derrière cette vie, dans une lumière primitive, on ne pourrait déceler une vie plus modestement terrestre. Le feu de Swedenborg laisse-t-il des cendres ? Résoudre cette question serait développer la réciproque de toutes les thèses que nous pouvons présenter. Il nous suffit de prouver que de telles questions ont un sens à travers l’étude psychologique de la rêverie par l’étude objective des images qui nous enchantent.
322- Dans la cosmogenèse grecque, antérieurement à l’émergence d’Héphaïstos, les trois premiers forgerons qui nous sont parvenus à la conscience historique via la mémoire profonde sont les cyclopes du récit d’Hésiode. Fils de Gaïa (la Terre) et d’Ouranos (le Ciel). Tous trois, Brontès, Stéropès et Argès, maîtrisent le feu, la foudre et la forge. Ils sont les chevilles ouvrières qui bâtissent le monde et sont devenus par la suite les marteleurs du forgeron Héphaïstos. Mais les cyclopes ainsi qu’Héphaïstos sont turbulents, laids et difformes. C’est le prix à payer pour la transformation de la matrice, la maîtrise de la matérialité. La mise en forme du fer laisse des traces physiques dans le corps du forgeron. C’est à ce prix que notre univers se construit, coup par coup, par le feu dans les mains des architectes, des artistes et des artisans. Mais les cyclopes nous parlent et nous avertissent des dangers mortels d’une foudre mal maîtrisée. Ainsi, toutes ces questions nous sont posées dans la mythologie, qu’il nous faut relire, comprendre et interpréter. Par le fait, les réponses nous sont de nouveau à créer. Mon appétence pour la théosophie, le goethéanisme et la théologie négative me pousse à penser que les fondements de l’existence se trouvent dans l’action du « Créatif » et sa pratique rituelle par la « Contemplation de tout ce qui est ». Ainsi, le « Créatif » n’existe qu’en présence de la manifestation concertée des trois fées du sublime : « la déterminée », « la probabiliste » et « la relative », et s’appelle aussi « Liberté ». La liberté, c’est de pouvoir s’extraire du système pour mieux pouvoir y revenir, comme Rousseau, et le déranger par des questionnements sur soi, comme Socrate. Ainsi, seule la contemplation partagée de ce qui « dure » dans l’intuition collective, d’un « possible » qui peut faire lien entre la forme des événements qui nous meuvent à un moment donné et le sens des choses qui suscite le respect de la vie et des mouvements qui les constituent. L’Utopie réunit tous ces facteurs.
323- L’Utopie serait l’accord sur une diagrammatique des aspirations organisées selon les principes théosophiques de Charles Fourier. Elle est faite de désirs et d’accords spontanés, de capacité de s’extraire ou de force de convaincre. La société de Charles Fourier est une société turbulente en soi et parfois difforme, un îlot d’optimisme sincère d’où émergent l’innocence candide de nos propres limites dans la jubilation d’elle-même. C’est une société qui se réinvente sans cesse par la contemplation collective de tous ces phénomènes qu’elle produit et des processus du monde qui l’englobe. Nous gravons nos désirs discrétisés dans le continu du réel. Ainsi, notre vision du monde n’est qu’un choix, mais un choix raisonné qui reste un choix et pourvu qu’il soit joyeux. Le monde pourrait être autre, mais il est ce qu’il est parce que nous avons fait ce choix collectivement, sans oublier que l’éventualité que le monde soit autre demeure. C’est le fait qu’au moment où les hommes ont destitué les dieux, ces dieux leur ont légué l’intégralité du monde et tout pouvoir en guise de défi. Quand le continu du réel se décompose par l’effet de nos désirs et rencontre les lois de la thermodynamique, il se décompose en systèmes, et le premier des systèmes en est le système « Historique », émergeant de la dimension de « Planck ». C’est le système qui contient tous les systèmes, dont un, en particulier, nommé « Organologie ». C’est le système du vivant dont le premier terme en est « l’Écologie », et dans lequel un élément de cette Écologie se nomme « Mécanologie ». La « Mécanologie » appartient au domaine de « l’Organologie » et son premier terme en est « l’Architecture ». Ainsi, nous en revenons à l’architecte Dédale, hypostase du dieu du feu, de la foudre, de la thermodynamique et de sa symbolique. Elle le conduit à la logique combinatoire et à la science des systèmes. Ainsi, l’Organologie est une émanation de la systémie générale, son premier véhicule étant l’Histoire. C’est Oparine qui nous l’a récapitulé dans son ouvrage « Les origines de la vie ». Suite aux événements cosmiques qui ont conduit à la constitution de la Terre et du bouillon vital constitué par l’Océan primordiale, à deux milliards et demi d’années de nous, il y eut :
1- les jeux combinatoires multiples à partir des composés du carbone.
2- l’acquisition de la dissymétrie.
3- l’acquisition de la complexité par polymérisation.
4- l’utilisation de la forme coacervée par l’opportunité de la force faible (le coacervat est une micro-bulle constituée par l’agitation d’un bouillon de matières argileuses et de matières abiogénétiques).
5- l’apparition des règles de la sélection naturelle des systèmes coaservés au dépend d’un environnement constitué d’un bouillon amniotique constitué par les excrétions des coacervas.
6- l’apparition par les principes de la sélection naturelle d’une objectivité dans les structures intramoléculaires.
7- l’apparition de processus d’endosmose des systèmes coaservés et élaboration des métabolismes (principe premier d’un système ouvert).
8- l’utilisation circonstancielle des structures moléculaires à haut pouvoir catalytique.
9- la constitution d’une structure « Albuminoïde » à partir de protéines, acides nucléiques, lipoïdes, hydrates de carbone complexes réalisant le protoplasme.
10- la réalisation des trois métabolismes primitifs : oxydo-réduction, multiphosphorylation conjuguée et polymérisation présentes conjointement dans l’environnement.
11- le passage à l’état d’« éobionte », coacervat multiplexée à son environnement en état de croître par le métabolisme primaire des mécanismes catalytiques à la puissance X3.
12- l’apparition d’une conscience collective et d’une organisation collective à partir des lois de la condition environnementale d’existence partagée.
13- en abandonnant les éléments ferriques, les éobiontes perfectionnent les mécanismes catalytiques régulant l’horlogerie des processus vitaux par la production d’enzymes.
14- en se complexifiant sans cesse, ces processus vitaux aboutissent aux polynucléotides. Les polynucléotides se distinguent des autres polymères par une particularité remarquable. Deux chaînes de polynucléotides peuvent former une spirale double en se complétant.
15- puis sélection naturelle d’une vingtaine de types spécifiques d’acide ribonucléique solubles à faible poids moléculaire (ARN).
16- le perfectionnement des processus vitaux par constitution du modèle ADN plus ribosomes.
17- l’apparition de « mitochondries » synthétisant l’acide adénosine triphosphorique (ATP), principal transporteur d’énergie libre dans les organismes.
18- l’organisation spatiale des processus métaboliques et spécialisation dans les mécanismes de régulation des chaînes catalytiques.
19- l’émergence de la capacité d’auto-reproduction par son efficience spatiale et sa répartition statistique de son organisation, plus sa capacité de croissance jusqu’à la rupture par partitionnement (structures de Turing).
20- l’appareil photosynthétique, aussi perfectionné soit-il, n’a pu se former que pendant l’évolution des organismes sur la base des systèmes et des ensembles préexistants, ainsi :
21- après l’établissement massif de l’oxygène dans l’atmosphère et l’apparition de l’ATP et le Co-enzyme A, transporteur de l’hydrogène, apparition de l’aérobiose : la respiration.
22- perfectionnement des mitochondries par l’apparition de membranes lipoprotéiques possédant la capacité de gestion de l’organisation spatiale de l’organisme.
23- rassemblement des polynucléotides en système ADN.
24- développement de processus sexuels en vue d’échange des chaînes d’ADN.
25- apparition d’un milieu intracellulaire et ensuite formation de voies conductrices spécialisées permettant d’effectuer le transport des substances beaucoup plus rapidement que par leur transmission trans-cellulaire.
26- le bond évolutif suivant fut l’établissement du mécanisme homéostasique des animaux à sang chaud.
27- élargissement des capacités d’adaptation à l’environnement par anabiose (état d’hibernation).
28- la deuxième circonstance qui, à une certaine étape de l’évolution, a sérieusement élargi les possibilités vitales des organismes primaires a consisté dans leur capacité à copuler. Ainsi, tout est système.
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