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7- Quand le paradigme de l’intérieur et de l’extérieur se sent ébranlé, le principe d’autonomie individuelle et collective s’en ressent conforté.
70 – La pensée complexe contient les principes qui mènent de concert à l’autonomie individuelle et collective. Et c’est à ce projet d’autonomie individuelle et collective, dans le prolongement des idées de Charles Fourier, que Gabriel Tarde s’est attaché à élaborer. C’est, à ses yeux, la seule voie vers le progrès social. C’est dans le dépassement de l’imitation que le ferment de la création et de l’innovation alimente l’économie de la culture, corolaire d’une autonomie agraire et domestique. Pour une innovation, un capital spéculatif ou « Cotylédon » (terme tardien voulant dire stérile) en ponctionne quatre-vingts pour cent de la valeur en réplications, jusqu’à l’épuisement des ressources. Une création à elle seule vaut autant que toute l’exploitation qui en est faite en aval. De fait, la capacité créative d’une population démultiplie les mouvements économiques de façon exponentielle. En explorant minutieusement les travaux en économie de Gabriel Tarde, nous pouvons percevoir en trame la définition de ce qui pourrait être les principes d’une économie informelle issue de cette créativité, ferment de l’économie classique.
71 – Et sa devise préconisée pour tout homme éveillé, connecté à son intuition et soucieux de ses concitoyens, serait dans ce cas, comme le déclarait Charles Fourier : « Mon réservoir d’idées est comparable à la source du Nil : on ne la connaît pas, mais elle fournit en abondance. » Telles sont les lois universelles tirées de la nature, comme une loi de la fertilité. La pensée de Gabriel Tarde chevauche le dialogue de Darwin à Marx sur les lois de l’évolution biologique et sociale. Pour Gabriel Tarde, l’évolution tient plus du fait d’une biodiversité culturelle indescriptible et foisonnante que d’un mécanisme d’élévation des conceptions d’une logique partagée de manière unilatérale. À l’époque de Gabriel Tarde, l’entrée de la doctrine du monisme en philosophie des sciences dans les débats tend à pulvériser l’univers social et à multiplier indéfiniment les êtres. Mais elle ne tend pas moins nettement à unifier la dualité cartésienne de la matière et de l’esprit. Selon lui, « par là on court, non pas à un anthropomorphisme mais à un psychomorphisme », une pan-sémiotique de la forme qui porterait dans ce cas l’âme du monde de façon flagrante.
72 – Cité dans son livre « Modadologie et sociologie », il nous dit qu’on ne peut effectivement concevoir le monisme que de trois manières possibles :
– Soit en regardant le mouvement de la matière cérébrale et de la conscience, « la vibration d’une cellule cérébrale, par exemple », et l’état d’esprit correspondant, comme deux faces d’un même fait, et l’on risque de se leurrer soi-même par la réminiscence du Janus antique.
– Soit en faisant découler la matière et l’esprit, dont on ne nie pas la nature hétérogène, d’une source commune, d’un pseudo-esprit caché et inconnaissable, et l’on gagne à cela une trinité phénoménale primitive en lieu et place d’une dualité psychique.
– Soit enfin en posant résolument que la matière est de l’esprit, rien de plus.
Mais il y a deux façons de l’entendre. Avec les idéalistes, on peut dire que l’univers matériel, y compris les autres moi, est mien, exclusivement mien, qu’il se compose de mes états d’esprit ou de leur possibilité en tant qu’elle est affirmée par moi, et l’on risque le travers « solipsiste ». Il ne nous reste plus qu’à admettre, avec les monadologistes, que tout l’univers extérieur est composé d’âmes autres que la mienne, mais au fond semblables à la mienne (vision bouddhiste). Il se peut que ces trois états de faits soient non seulement possibles mais complémentaires et simultanés. Ainsi, comme il le pense, nous portons l’Univers en nous.
73 – À son époque, il y eut des physiciens comme Tyndall, des naturalistes comme Haeckel, des philosophes historiens comme Taine, des théoriciens de toutes les écoles, soupçonnant que le hiatus du dedans et du dehors, de la sensation ou de la vibration, est illusoire. Leurs arguments et la concordance de leurs convictions sont troublants, sous réserve de comprendre la concordance du mouvement et de la sensation, que Bergson abordera en 1904 par le « paralogisme psycho-physiologique ». Entre les variations purement quantitatives du mouvement, dont les déviations sont elles-mêmes mesurables, et les variations purement qualitatives de la sensation, comme savait si bien le décrire Henri Bergson, qu’il s’agisse de couleurs, d’odeurs ou de saveurs, le contraste est trop flagrant pour notre esprit. Mais Freud nous a enseigné que l’origine du psychisme provient de la libido, processus physique alimenté par l’ensemble du corps fournissant l’énergie aux pulsions. Ceci dans une dualité de pulsion de vie et de pulsion de mort. Il en découle les deux états de l’âme, ou plutôt les deux forces de l’âme investies de ces pulsions, appelées croyance et désir, d’où dérivent l’affirmation et la volonté présentant ce caractère éminent et distinctif (thème central du philosophe Arthur Schopenhauer).
74 – Depuis la moindre inclination à croire et à désirer, jusqu’à la certitude et la passion, et enfin par leur mutuelle pénétration, la croyance et le désir jouent dans le moi, à l’égard des sensations, précisément le rôle extérieur de l’espace et du temps à l’égard des éléments matériels. Nous devrions examiner si cette analogie ne recouvrirait pas une similarité. Si, au lieu d’être simplement des formes de notre sensibilité, l’espace et le temps ne seraient pas par hasard des notions primitives ou quasi-sensations continuelles et originales par lesquelles se traduiraient à nous, grâce à nos deux facultés de croire et de désirer, la source commune de tout jugement et par suite, de toutes notions, degrés et modes de croyance, degrés et modes de désir, des agents psychiques autres que nous-mêmes. Dans cette hypothèse, les mouvements des corps ne seraient que des espèces de jugements ou de desseins formés par des monades. Ainsi, « En vérité, on a le droit de se demander, en comparant aux inventions des molécules, aux industries des cellules, aux arts cellulaires, tels qu’une journée de printemps nous les expose, nos arts, nos industries, nos petites découvertes scientifiques humaines étalées dans nos expositions, s’il est bien certain que notre intelligence et notre volonté à nous, grands moi disposant des vastes ressources d’un gigantesque état cérébral, l’emportent sur celles des petits moi confinés dans la minuscule cité d’une cellule animale ou même végétale. Certes, si le préjugé de nous croire toujours supérieurs à tout ne nous aveuglait pas, la comparaison ne tournerait pas à notre avantage. C’est ce préjugé, au fond, qui nous empêche de croire aux monades. »
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