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Le wikilogue
Le 14 janvier 1967, Premier Human Be-in de San Francisco, « Le rassemblement des tribus » au Polo Field du Golden Gate Park. Dans une Amérique encore ségrégationniste, Haight Ashbury affiche fièrement sa mixité. Les communautés raciales sociales et culturelles se mélangent. Les Diggers sont les premiers à favoriser ce brassage. Ils coorganisent la fête du jour de l’an 1966-67 avec les Hell’s Angels et inspirent celle donnée quelques jours plus tard dans un bar de North Beach, durant laquelle on lit des poèmes en leur honneur, le « Poet’s Thank You to the Diggers ». La participation du poète Michael McClure à la Mort de l’argent, menant la parade avec sa harpe, avait attiré l’attention des grands frère de la beat génération qui désiraient les rencontrer, séduits par leur prose égrénée le long des fameux Diggers Papers et par leurs actions aussi radicales qu’artistiques. Parmi les auteurs réunis, Allen Ginsberg, Gary Snyder, Lew Welch, David Meltzer, Ron Loewinsohn, George Stanley, on y rencontre Richard Brautigan, Lenor Kandel et Bill Fritsch, son compagnon, qui rejoindront activement les Diggers. La centaine de personnes venues écouter fait tourner une casquette qui se remplit avant d’arriver entre les mains des Diggers. Sans hésitation, ces derniers remettent tout l’argent au barman pour une tournée générale : « Le seul remerciement que nous acceptons, expliquent-ils, c’est la gratuité totale de l’événement ! ». Militants de la Nouvelle Gauche, poète beat, Hell’s Angels ou consommateur d’acide, les Diggers réunissent tous les acteurs de la scène alternative qui souhaitent les rejoindre. allen Cohen, fondateur du journal L’Oracle, comprend lui aussi la nécessité de réunir les divers communautés de Haight. Il reprend l’exemple du « Love Pageant Railly du 6 octobre 1966 et lance un appel aux leaders de tous les mouvements pour organiser un grand rassemblement : « le Human Be-in ». Ce « Gathering of the tribes » (rassemblement des tribues) est prévu pour le 14 janvier 1967, au Polo Fields dans Golden Gate Park. Timothy Leary, Allen Ginsberg, Jerry Rubin, un activiste anti-guerre, les « Merry Pranksters » de Kesey, musiciens artistes et même les Diggers. Tout le monde répond présent pour une union de l’amour et de l’activisme, jusqu’alors séparés par des dogmes catégoriques, qui aura lieu lorsque les militants politiques de Bercley et la communauté hippie et la génération spirituelle de San Francisco et tous ceux de la génération révolutionnaire émergeante partout en Californie se retrouveront pour un rassemblement des tribus, un human be-in, comme le précise Allen Cohen lors de la conférence de presse qui annonce l’évènement. L’Oracle sort un numéro spécial, les graphistes de Haight se lancent dans la création d’affiches . Alors que l’hiver avait été particulièrement pluvieux, ce samedi 14 janvier, le soleil se lève dans un ciel limpide. Le rassemblement est prévu pour 13h mais à 9h du matin ils sont déjà nombreux à se réunir dans le parc. Très vite ils sont des dizaines de milliers. Dans un coin du champ, les Diggers installent des tables et préparent des sandwiches à distribuer. Owsley Stanley vient de fournir aux Diggers plusieurs kilos de volailles, accompagnés de plusieur milliers de buvards d’acide « white-lightning » de sa toute dernière fournée. Après la fête, une étrange rumeur parle de sandwiches bizarrement épicés. On arrive de partout, à pied, en voiture, en moto et même en parachute ! On vient seul, en bande, en amoureux, en famille. On amène des fleurs, de l’encens, des instruments de musique, des cloches, des miroirs, des bougies. Matière rêvée pour un récit pittoresque dont les journalistes, venus nombreux, raffolent. Finalement, le rassemblement des pseudo-vedettes sur la petite scène tout au bout du champ là-bas n’intéresse plus grand monde. D’ailleurs la sono n’est pas assez forte pour porter jusque là où la foule s’est installée. Très vite l’événement devient la foule elle-même. L’expérience hippie est mûre pour se diffuser à travers les États-Unis, selon le discours préformaté des journalistes qui racontent le « Ghetto de l’Amour » et le Flower Power. Pour les reporter dépêchés, le Be-in est l’événement parfait : des « Love » écrits partout, des amoureux qui s’embrassent enlacés à trois ou quatre, des filles aux seins nus, des fleurs dans les cheveux. Les Diggers déchantent : le Human Be-in n’est qu’une opération marketing des « Haight Indépandent Proprietors » cherchant un coup de pub à l’échelon national, s’ils espéraient écouler un jour leur panoplie hippie dans les grands magasins ». Les Diggers enragent. « À part leur camelote, les HIP semblent n’avoir rien à proposer à ces jeunes qui arrivent toujours plus nombreux dans ce quartier déjà surpeuplé. Tout comme les soi-disant maîtres à penser de la contre-culture, ravis de la foule réunie, qui ne semblent pas trouver d’autres raisons de se satisfaire que l’opportunité de trouver une couverture nationale à leur discours ». Le mouvement hippie émerge à peine que les Diggers l’accusent déjà de corruption, de soumission et de compromission servile au système. Quelle est donc cette alternative que sont censés proposer les acteurs de la contre-culture ? Quelques semaines plus tôt, dans un article paru dans le Barb, titré « À la recherche d’un cadre », les Diggers « Où est la révolution ? Dans les cheveux long ? Les beaux habits ? Nos soldats seraient-ils substantiellement différents si on les habillait façon Mod ? » Or à présent que toute une génération est touchée, que le monde entier écoute, que fait-on ? Au delà de l’expérience psychédélique, qui doit mener à un état de connaissance supérieur; ce qui n’est pas rien mais encore faut-il y parvenir. Que propose-t-on ? Aprés avoir été stoned, après avoir tourné le dos au merdier de la société en allant se promener dans les bois, il faut bien retourner dans le monde et ses jeux compétitifs, regagner les trottoirs anxieux pleins d’une foule silencieuse, avec nos poches pleines d’absurdité et de compromis entre couardise et illusion. À cette question primordiale, les Diggers répondent par leur idéologie de l’échec, théorie qu’ils exposent en novembre 1966 dans le Barb. Il s’agit d’abandonner le jeu compétitif imposé par la société, refuser le succès médiatique, commercial, refuser le leadership. Ne plus jouer le jeu de « qui gagne-gagne » : « Ainsi nous restons stoned mais ne jouerons simplement plus le jeu plus longtemps. Nous retournerons dans la prospère société de consommation mais refusons de consommer. Refuser de consommer. Faire tout pour rien. En vérité, nous vivons notre protestation.Tout ce que nous faisons est libre et gratuit parce que nous sommes des échecs. Nous n’avons rien, donc nous n’avons rien à perdre. En abandonnant la compétition, le consumérisme et la réussite personnelle, trois sources essentielles d’aliénation, la « philosophie de l’échec » est la réponse : la consommation est un signe extérieur de réussit ? Refusons de consommer et soyons des échecs. Notre valeur commune ne repose pas sur la réussite mais sur l’amour : « Montrer l’amour c’est échouer. Aimer échouer c’est l’idéologie de l’échec. Montre l’amour. Fais ton propre truc. Fais le gratuitement et librement. Fais le par amour. Nous ne pouvons pas échouer. Et M.Jones ne saura jamais ce qui se passe ici. N’est-ce pas, M. Jones ? » Si l’on n’a rien, alors on n’a rien à perdre. Or tout le monde a quelque chose à perdre, à commencer par son « identité mentale institutionnalisée et figée ». Une fois cette identité perdue, alors on est un homme libre. L’acide aide à cette libération, le théâtre la met en scène et actualise le pouvoir d’une nouvelle société où la révolution a déjà eu lieu. – 25 avril 1967 publication du premier journal des Black Panthers sur la roneotypeuse Gestner de la Com/Co
Printemps 1967, depuis plusieurs mois maintenant, les Diggers proposent à tous ceux qui débarquent à Haight Ashbury d’expérimenter un cadre nouveau où vivre libre, délivré des règles aliénantes du capitalisme et de son agent universel, l’argent, est possible. Les Diggers assurent le « décor » dans lequel les besoins primaires ; nourritures, habits, logement, soins, sont garantis. En retour, ils attendent, non pas la charité des plus riches mais la participation de tous aux projets collectifs. Mutualisme, coopération, autogestion : à chacun d’articuler sa propre vision d’une vie libre et de retrouver le moyen de participer à l’action de groupe. Cette participation est indispensable à la survie de l’utopie communautaire des Diggers, et elle s’avère de plus en plus difficile à obtenir des nouveaux arrivants, plus attirés, tel des Pinocchios, par des vacances au pays des jouets, que par l’expérience radicale de construction d’une nouvelle société. Sans se l’avouer, les Diggers comprennent que les Choses vont trop vite, que l’accélération du phénomène hippie met en danger le changement politico-culturel qu’ils tentent d’entraîner : leur processus d’éducation par l’exemple s’avère très fragile sous la masse de ceux qui arrivent de plus en plus jeunes. D’autant plus que la surpopulation entraîne pauvreté, criminalité lié à la drogues, maladies liées à la malnutrition et aux maladies sexuelles et laisse de moins en moins de place au rêve, aux prise de conscience et aux Utopies. Police et services sanitaires multiplient les perquisitions et ferment régulièrement les « crash-pads » et les « free-stores » des Diggers. Depuis janvier 1967, date de l’apparition de la scène hippie rassemblée au Be-in sur les écrans du monde, la communauté de Haight Ashbury est la cible de tirs croisés. D’une part l’appel des sirènes du Hippie-land et les promesses de son « été de l’amour », vendues par les marchands du HIP et relayées par les médias. D’autre part, les messages de guerre de l’autorité municipale et sa police qui, effrayée par cette invasion urbaine et chaotique, redoublent de zèle. Récupération médiatique et commerciale, répression politique et policière, l’expérience de Haight Ashbury balance entre normalisation et radicalisation. Les Diggers, eux, n’hésitent pas. Énergie du désespoir face à une expérience qui prend déjà des allures de fin de rêve. Emmett Grogan, plus virulent que jamais, lance aux marchand réunis en comité de crise : « la communauté ne vous permettra pas longtemps de se payer sa tête, lorsque les gens en auront pris conscience, il vous feront sauter, vous et vos boutiques, et toutes les banques où vous avez engrangé le fric que vous avez gagnés sur leur dos ». Quelques jours plus tard, Peter Coyote participe à un débat télévisé organisé par la chaîne éducative local « KQED », et continue sur le même ton : « Les Hippies sont le produit de la petite bourgeoisie, et ce qu’ils essaient de dire à cette petite bourgeoisie dont il sont issus, c’est que ce que peut apporter la société impérialiste américaine, fondée sur le seul impérialisme, ne leur convient pas. Et ce qui se déroule en ce moment même sous vos yeux et s’est épanoui au tout début sous la forme d’une révolution culturelle est en train de prendre un tournant radical et de se transformer en révolution violente ». Les Diggers publient leurs propres propositions en ce mois de février 1967, avec la « com/co », des propositions qu’ils entendent concrétiser : 1) service de restaurant gratuit, 2) Une ferme qui doit servir aussi bien comme refuge que pour sa production agricole, 3) Des hôtels dans la ville, 4) Un garage pour réparer les machines cassées, 5) Un atelier de couture pour fabriquer des tipis avec des chutes de tissus pour ceux qui veulent s’installer dans la campagne, 6) Faire du « Trip Without a Ticket » un théâtre total pour l’art social, etc. Toutes ces proposition sont censé être appliquées dans les trois mois et les Diggers comptent sur de la nourriture, des talents, des outils, de l’espace, des loyers payés, afin de faire face dans les temps aux milliers de jeunes qui sont attendus pour l’été. Ils font imprimer par la com/co une affiche « Diggers Welcome » qu’ils distribuent dans les appartements où il y a encore de la place pour loger de nouveaux arrivants. Ils poursuivent leur agit-prop, performances et publications rythment leur quotidien. Comme ce tract imprimé alors qu’un concert appelé « Love Circus de l’amour » est proposé à 3$ l’entrée : « Pour quel trip allez-vous payer ? Combien de temp allez-vous tolérer que des gens transforment votre trip en argent ? Les Diggers ne paieront pas pour ce trip. Achetez un billet, c’est tuer le Diggers qui est en vous » Ils organisent à 150 un piquet de vigiles devant la salle de concert pour protester contre « l’exploitation de l’amour ». Et voilà qu’un « Love Burger » ouvre ses portes dans Haight ! Il est déjà loin le temps où ils théorisaient sur l’échec et parlaient de l’amour comme alternative à la société de compétition. – le 7 juin 1967 le dr David Smith fonde la Haight-Ashbury Free Medical Clinic, au regard de l’hécatombe humaine dans lequel le quartier d’Haight-habury avait sombré. le 17 octobre 1967 création du « Youth Iternational Party », le YIP par Abbie Hoffman, Jerry Rubin et Paul Krassner, le mouvement Yippies. En 6 octobre 1967, un an après le Love Pageant Rally d’Haight Hashbury, les Diggers organisèrent dans Haight street une marche Funèbre pour la « Mort des Hippies », le défilé se concluant par l’enterrement de l’enseigne de la Psychedelic Shop. Dans leur communiqué de presse, les Diggers fustigeaient « les medias qui jettent leurs filets, fabriquent des sacs où les gens en manque d’identité n’ont qu’à se glisser. Ta tête à la télé, ton style immortalisé sans âme… L’Homme libre, lui vomit son image et s’esclaffe dans les nuages… » Dans les mois qui suivirent, les frères Thelin qui avaient ouvert la « boutique psychédélique » sur Haight Street quittèrent le Haight, en compagnie d’Allen Cohen et de Michael Bowen. Emmett Grogan rentra à New York, tandis que d’autres Diggers montaient au Morning Star ranch, proprièté de Lou Gottlieb. Un exode général était en train de commencer, on quittait Haight-Ashbury pour « réussir à vivre tous ensemble à la campagne », dans les communautés hippies, « L’espoir général » qu’évoquait Bill Graham aux beaux jours du Haight était désormais mort. Comme le dira Derek Taylor, monté au septième ciel, à Monterey, grâce au Purple Haze d’Owsley, « les gens finissent toujours par foutre la merde » déclarait-il. Ce qui à été fatal, c’est que les petites formations idéalistes de San Francisco ont fait l’erreur d’inviter, et de sous estimer, l’immense ego de Mick Jagger et des Rolling Stones. Le problème, en définitive, n’était pas les tendances psychopathes latentes du Hell’s Angel moyen ; c’était l’arrogance de ces sataniques rock stars londoniennes. Voir, peut-être, le péché même du vedettariat. « Quel droit a ce dieu du Star-système, de tomber sur ce pays de cette manière-là ?», s’interrogea Bill Graham, futur organisateur de plusieurs tournées américaines des Stones. Rock Scully, qui avait le premier suggéré ce concert, soutiendra que si les Stones « n’avaient pas été si durs en affaires, Bill Graham se serait certainement impliqué dans le concert d’Altamont, et çà se serait beaucoup mieux passé ». Le fait qu’Altamont, a mis en pleine lumière l’impréparation candide des Stones face à une telle situation, fut passé sous silence. Scully se rapprochera davantage de la vérité lorsque, dans « Living with the Dead », il déclara que Woodstock et Altamont étaient les deux bouts du même bâton merdeux…le résultat de la même maladie : l’hypertrophie de la bohême de masse à la fin des sixties. Le flirt des Stone avec le diable, c’était la même chose que la sympathie des groupes de San Francisco par les Hell’s Angels, la décadence présenté comme le chic ultime. Et quand Alan Passaro des Angels, ce soir là, a poignardé à mort pour des a priori racistes Meredith Hunter, à peine quelques dizaines de centimètres au-dessous d’un Mick Jagger portant cape. Le délire psychedelique paranoïaque du San Francisco des sixties a atteint son apogée. Le 3 avril, Martin Luther King pronnonce un discour au Mason Temple à Memphis (Tennessee) pour soutenir les éboueurs noirs locaux qui sont en grève. « J’ai été au sommet de la montagne » se souvient-il devant une foule euphorique. « Ce n’est pas vraiment important ce qui arrive maintenant… Certains ont commencé à parler des menaces qui se profilaient. Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de la part d’un de nos frères blancs malades… Comme tout le monde, j’aimerais vivre une longue vie. La longévité est importante mais je ne suis pas concerné par ça maintenant. Je veux juste accomplir la volonté de Dieu. Et il m’a autorisé à grimper sur la montagne ! Et j’ai regardé autour de moi, et j’ai vu la terre promise. Je n’irai peut-être pas là-bas avec vous. Mais je veux que vous sachiez ce soir, que nous, comme peuple, atteindrons la terre promise. Et je suis si heureux ce soir. Je n’ai aucune crainte. Je n’ai peur d’aucun homme. Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur ! » Le 4 avril 1968 alors qu’il se trouve sur le balcon du Lorraine Motel, Loyd Jowers l’abat d’un tir de carabine depuis l’immeuble d’en face; l’assassinat de Martin Luther King est le produit d’une vaste conspiration des suprématistes blancs de Memphis. Les turbulances mondiales et les protestations générationnelles on finit par atteindre le continent Européen et en premier la France. Le 3 mai 1968 La cour de la Sorbonne à Paris se trouve occupée par 400 manifestants, elle est évacuée par une intervention policière musclée. Les étudiants réagissent aussitôt par des manifestations violentes contre les forces de l’ordre : jets de pavés, puis barricades; Le mouvement de Mai 68 est lancé. Entre temps la folie collective du Haight c’était atténuée et les anciens rites de San Francisco reprenaient leurs droits. Le 21 juin 1968 Emmet Grogan voulu organiser comme de nombreuse années la célébration du solstice d’été sur la plage de Baker Beach. La sculptrice Mary Grauberger, Larry Harvey, Jerry James, John Law et quelques autres avaient l’habitude de bâtir un homme de bois de plusieurs mètre de haut accompagné de son chien plus petit à ses pieds avec les résidus de planches et palettes qui jonchait la plage après la fête improvisée de l’après midi. selon la légende, les gens auraient accouru pour assister à ce spectacle, ce qui aurait convaincu Harvey, qui n’avait tout d’abord aucune intention particulière, de l’intérêt des gens pour ce genre de manifestation. Harvey a décrit cette action d’incendier ces effigies comme une « expérience » et un « acte spontané d’expression de soi radicale », « d’inflamation de l’égo jusqu’a son auto-crémation ». La sculptrice Mary Grauberger, une amie de Janet Lohr, compagne de Harvey, organisait ces rassemblements autour de bûchers au solstice sur cette plage depuis déjà plusieurs années, elle eût l’idée de bâtir cet homme de bois de plusieurs mètre de haut en référence à la légende de l’homme d’osier qui stipulait qu’à l’époque archaïque dans certain milieux, les bacchanales Dionysiaque pouvait terminer par le sacrifice du bouc-émisaire que l’on plaçait debout dans le bûcher enfermer dans une cage d’osier à sa forme. Larry Harvey assista à plusieurs de ces événements. Lorsque Grauberger cessa de les organiser, Harvey reprit le flambeau. Ainsi, lui, John Law et Jerry James construisirent pour l’événement de 1986 une effigie de bois géante dans le désert de Black Rock dans le Nevada. En 1990, indépendamment de ces crémations à San Francisco, Kevin Evans et l’artiste californien John Law décidèrent d’organiser la manifestation dans une plaine sablonneuse du Nevada, le lit d’un lac asséché écartée, très peu connue du grand public, située à 150 km au nord de Reno et désignée sous le nom de Black Rock Desert. Cette manifestation est conçue par Evans comme un événement dadaïste, avec une sculpture temporaire destinée à être incendiée et des performances de type situationniste. Dans ses premières années, la communauté s’est développée par le seul bouche-à-oreille. Tous étaient considérés comme des participants par le simple fait qu’ils étaient capables de survivre dans la plaine désolée, surréaliste et sans piste du désert de Black Rock. Il n’y avait pas d’artistes ou d’interprètes rémunérés ou programmés, pas de séparation entre l’espace artistique et l’espace de vie, pas de règles autres que l’absence de monnaie sur le site, ne pas gêner l’expérience immédiate de quelqu’un d’autre et l’interdiction d’armes à feu dans le camp central ». Désormais la manifestation est une émanation de la Black Rock City LLC et du Black Rock Arts Foundation au sein du Burning Man. Les Diggers organisèrent un dernier évènement à San Francisco et déclarèrent « être entré dans l’éternité ». En Novembre 1968 édition du premier Whole Ears Catalog publié par Steward Brand. tandis qu’en Janvier 1969 le Black Panther Party annonce le Free Breakfast Program, une distribution gratuite de petit-déjeuner aux enfants, conjointement avec les Diggers. Retour à la terre San Francisco est entré dans l’éternité médiatique, il est grand temps de retourner dans la vraie vie : c’est le grand départ vers la campagne, le retour à la terre, la grande migration. Des caravanes s’organisent, parfois très importantes, des communautés se créent à travers tous les États-Unis : Nord de la Californie, Oregon, Pennsylvanie, Nouveau-Mexique,Tennessee, etc. Des hectares de terres vierges à bon marché. On ouvre des « open-lands », territoires libres sur lesquels s’installent des communautés suivant un règlement plus ou moins établi, avec la volonté plus ou moins concrétisée de vivre en dehors de la société de consommation, d’expérimenter l’autarcie et de tenter le virage radical du consommateur au producteur en étant soi-même à la source de ses propres moyen de subsistance. On évalue à environ 1200 le nombre de communautés rurales à travers les États-Unis en 1970, dont quelque 500 rien qu’en Californie du Nord. Ici plus qu’ailleurs, terre de liberté et d’expérimentation, le mythe du pionnier américain est dans les têtes de ces anciens étudiants activiste soudain devenus agriculteurs sans rien y connaître. Pour les aider, Steward Brand, ancien de Haight, organisateur du « Trip Festival », crée en 1968 le « Whole Earth Catalogue », un magazine qui réunit idées, outils, conseils, essais, et devient vite la bible de tous ces écologistes en herbe qui tentent de vivre à la campagne et de construire une nouvelle civilisation. En 1971, publié en livre, il devient un best-seller national. Le « Back to the land Mouvement », ce retour à la terre qui fait suite à l’aventure hippie, marque en fait la première impulsion collective d’une lame de fond qui n’a plus cessé de croître depuis : le mouvement écologiste. Alors que les anciens de Haight que l’expérience sous acide avaient peu préparés, sueur au front, creusent la terre de leur propres mains, et se découvrent cals aux paumes et douleurs aux reins, les sensibilités écologiques de la génération hippie s’expriment aussi en ville sous des formes plus médiatico-politiques : à San Francisco, le 21 mars 1969 est déclaré premier Earth Day, jour de la Terre : « Rues interdites à la circulation automobile, plantation d’arbres par des enfants du quartier, stands d’information sur l’environnement, musique, danse … Si les Diggers avaient organisé un événement pareil, ils auraient été immédiatement arrêtés. Mais aujourd’hui, la ville elle-même est aux manettes. En plus de s’affronter aux rudesse de la terre, les néo-ruraux doivent faire face au conservatisme des populations locales, un affrontement totalement inattendu. Certains abandonneront, d’autres au contraire y éprouveront leur détermination. Une épreuve de force que l’on verra ressurgir plus tard dans la lutte contre le nucléaire. L’expérience digger à travers le territoire libéré de Haight Ashbury a ancré en chacun le sens de la territorialité : être respectueux, responsable du lieu où l’on vit. c’est le thème que va développer Peter Berg, et Judy Goldhaft, après leur propre expérience itinérante de communauté en communauté, retourne à San Francisco où ils montent une fondation pour développer le concept de biorégionalisme. Le passage à l’écologie semble tout naturel pour le théoricien du théâtre guérrilla : d’abord son expérience dans les communautés, notamment un long passage à la pointe nord de la californie dans le comté de Siskiyou où s’était installé le Black Bear Ranch, une commune rurale très radicale, monté par quelques Diggers : « surmonter deux mètres de neige en hiver est une sacrée expérience, raconte-t-il. Rassembler de la nourriture, la faire, la distribuer dans les autres communes… m’a fait découvrir un rapport émotionnel, non institutionnel, à la nature ». Quand les Nations unies ont tenu la première conférence sur l’environnement en 1972 à Stockholm, Brand y était allé. Il avait apporté des films sur nos expériences de vie en communauté. Il s’était autoproclamé représentant des communes rurales d’Amérique du Nord alors qu’il était entouré de personnes qui représentaient des pays, des institutions. Ça l’a fait réfléchir à l’air, à l’espace naturel qui délimite une population et avait inventé ce concept de bio-région : vous êtes une partie de l’endroit où vous vivez, et c’est en appréhendant cela qu’on comprend qu’il faut maintenir et protéger le système naturel. Pour Berg, l’action politique doit suivre les frontières de l’écosystème dans le lequel elle s’inscrit. En 1973, il crée Planet Drum Fondation tandis que dans la vallée de la Mattole River, les Diggers installés, reprenant les idées développés par Berg, se lancent dans la sauvegarde du saumon de la rivière, un excellent indicateur écologique local, et luttent contre la déforestation de la région. Tous ne sont pas tentés par ce retour à la terre : Billy Fritsch époux de Léonor Kandel rejoint les Hells Angels, Billy Murcott suit sa propre route et retourne à New York. Emmet Grogan, guérillero urbain avant tout, ne se sent pas fibre écologiste. Au volant d’une moto customisée, il sillonne encore quelques années la région, passant lui aussi du temps dans les communauté mais plus pour se mettre au vert, se désintoxiquer des drogues dures dans lesquelles il est retombé, que réellement tenté par l’aventure communautaire et rurale. Il se fourvoie dans l’organisation du concert d’Altamont, dernier festival californien entièrement gratuit, participation sur laquelle il revient sous la forme d’un mea culpa plusieurs années plus tard au New York Post et dont la reproduction dans son livre est étrangement censurée dans l’édition française de 1974 : « C’est ma faute parce que j’ai fait la bêtise de quitter San Francisco pour rentrer à LosAngeles et d’entraîner tout le monde dans cette fête d’adieu au « C’est gratuit parce que c’est à vous ! » Une fête dont j’ai laissé croire qu’elle enverrait bouler sur leur cul tout le désespoir, l’angoisse et la déprime de cet hiver 1969. C’est ma faute si les Hell’s Angels de Californie, venus là pour boire une bière, prendre du bon temps et festoyer avec la communauté comme ils l’ont fait pendant des années, se sont retrouvés en train de se chicorer pour protéger un podium branlant, pour le compte d’une lopette qui prend son panard à émoustiller son public, à le provoquer et à le plonger dans de puériles transes hystériques et qui a cru se produire devant un troupeau d’adolescentes extasiées et d’enfants-fleurs, plutôt que devant une foule de 400 000 adultes des deux sexes qui depuis belle lurette, savent que les fleurs meurent trop vite. Même quand elles ont des épines. Emmett Grogan finit par quitter l’Ouest américain avec le sentiment d’avoir fait « le maximum de ce qu’il pouvait accomplir, du moins au chapitre « liberté et gratuité ». Et, à présent, tous les instincts dont dépendait sa survie lui hurlaient qu’il était temps de prendre les devants, d’abandonner tout ça, de tirer un trait et de larguer les amarres, avant de se retrouver largué lui-même ». Il retourne à New York, se lance dans l’écriture avec la même verve flamboyante qui habitait ses discours de Digger. Une nouvelle expérience dont il sort, en 1972, Ringollevio, a Life Player for Keeps, autobiographie romancée, écrite comme un polar, qui commence dans les rues de Brooklyn où gamin il jouait au Ringolevio, un jeu de rue qui l’a formé à la vie. Il s’y raconte à la troisième personne, surmontant la violence de la rue, de la drogue et du crime, et côtoyant la lutte armée de l’IRA, avec cette rage inépuisable accroché au ventre. Emmett Grogan est un héros postmoderne au sens de Baudrillard, charismatique et affabulateur, qui a su construire autour de lui le mythe d’une révolte à jamais invaincue. Beaucoup d’histoires racontent sa légende, une d’entres elles affirme que son cadavre a été retrouvé le 1 avril 1978, dans une rame de métro, au terminus de Coney Island de Brooklyn. Les Diggers de San Francisco ont quitté la scène de Haight Ashbury et sont entrées avec elle dans la légende. Mais en ces dernières années de la décennie, dans d’autres villes des États-Unis, dans d’autres foyers où bouillonne encore la révolte, d’autres Diggers font surface : Provos Diggers de Berkeley, Diggers de LosAngeles, Diggers de Toronto et Diggers de New York. Ces derniers, « notoirement conduits par Abbot Hoffman et sa clique de séides affamés de publicité », bientôt devenus Yippies, vont connaître une notoriété peut-être plus grande que l’expérience originale du groupe de San Francisco, notamment par le renversement du principe d’anonymat. Les Diggers de New York, fils de Mac Luhan plus que de Gerrard Winstansley, vont faire des média leur scène de théâtre. C’est sur ce terreau fertile que le Whole Earth Catalog va prospérer.

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