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50- Les dix sept louves
Sur le campus de Jussieu, les discussions sur le gène TrxG-1/2-PeG allaient bon train, certains avançaient même qu’il était dû au stress hydrique planétaire. Mais mon sujet de préoccupation est ailleurs, il me faut trouver les moyens de me procurer assez d’argent pour mon équipée vers le plus grand « human be-in » que la planète ait connu, le « Burning Man » de Black Rock City dans le désert du Nevada, avec toujours la sourde et lancinante musique d’une fin proche sortie du Tartare et du Styx de mon inconscient. Il y a toujours Jauko qui m’a laissé entendre qu’il connaissait bien la tribu du Glitch et qu’elle fournissait l’essentiel du récréatif de l’Ouest parisien. Ce n’est pas trop l’idée de creuser la perspective d’un réseau de nourrices, mais de rencontrer un monde mystérieux à mes yeux, et cela attise ma curiosité. Ameele est la première à applaudir ce projet et l’expédition avec Jauko et le Glitch est prévue pour demain en toute catimini des parents qui ne pourraient comprendre que nous nous compromettions ainsi hors des murs. Le Glitch, un lieutenant des tribus, a obtenu son passeport grâce à son oncle, un tonton du système, parrain du marais et du 20e avec ses huit pizzas du centre à Belleville et son contact avec la Dark Army pour la filière de blanche. L’équipée s’organisa en vélocipèdes au petit matin, la meilleure pour passer les barrières électroniques qui contrôlent l’agglomération au risque d’un interrogatoire administratif. Les déplacements dans l’Ouest parisien restent compliqués, plus la population est dense, plus les risques d’accrochages sont nombreux et importants. Il vaut mieux posséder une IA quantique azimutale pour éviter le rançonnage qui peut se produire malgré l’infalsifiabilité des passeports de l’Empire, mais le Glitch ne semblait pas stressé, la route, il la connaissait ! Après deux heures de développements cyclodaliques, le voile humide du matin se levait, l’urbanisme se raréfiait tout en laissant des emboîtements remarquables, des superstructures de béton abandonnées encadrant des îlots d’oasis végétaux organisés. Le Glitch nous fait remarquer la disparition progressive des feux de signalisation, des panneaux publicitaires, que la population ne regrettait pas, de toute signalétique, fruit de la rapine du métal, et nous annonçait les symptômes de la concentration des tribus à l’horizon. « Vers midi, nous serons arrivés au camp de la Maladrerie », affirma-t-il ! Nous nous dirigeons vers le camp des « dix-sept louves », une des premières tribus nées de l’effondrement social et de l’isolement généralisé des années 2030. Je ressens une forme d’inquiétude et une bouillante excitation à la découverte prochaine de cet univers pirate. Vais-je être à la hauteur, moi petit Yoruba pas fini qui n’atteint pas une lampe ? Je commence à souffrir des cuisses, je ne m’étais jamais aventuré aussi loin en vélo. Ameele, par contre, semble vouloir gagner l’étape et arbore un sourire que je ne lui connaissais pas. Le Glitch nous fait signe de virer à droite et Jauko, qui devait fermer la marche, m’a distancé. Le ralentissement de l’équipée me provoqua un sentiment d’expectative soudaine qui conduit à m’emballer le palpitant. Vu ce que l’on racontait dans les quartiers sur les nomades, un restant d’inquiétude subsistait quant à leur bienveillance. Le Glitch mit le pied à terre quand un grand gaillard vint lui faire un signe particulier que je ne pouvais identifier. Apparemment, l’accueil semblait chaleureux. Il s’agit d’un lieutenant de tribu chargé d’accueillir les visiteurs. Nous reprenons la route vers une zone où quelques groupes de caravanes alternent avec des architectures investies depuis peu, mêlées de campements improvisés imbriqués dans un urbanisme en état d’absence prématuré. L’ambiance devient franchement nomade, du linge étendu dans tous les coins, la population des animaux domestiques qui parcourent les espaces urbains : chiens, chats, porcelets, chèvres et moutons. La présence de l’âne représentait sans conteste l’image intemporelle de la Bohème, et dit bien que nous sommes arrivés au royaume des tribus. Un quart d’heure encore, nous entrons dans une lisière intensément organisée où nous traversions des lieux qui faisaient que nous ne savions plus si nous étions sur une voie publique ou une cour de ferme. Les effigies de louves émergent de partout sur les carrosseries, rivalisant de virtuosités, arborant chacune des styles de graphes différents. Le Glitch nous fait signe que nous sommes arrivés au camp par une volute de la main et petit à petit les visages d’un comité d’accueil apparaissent, nous recevant comme des membres de la famille, j’en étais ému. Sur la droite, un rang de Chevrolets, de Dodges et un Ranger Raptor 3 flambant neuf côtoient un vieux Berliet converti au gazogène, capot ouvert avec le moteur déposé. Tout cela formait l’enceinte de la porte de la colonie. Un peu au-delà du regard, des terrains de pétanque qui est le sport national des tribus et surtout une spécialité de la tribu des « dix-sept louves ». Elle en fait sa réputation avec ses pilules roses d’ecstasy qui simulent le LSD, plus ses nunchakus au chrome vanadium. Ameele ne se sentait plus, elle a décollé de cinq centimètres du sol et ne va plus redescendre jusqu’à notre retour. À peine arrivée, j’avais l’impression qu’elle était devenue une cousine de la tribu qu’ils n’ont pas revue depuis des temps immémoriaux. Elle lâcha son vélo sur le tas et s’échappa dans les méandres domotiques de sa nouvelle famille. Je continue de faire bonne figure sans savoir si je dois sourire ou avoir l’air sérieux, c’est à ce moment qu’un guerrier des steppes d’Asie, grand comme un pygmée, les yeux pleins de piquants, vient me jeter une motte de ce qu’il semble être de la glaise, et le déchaînement d’un petit porcelet qui s’essaye à me lécher sur la cuisse, ce qui déclencha un fou rire général. Tous les rapports se sont dégelés et la question de savoir si je dois avoir l’air sérieux ou pas n’avait plus de sens. Nour, avec un sourire maternel, habillée en tenue de trekking, vient m’aborder en plaisantant : « Si tu refuses le combat singulier avec nos petits “Sun Tzu”, ils vont te mettre au cachot, vois-tu », plaisante-t-elle, et me propose de venir me changer dans son antre bohème. Elle m’emmène vers un beau mobile-home à double essieux au coin d’une rue qui était investie en champs de tir à l’arc. Elle trônait aux côtés d’un groupe de tentes igloo et de camping-cars. En moins de deux, je me retrouvais en slip dans une tente d’aventurière, attendant le retour de mon pantalon au sec après avoir constaté avec Nour, ma nouvelle amie instantanée, que ma taille de pantalon ne figure pas dans son stock de fripes de récupération, ce n’est pas une taille courante. C’est le privilège des petits que d’emmerder le monde avec l’intendance. Je finis par fouiller son fatras de fringues récupérées et trouvai un pantalon en cuir à ma taille, « Banco ». Avec mes bottines Stedson, j’avais la classe, me voilà prêt pour affronter le camp. Jauko blagua à mon apparition au pas du mobile-home : « Tiens, un rasta–gitan ! », dans un éclat de rire tonitruant et enchaîna par : « T’as une nouvelle famille maintenant ». Nour attesta dans un « C’est notre chouchou ! ». Je suis impatient de rencontrer le camp, nous allons arpenter les cours et les décours de ce dédale tzigane à la recherche d’Ameele quand nous rencontrons des lieutenants qui étaient facilement repérables à leur apparence. Toujours assez gaillards, arborant quelque part une subtilité distinctive, et donnant toujours l’impression qu’ils sont dans l’action. « Hey, vous avez vu passer une jeune Togolaise avec des tresses en cornes de boucs par hasard ? » – « Les filles sont là », répondent-ils, nous montrant un abri de campement d’origine militaire. Nous ne connaissons pas les usages pour frapper à la porte d’une tente et tentons de héler la locataire des lieux. Il s’agissait d’Alix que Jauko avait rencontrée lors des événements de la Maladrerie. Alix était la flâneuse du camp des dix-sept louves, difficile à rencontrer, toujours en mouvement. Elle possède une mémoire absolue des lieux jusqu’à chaque terrier croisé dans les alentours, presque au-delà du département. Alix apparut et nous fit entrer. Là, Ameele, avec un sourire que je ne lui connaissais pas, nous lance un « Salut les touristes », elles avaient sorti des cartes et prévu sans nous concerter une expédition de nuit à la lueur de la lune. Un lieutenant était là et essayait de nous embarquer dans un pils-trip maison à l’Arizona-rose de leur confection, Alix conseille à Ameele de ne rien prendre car elle risquait de rater quelque chose d’extraordinaire par la voie naturelle. La décision de l’aventure à l’Arizona-rose fut prise et Alix allait nous guider. La nuit tombée, après avoir fait un petit tour au travers de l’Oumma des dix-sept louves avec le lieutenant au pils magique, deux autres compagnons d’aventure ramassés au fil de notre visite dans le village des tipis nous suivirent. Belina, une ex-experte comptable, et son fils guerrier « Sun Tzu » de douze ans, encore un, qui possédaient un Volkswagen photovoltaïque repeint aux couleurs arc-en-ciel. Finalement, le lieutenant avec sa guitare folk dans le dos, Jauko, Ameele et moi-même avalons le mirobolant cachet rose à tête de louve et l’équipée entame la route dans les traces d’Alix. L’état psychotropique allait se lever tout doucement durant le chemin. La nuit reste très claire. Nous devons remonter l’ancienne route départementale abandonnée depuis un siècle pour la nationale trois voies qui longe le Gâtinais français. D’un coup, Alix s’engouffra dans les bosquets touffus en contrebas de la route, nous la suivons et là tout change. Nous avons l’impression que l’heure, le jour, l’année avaient glissé, que nous venons de sauter un interstice dans le tissu du monde. L’atmosphère s’assourdit, ressemblant à de la ouate. Nous nous regardons intrigués et interrogatifs : « Ça me frise dans les oreilles, ça te fait ça aussi ? », « Moi, j’ai l’impression de marcher sur du coton », me raconte Ameele. Jauko essaye encore de crapahuter en tête du cortège à la suite d’Alix qui ne se soucie guère de nous. Elle nous fait signe « à droite ! », d’un doigt pointé comme l’aiguille d’une boussole vers le Nord et disparaît. Elle avait emprunté un chemin vicinal qui avait l’air bien entretenu et fréquenté. Les locaux ont baptisé cette route « la voie du wigwam » pour les dizaines de Baba cool qui y ont établi leur ranch. Le bruit de nos semelles émet des crouïcs et des slaps qui rythment notre avancée dans la nuit. À regarder la dégaine de sioux que chacun arbore, nous donnons l’impression d’un quarteron furtif avançant vers la route de la gloire. À bâbord, le décor se découpe à la clarté de la lune presque pleine, la lune des lycanthropes, plaisante Belina. La dentelle sombre et dansante des arbres se dresse comme un couloir vers le lointain et laisse transparaître par intermittence l’infini étoilé orné de son astre oblong aux éclats d’argent. C’est une lettrine cosmique posée sur une page de notre histoire qui y ajoute un nouvel épisode pour que continue le plaisir de la vie. Des hululements entamèrent le concerto des noctambules de tous poils. Dans le silence de la nuit, c’est le chant des coléoptères et des lépidoptères qui règne et domine les écoutilles. Ça vibrillonne, cissifle, vrombille, zizine, frénétiquement dans tous les sens. La nuit, c’est le moment des insectes, des petits, les plus nombreux et celui des plus fragiles, les plus rares. À la lumière de la lune, les vers luisants lancent un défi aux lucioles logées sur l’autre versant de la route. J’interpelle le lieutenant qui a tendance à rire tout seul : « Je dois t’appeler comment ? », lui adressais-je en l’approchant. « Galouzo, le roi du tipi bambou », « du tipi bambou ? », « oui, j’ai une technique pour faire des emboîtements de bambou pour les tipis ». Me disant cela, un nuage de moucherons et de coccinelles naines en ballet nuptial virevoltent à nous coiffer les têtes. Des sphinx et des bombyx viennent en spectateurs. Visiblement, les animaux de la nature sont au courant de notre présence. Le pas cadencé devient erratique à l’arrivée d’une masse de lépidoptères. Ne manquait plus que la horde des hétérocères derrière les névroptères pour finir de distraire la colonne. Encore une soufflée de Sciaridae ou d’Ephydridae, venant en renfort se mêler à des fourmilions guidés par des lucioles révèlent une activité réellement citadine de ce monde des arthropodes. Ils éparpillent leur luciférine dans l’air et laissent pour l’occasion une sensation de mystère druidique. Les moucherons deviennent brillants. Jauko s’exclaffe : « un rouge », « un bleu », « oh ! un mauve ». Il s’est mis à tourner en rond, le nez en l’air à la recherche de fées clochettes. Tout le monde est là, le nez en l’air à observer un signe. Bélina s’est mise à sautiller, nous parlant d’un papillon fluorescent aux ailes géantes. Nous nous retrouvons tous éparpillés façon mikado, hormis petit « Sun Tzu » qui regarde sa maman en train de délirer franchement. Nous nous prenons à expérimenter nos sensations péri-cœnesthésiques en reproduisant des singeries à l’adresse de chacun. Galouzo marmonne des « maoua-je-moulangerle-lesmous », « moi-joméleugeaire-loumeeuh », « moi-jemeuh… », clairement les pils débutaient leur poussée sur la petite bande de psychonautes. Je les vois affublés de masques africains peints de manières diablement comiques et les mouvements que j’effectue donnent l’impression de déplacer l’espace. Alix a fait demi-tour, se rendant compte que l’escouade de sioux s’est grandement dissipée. « À ce régime, on ne sera pas arrivés, les Kidoux ». La colonne repart dans le silence ahuri de chacun sur le sillon de l’étoile flâneuse. Alix était couronnée d’une auréole de diamants bleus projetant leurs éclats au-delà du firmament. Elle se mit à graviter lentement, nous attirant dans son aspiration le long d’un sentier de plus en plus étroit et de plus en plus tournicotant vers le mont magique. Autant le sentier était sombre, autant les esprits de la nature s’illuminaient de mille feux et de milliers de millions de couleurs. Le sol recelait un tapis de cristaux précieux et de champignons dansants. Les pils roses allaient-ils continuer à monter comme cela ? Nous étions surpris de sa rapidité. Une clairière s’ouvre à nous au sommet d’une colline, qu’Alix réservait aux seuls initiés. Nous avions soudainement le sentiment d’être au plus près de la lune. Ameele s’est métamorphosée en fée libellule et développe une chorégraphie tout en grâce tandis que Belina continue sa chasse aux papillons et court partout. Galouzo se roulait dans l’herbe écoutant les voix de la reine des insectes. Seul Jauko semble encore les deux pieds sur terre mais me pousse des yeux comme des éclats de billes de verre au fond d’un puits, puis il me demande si l’on ne peut pas baisser la lumière. Moi-même, je sens mes pieds fouler un tapis d’herbe givrée qui crisse sous mes pas. J’ai les pieds gelés, les genoux à peine réchauffés, les hanches respirant la chaleur, les épaules en feu et la tête comme une tuyère d’où s’échappe une colonne de vapeur. Les cristaux de givre se muent en onde de diamants arc-en-ciel majestueux. Petit « Sun Tzu » préférait se réfugier dans les ailes d’Alix qui est seul avec lui à garder la tête. La clairière s’est illuminée par notre seule présence et Alix nous fait signe de nous calmer en nous engageant à nous organiser en cercle autour d’elle. Elle entama son rituel habituel, disposant une chaîne de pierres et de galets en rond avec quelques brindilles et alluma un petit foyer qu’elle protégea de trois grosses bûches, nous demandant d’en prendre soin le temps du voyage psychonautique, puis débuta son conte réel. Elle commence sa longue élaboration de la genèse de la parole. « Au commencement était le son », « du son naît le langage qui est le fracas du monde », « au moment où dire nous engage, la parole n’est plus du langage », « la parole emprunte la voix du cœur », « mais nous avons notre langage, le langage de Mère-louve », « le langage de mère-louve est le langage du cœur », « le langage du cœur puise sa source aux arômes de la lune », « tel est le mantra des flâneurs pour la quiétude des tribus ». Alix reprend son mantra en boucle que petit « Sun Tzu » écoute religieusement. « Du son naît le langage qui est le fracas du monde », « le langage de mère-louve est le langage du cœur », « le langage du cœur puise sa source aux arômes de la lune », « les arômes de la lune sont les ferments de l’âme humaine »… puis elle entame l’épopée des dix-sept louves. Les voyageurs de l’étrange que nous formons tous se sont grandement assagis, attentifs aux propos d’Alix, la conteuse faiseuse de langages. Elle trône debout devant l’âtre fragile et précieux, l’enveloppant d’une aura chaleureuse et nous, en tailleur, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, sous le firmament, nous divaguons totalement hallucinés.
Notre esprit va, s’imaginant chacun traverser des univers parallèles par nos seuls supra-pouvoirs. J’entends encore par intermittence les mantras d’Alix : « le langage du cœur puise sa source aux arômes de la lune », « les arômes de la lune sont les linéaments de notre attachement au monde »… Je voyais à l’instant tombant de la lune une pluie de gros filaments de gènes multicolores baignant la prairie, nous plongeant dans une félicité que je n’avais jamais rencontrée. L’espace, petit à petit, se dissolvait et je me sentais irrémédiablement partir. Des « splay » spiralés de poils d’ombilics elliptiques jaunes et bleus s’élevaient devant moi, des « bend » spiralés de sons, de formes et de sentiments mauves ou violets m’envahissaient les sens, du twist bendé de vagues d’ombilics hyperboliques constituaient l’air ambiant, générant dans le mouvement des ombilics parabolique-champignon qui s’épopent dans les coins et des ombilics parabolique déferlante formant les esprits nains apparaissant de toute part. Je me retrouvais embarqué dans un vortex de fusion d’espace-temps sensuel, sensitif et sensoriel, dodéca–dédoublement sensationnel et diablement magnifique mais angoissant tout à la fois. Folie totalement incontrôlable, mettant à l’épreuve ma témérité de rasta et ma cohérence mentale. J’ai toujours ce réflexe idiopathique de garder la face quand tout déraille et je me sentais absurde. Il arrive un moment où il faut lâcher prise. La tempête m’emporte, les couleurs, les formes, les sons, les sens, le temps, l’existence même, je ne deviens plus que l’essence de moi-même, je ne suis plus que rien, je ne sais plus rien, je ne suis rien, rien n’a de sens tant les mots qui m’envahissent sont vides parce que je suis « Tout » depuis tout temps et puis plus rien n’a d’importance… Quand on en est là, toute la structure de l’univers est à reconstruire et le chemin semble long pour revenir à la civilisation. Heureusement, le voyage est minuté et la tempête se calme naturellement à l’élimination de la molécule, sans quoi nous finirions totalement psychotiques. Le retour à la terre ressemble à l’atterrissage d’un parachuté qui aurait eu à réciter patiemment tous les mantras fondamentaux de la science du langage pendant sa chute, pour mériter de nouveau sa place parmi les terriens. Et là ! La récompense, une fois le travail accompli, se signe à chaque fois des mêmes allégories, l’image d’une déferlante, d’une vague pareille à celle d’Hokusai épuisant sa force sur le rivage ensablé de la destinée, nous ouvrant de nouvelles dimensions et de nouvelles opportunités. À l’aurore, Alix signala la fin de la récréation et nous entamions le chemin de retour vers le camp. Toutes les têtes étaient devenues relativement vides, encore hantées par les mantras d’Alix, épuisés de cette nuit mouvementée, mais échangeant nos expériences extraordinaires avec délectation comme des enfants. Le trajet se faisait dans un relatif silence, non mécontents quelque part d’être redevenus des êtres humains encore viables mais sonnés de la nuit. Nous sommes impatients d’un peu de repos. Bélina proposa à Jauko un espace dans son tipi avec son fils, qui accepta avec plaisir. Galouzo galoppait devant, nous n’existions plus pour lui à cette heure. Alix me dit en passant qu’elle n’avait plus de place dans sa cantinière qu’elle devait partager avec Ameele, mais ajouta : « Je vais te présenter Providence, une Cheyenne du camp, elle répare les tentes pour la colonie, elle aura un igloo pour toi ». Au camp des dix-sept louves, on nommait les Cheyenne tous les transfuges des autres tribus du pays que mère-louve avait adoptés. Arrivés au quartier des tipis, Jauko, Bélina et « Sun Tzu » partirent dans leur direction, puis je suivis Alix et Ameele jusqu’à un petit local improvisé en clinique pour abris en toile. Un peu dans la pénombre, une femme emmaillotée tête aux pieds de protections jetables, masque et lunettes, s’activait sur une machine à coudre à pédale surdimensionnée. « Je te présente Providence et Providence, je te présente Jimmy » – Enchanté, marmonnais-je sans trop de conviction, le besoin de sommeil devait se lire sur ma figure et Providence avait bien compris. Elle se leva et, enlevant son masque, révélant un magnifique sourire, puis nous conduisit dans une arrière-cour où elle installait et testait ses tentes. Un magnifique scarabée de toile de la taille d’un garage à camion m’accueillait pour la nuit. « Voilà, tout équipé », me dit Providence en esquissant un geste de bienvenue. Je me familiarisais rapidement avec ce nouvel environnement spartiate en apparence mais efficace, avec le luxe d’une belle bassine de cuivre sous une fontaine à eau près d’un lit digne d’un prince saoudien. Après avoir ôté mes Stedson, je m’allongeais directement sous la couette, complètement fourbu. Comme un piou-piou, je me blottis toujours dans la même position du fœtus, le nez virtuellement plongé vers le sillon de l’hypnagogie, cherchant à peser de tout mon poids sur l’axe du globe. Le scintillement de la fovéa commençait à percer sous la toile sombre des paupières et générait des chapelets de formes colorées, des nuages de poussières cosmiques, des semblants d’objets s’esquissant et s’évanouissant sans cesse. Le souvenir de Nour me revenait à l’esprit et je m’imaginais dans ses bras un instant, puis partageant des amis communs dans le camp des dix-sept louves. Je reprenais notre aventure à rebours jusqu’au faîte de la colline initiatique et, tout en accédant au sommet du mont magique, le service des vestiaires du club très privé des rêves présentait son antre. J’y laissais de nouveau mes souvenirs, mon GPS, mes sensations kinesthésiques et mes notions de gravité. « Bon séjour, monsieur, voilà votre ticket de vestiaire ! ». À l’entrée du club, je cherchais du regard la présence de Casoar qui habituellement m’attend à la porte. « Derrière toi », me souffle-t-il à l’oreille. La surprise est aussi l’une des spécificités de Casoar. Qu’as-tu à me proposer ? entamais-je, attendant qu’il apparaisse, toujours avec ce même sourire jusqu’aux oreilles. Cette fois-ci, il portait franchement à gauche. « Je dois t’amener chez Thot-Hermès, il m’a dépêché pour te conduire à son agence de communication », m’affirma-t-il. Encore une fois, tu vas me dire d’attendre d’arriver à l’agence pour savoir de quoi il s’agit. « Absolument pas, nous y sommes ». Effectivement, je reconnaissais le vieux Toth qui cette fois-ci arborait une imposante moustache. « Ah ! Jimmy, tu tombes à pic », me dit-il, « nous enquêtons sur le meurtre de « Béni-balou-dǎna » dû à une sombre machination qui conduisit à sa décapitation sous la sentence de la redoutable déesse Sekhmet, le bras armé du Dieu Rê. Je préférais que tu participes à l’enquête car cela peut très bien t’arriver ». Toth m’intriguait carrément, ma survie en dépendait. Casoar proposa au vieux Thot de me rappeler les fondamentaux des Énnéades et Thot acquiesça. « Au début était Atoum émergeant du Nihil, le père et de sa fille le Noun, il devint Rê, créateur de toute chose, puis il générât Tefnout, le vide humide et fertile qui devint Hathor. D’Hathor naît Shou, le souffle de la vie, et Geb, la terre nourricière du Nil et du sable chaud du désert. Sur la terre, Geb installe le Mat de Djed, origine de l’existence des Dieux, mais aussi Apophis, le serpent ennemi de Rê. De Djed émerge Sekhmet, la déesse protectrice des Dieux Rê des actions néfastes du serpent Apophis, puis Osiris et Isis, le couple protecteur de l’Égypte, ainsi que Seth et Nephthys, sa sœur et sa femme, passeuse des âmes des morts, ainsi qu’Anubis, son fidèle assistant. Isis et Osiris donnèrent naissance à Horus et, pour l’occasion, Geb partagera son royaume. Le désert à Seth, qui ne peut avoir d’enfant, et à son frère Osiris, les sols fertiles du delta du Nil. Ainsi, Osiris, attirant la jalousie de Seth, sera assassiné plus tard sous ses coups. Horus vengera la mort de son père et formera avec Seth un binôme divin caractérisé par leur rivalité, chacun blessant l’autre pour le meurtre d’Osiris. De cet affrontement débouchant sur l’éborgnage d’Horus est issu Thot, le dieu lunaire, considéré comme leur fils commun et maître et serviteur de ces lieux. » À cet instant, Casoar, de son air ingénu, demanda à Thot : « Mais qui est ce « Béni-balou-dǎna » ? » « Un innocent », répond Thot, « il est seulement l’objet d’une sombre machination qui ne va pas s’arrêter là, il faut absolument intervenir ». Cette révélation m’entraîna dans un rétro-retournement me basculant au sommet de mon SimCity intérieur, scrutant les méandres d’une architecture entamée mais jamais finie et proliférant à sa guise. Dans cette architecture de l’intime immature et erratique, j’espérais soudain trouver les raisons d’un tel drame involontaire. Qui était ce Béni-balou-dǎna et que me voulait cet assassin, qui était-il ? Je ressentais la présence du Grand Autre derrière moi et son influence me glaçait le sang. Ainsi, je m’évadais en giro-mouvements vrombissant de mes ailes à chevilles à la recherche d’un certain fou-garage que Platon tenait quelque part dans mon endo-imaginaire et qui fourbissait ses chaînes à qui voulait bien les chopper pour en faire ses choux chics. Il chut là où mon choix fut qu’il échoit à l’échéance de mon dernier hypno-songe et, comme sage que je sais qu’il est, il était là. « Maître Platon ! », entamais-je d’une voix hypothétique, mais Maître Platon m’ignorait et ne dérogeait en rien à la règle du « je n’ai rien à voir ! ». J’avais beau tournicoter autour, rien n’y faisait, impossible de le prendre par les quatre yeux. En avait-il ? Je lui choppais une chaîne qui me ramenait à lui et lui évoquais ses choppers en chauffe qui ne cherchent qu’à être au su et au vu de tous ses soyants sois. Platon acquiesça à cet argument pertinent et m’accorda un peu d’attention. « Qu’as-tu de si important à me dire pour me tournicoter ainsi autour ? ». « Maître Platon », lui dis-je, « lors de mon dernier passage hypnagogique, j’ai remarqué que vous touchiez une multitude de consciences avec vos chaînes et vos choppers et je me demandais si vous ne pourriez pas demander à vos enchaîno-choppés du peuple érudit qui vous lisent si par hasard quelqu’un ne connaîtrait pas un certain Béni-balou-dǎna ? », « Ne parle pas de malheur », me répond-il, « cette histoire est née d’un conflit entre Thot et Ptah, je ne m’en mêle pas ». Où puis-je avoir ce renseignement, Maître ? lui demandais-je. « Cherche dans le tréfonds, on y trouve tout ». Muni de ce conseil, je poursuivais mes investigations au-delà de la routine qui fermait les portes à mon extravagance et plongeait dans l’incongrue. Je m’esclaffais inutilement dans le vide : « Est-ce que quelqu’un connaît un certain Béni-balou-dǎna ? », « Béni-balou-dǎna ? », mais rien n’en sortait, je me retrouvais à nouveau chez le vieux Thot et rien n’avait avancé. Malgré cet échec, Thot me proposa une collaboration que je ne pouvais refuser, j’allais obtenir une carte de presse provisoire de la prestigieuse Hatchepsout-presse pour enquêter sur le meurtre de Béni-balou-dǎna. « Maître Thot, étant un novice, j’aurais un certain nombre de questions à propos des pratiques journalistiques en milieu hypnagogique, notamment si la connexion réseau s’étend dans tout le domaine du monde intérieur et au-delà ? ». « Le réseau s’étend partout où il existe un réseau à connecter pourvu que tu possèdes les codes pour y accéder », me répond Thot. « Et possédez-vous des IA quantiques dans la rédaction ? », ajoutais-je. « Bien sûr, mais elles nous parlent dans un langage inconnu et indescriptible ». Muni de ces informations, je tente de me connecter pour vérifier toutes ces affirmations. Un anonyme de la rédaction, sans visage, accepte de m’épauler dans mes investigations. Je remarque dans un premier temps que les codes d’accès des sessions sont faciles à craquer, on peut faire autant de tentatives que l’on veut, il suffit d’avoir un peu d’imagination et j’en ai plus que toute la rédaction réunie. Je passe ainsi beaucoup de temps à scruter le World Wide Dream à la chasse aux prénoms compliqués. Je trouve une multitude de « Béni quelque chose », plein de « Balou », « Baloulou », « Babalou » et des « Dǎna » à la pelle, mais pas de « Béni-balou-dǎna ». Un accès, malgré tout, me résistait et ne laissait qu’un laconique champ textuel sur fond gris sans aucune indication. Je pressent que celui-ci ne va pas se laisser faire. Le champ exige huit caractères et une seule tentative. Je tente une intrusion avec une suite logique comme celle de Fibonacci : « 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13 », le champ s’évanouit en stipulant que je devais attendre un millénaire avant la prochaine tentative ! À sa réapparition quelques instants plus tard, n’étant pas du genre à me laisser impressionner par une machine, je fais une tentative avec les nombres premiers : « 2, 3, 5, 7, 11, 13 ».
Miracle le mur logique vient de céder. Étrangement j’ai le sentiment de connaitre cet environnement. Des portails comme « Trans-connect » et « France-connect », des réseaux comme ARIANE et ARPANET, le réseau Googlie et un dark web totalement idiolectique, typique de la névroses des humains en état d’éveil. C’est comme si en état de conscience d’éveille, j’accédais soudain à un réseau internet de l’inconscient ! le paradoxe était renversant. L’aubaine était trop bonne, je tapais dans le champ Googlie, « Béni-balou-dǎna » et en réponse Googlie s’absenta de façon inquiétante, puis rien, puis tout et n’importe quoi à la mode de l’intra-intra-net hypno-psychique. Pas de trace d’un Béni-balou-dǎna ni dans le monde de l’éveil, ni dans le monde virtuel, ni dans le monde hypno-psychique. Mon enquête s’avére délicate. Je me souviens qu’un conflit, peut être même inconscient couvait entre Thot et Ptha, je vais donc rendre une visite amicale au terrible et caractériel démiurge Ptha constituant la deuxième clef de mon énigme. Croisant de nouveau les cyclo-boulistes exaspérés, rencontrés lors de ma dernière séquence dans la tapisserie de mon inconscient, je les questionnaient à nouveau sur la direction du labyrinthe ptahtique, antre du Maître. Comme à l’habitude ils s’énerveraient et disparurent. Les giro-mouvements ne fonctionnaient plus et je me trouvais contraint de ramer. L’inconvénient c’est que les bras psychiques n’ont pas la même efficience que les bras réels et vouloir ramer dans son rêve ce n’est pas déplacer des forces et des particules mais remuer le passé, le vécu pour lui faire dire ce qu’il n’a pas encore dit. Je me trouvais confronté à ma mémoire qui commençait à s’éparpiller de façon inquiétante entre la réalité, le rêve, et le réseau qui est notre mémoire déportée. Il arrive un moment ou à force de lecture en volume et en qualité on peut se retrouver avec cinq volumes ouverts simultanément, et à cet instant nous pouvons entendre le dialogue des pages ouvertes en conversation réssuscitant par leurs voies la grande agora de la pensée. Et si l’intention vous venait de relater comme un fidèle secrétaire le compte rendu des méditations typologiques en cours, une plume peut se nicher parfois dans vos textes, signe de la présence de l’ange des bibliothèques. C’est un allié précieux pour un reporter enquêteur de la Hatchepsout-presse que je suis devenu, et cela m’encourageait à persévérer. la seule chose à savoir c’est que les anges des bibliothèques ne révèlent leur pouvoir qu’a l’écrit et n’interviennent en rien dans l’enchainements des évènements, ils relatent la réalité uniquement. Mais pour rédiger un article c’est le top. Et posséder une plume d’ange des bibliothèques valait plus que ma carte provisoire de la rédaction Hatchepsout. Encouragé de ce signe précieux qui confirmait ma place dans le célèbre organe je me sentais d’attaque pour affronter l’intimidant Ptah. J’allais de nouveau devoir franchir le Labyrinthe forteresse que le dieux de la forge s’était constitué autour de son atelier. Il y avait déjà la plus petite des grandes portes à repérer et réussir à attraper la poignée de la porte dépliante qui ceint l’accès au couloir qui fuit. Ptah est aussi le dieux des architectures compliquées mais ses couloirs aussi improbables et alambiqués qu’ils soient, finissent toujours à force de patience pourvu que l’on est le sens de l’orientation, droit au but. Et me voilà y accédant, sur le pas de la porte de son atelier. « Mes respects Maître Ptah, c’est l’Hatchepsout-presse qui m’envoie ». Ptah me dévisagea et finissat par esquisser un sourire. « Que me voulez vous jeune patricien ? ». « ma rédaction est à la recherche d’information sur la mort d’un certain Béni Balou Dana » « Et comment t’appel tu premièrement ? ». « Jimmy, Maître », « Jimmy tu est en train de me parler de Kott-caïn un mercenaire de la manipulation réfugié dans une ferme à trolls basée aux antipodes. », mais comment savez vous cela maître Phta « il est coutumier des coups de forces pour le compte se Sekhmet, il n’y aurait rien d’étonnant qu’il en soit l’auteur, mais j’en ai aucunement la preuve. C’est à vous de faire ce travail, jeune homme ». Suite à cette discussion les choses étaient établies, pour la suite de mon enquête je devais approcher la terrible Sekmet à mes risques et périls. Me renseignant à la rédaction sur le pedigree de la déesse lionne que tous le monde redoute, j’obtiens son adresse avec toutes les recommandations nécessaires. je propose à Casoar de m’accompagné, avec son sourire jusqu’aux oreilles, on peux dégonfler toute situation de tension quel quelle soit. L’ambiance s’est détendu et nous nous sentons pousser des ailes. Le survol du domaine absolu ce fit ainsi au régime du wingsuit jusqu’aux antipode, pouvant accélérer, changer de direction instantanément au risque de se perdre. Casoar traçait devant, je le soupçonne de connaître le chemin depuis le temps qu’il traine dans la rédaction Hatchepsout. Arrivé à l’adresse indiquée, quel ne fût pas ma surprise, une maisonnette mi « quiet » mi « cute » et totalement ridicule avec une inscription au dessus d’une petite clochette en pétale de campanule. « tire la chevillette et la bobinette cherra ». Une comptine résonna à nos oreilles et une dame Blonde au visage insaisissable et à la voie rauque vient nous ouvrir avec une magnifique chatte dans ses bras. C’était Bastet la Désse chat ou bien Sekmet dans ses bon jours. La déesse nous tendit la patte de manière tout à fait gracieuse et nous enjoint d’entrer dans sa chatterie. La dame ne disait mot, Bastet nous faisant remarquer qu’elle n’était autorisé à s’exprimer seulement pour émettre quelque chose d’intéressant et que de toute façon, elle n’avait rien d’autre à faire que d’obéir. Nous sommes des enquêteurs de l’Hatchepsout, et nous cherchons des renseignements sur un dénommé Kott-caïn. La Déesse leva les épaules et dressa ses oreilles comme des pointes de sagaie. « Nous somme au pays des fermes à trolls ici, et des sales types il y en à plein les rues. votre Kott-caïn, c’est un pseudo de mercenaire, ces gens n’ont aucun scrupule ». « Mais pourquoi êtes vous venu vous installer dans un endroit pareil ? » lui demandais-je. « je dois gérer mon site mondialement connu, « Le pouvoir de l’arbre à chat » et d’ici les connexions sont plus rapide. De plus à un moment de notre histoire un « ré-éveillé » à franchie le portail gris à l’aide de lunettes de syntonisation de type « Tron » utilisant le canal synesthésique auditif et qui lui permit de naviguer simultanément dans son espace pseudo-réelle de psychoactif en état d’éveille tout en circulant sur notre saint réseau hypnagogique. Nous avons immédiatement décrété sa confiscation, au principe duquel, ramener des souvenirs du monde des rêves est prohibé pour ces ré-éveillés ordinaires. Nous en avons étudier son principe que nous avons inverser de sorte que désormais avec ces lunettes nous pouvons contrôler le World Wide Web depuis les tréfonds de l’inconscient ». « Bravo Déesse » exprimais-je avec malgré tout une pointe d’inquiétude quant aux conséquences d’un tel retournement. La seule chose qui nous restait à faire serait de récupérer la véritable identité de ce kott-Caïn sans soulever l’attention sur nos investigations. Bastet nous indique encore que ce fameux kott-Caïn s’active dans l’usine à trolls « Cyber Front Z » mais Casoar qui est tout sauf téméraire me fit remarquer que Thot craignait que je sois dans sa ligne de mire et l’approcher comporterait un risque fatal. Bastet nous indique un bureau des inscriptions au centre des antipodes, au beau milieu des usines à trolls, « cette officine attribut un numéro d’exploitation aux haters et en tient le registre, la vous aurez votre renseignement », ajoute-t-elle. Rendu au bureau des antipode la récupération de l’information ce fit en toute discrétion. Il s’agissait d’un certain « Bartley Mac Mahès » originaire du Manu-Maine. Muni de cette nouvelle clef nous fendions à nouveau l’espace mental en wingsuit droit sur la rédaction. À peine arrivé nous nous partagions la tâche, il s’agissait de révéler les identités des protagonistes mais surtout de découvrir le vrai commanditaire de cette odieuse machination. À Casoar la traque de Bartley Mac Mahès tandis que je partirais à la recherche de tuyaux sur Béni-balou-dǎna. Casoar me conseille de commencer par la rédaction, il y a de redoutables limiers à l’Hatchepsout-presse. Il m’indique un rédacteur s’acharnant sur un pauvre clavier qui clacliclopait de souffrance. Je n’osais l’approcher mais Casoar l’interpella. « Il veut de l’info sur un Béni-balou-dǎna » lance-t-il. Le rédacteur tournant la tête, je me retrouvais devant un type à l’aspect ineffable au dernier abord. Il possédait un visage retourné qui faisait que face à lui nous fixions sa bouche et non ses yeux, le sommet de son visage arborait une magnifique barbe parfaitement taillée et coiffée puis le bas du visage conservait une petite touffe ébouriffée en forme de barbichette, c’en était confondant. La bouche retournée commença sa leçon : « vous ne connaissez pas l’expression Béni-balou-dǎna ? Béni signifie un individu qui maîtrise le voyage chamanique, Balou correspond à celui qui maîtrise le voyage hypnagogique et Dǎna représente un rêveur éveillé qui a le pouvoir de bousculer le destin, votre bonhomme a la particularité de maîtriser les trois », puis replonge dans son clavier. Casoar me fit remarquer que je devais m’activer car ayant l’âge de vingt ans, dans sept ans la prophétie me rangera parmi les figures du fameux club des 27 devenu 57, Jimmy Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones, kurt kubain, Amy Winehouse, JM Basquiat, Dino Stones, peut être moi même et bientot un nouveau Béni-balou-dǎna et tant d’autres encore, j’ai intérêt à me remuer le popotain. Puis une clameur infernale retentit dans le firmament du « domaine de survol absolu sans bords » envahissant tout le volume de l’entendement, « rooaac », « rooaac-rooaac » « you see me » « you see me » « rooac » « rooac » puis un flash violent de lumière et tout le poids de mon corps qui se venge des excès de la veille.
Le visage tendre et bienveillant de Nour apparaît au pied du lit. « Eh bien, t’as dormi dix heures, gaï, et il fait bientôt nuit », plaisante-t-elle en hochant la tête. Je suis cette fois troublé par sa présence et par les sentiments que je lui porte. Me redressant pour reprendre mes esprits, je lui pose instinctivement la question de savoir s’il y avait un Bartley Mac Mahès dans le camp ? « Tu sais, le camp représente dix-huit hectares de terrains, six cents véhicules, il y a les « photo-autonomes » au solaire qui constituent le village de tipis que tu as visité hier soir, les « Gazos » en gazogène qui procèdent à la rapine du bois, les « HVBs » à huiles végétales de recyclage, les « combusteurs » motorisés à la pile à combustible, les « fossiles » qui brûlent encore du fioul pour leur motorisation. Si l’on compte une moyenne de six roulards par véhicule, cela fait trois mille six cents âmes dans l’Oumma. Je ne connais pas tout le monde, mais demande à Mère-louve, elle tient le registre de la tribu depuis l’origine. » J’allais quitter Nour pour retrouver le Glitch dans le camp et remercier chaleureusement Providence pour son hospitalité. Habituellement, les lieutenants sont là où ça ferraille, il suffit de tendre l’oreille et d’écouter les résonances de la rue. Un petit groupe s’active sur la gauche de l’axe de la voie centrale, une dizaine de lieutenants tournaient autour d’un four à papier improvisé pour y placer un creuset de fonte douce et là, en arrière-plan, mon Glitch, adossé à un pin sylvestre, sifflotait le chant des tribus. Il me fit signe et m’annonça à l’approche qu’il avait obtenu dix kilos d’afghane d’un contact dans le camp, et que ça allait se faire demain matin. Nous allions pouvoir profiter du camp des dix-sept louves encore un moment. Ameele, Jauko et moi avons des étoiles plein les yeux. En vingt-quatre heures passées dans le camp depuis notre arrivée, nous avons découvert et échangé une myriade de sentiments de natures inconnues et toutes différentes que nos a priori de patriciens en voie de destitution lente ne pouvaient soupçonner. Nos émotions affectives ont été chamboulées cent fois plus que ce que l’on vit en une année dans notre routine citadine. Les indigènes adoptaient consciemment ou inconsciemment la bienveillance de Mère-louve et possédaient un esprit espiègle et curieux propre aux nomades, j’avais hâte de tous les rencontrer. Mère-louve possédait une superbe « Airstream Pottery Barn » sur une base vintage dans le lot circon-topique du camp. Nour nous rejoignit et nous conduisit sur le chemin de chère Mère qui saura sans doute nous répondre. Nos déambulations dans l’intimité des dix-sept louves nous ouvrent un espace d’organisation que nous ne pouvons soupçonner depuis Paris. L’anonymat n’existe pas ici, vous vous posez quelques secondes quelque part dans le camp et tout de suite quelqu’un vient converser quelques impressions et sentiments avec vous comme si vous étiez l’ami de toujours partageant le destin de l’Oumma. Nous tintinadéambulions au travers des cantines et roulotes du camp qui remodelait sans cesse le schéma du territoire de l’Oumma. Rien ne ressemblait à rien et tout avait un nom. Toute la diversité de la nature humaine se concentrait sur quelques enjambées et Nour semblait connaître tout le monde tout au long de notre progression divaguée, allant de cours en cours, suivie par un chapelet de porcelets, chiens, agneaux, et même chats surveillant l’avancée du groupe des toits et tours de veille. Approchant une étrange « Dimaxion », une jeune femme cultivait des pois de senteur qu’elle avait pris l’habitude de disséminer à qui en voulait bien dans le camp et avaient la particularité d’envahir les foyers bohèmes de l’Oumma. Cela apportait une touche de légèreté à l’orée des roulotes et des tiny-houses dans tous les coins du village nomade. « Ameele et Jimmy », nous dit-elle, « je vous présente Zeline ». L’amie de Nour révéla un visage plein de charme, émergeant des buissons de pétales de couleurs aquarelles. Son expression corporelle, toute en spontanéité et en subtilité en faisait une femme attachante. Après quelques échanges, nous nous quittions en nous promettant de nous revoir et la petite file indienne continua son serpentage vers le refuge de Mam-louve. Le lot circon-topique se constitue par agglutination de caravanes de lieutenants qui négocient entre eux la position à adopter par rapport à Mère-louve, fonction de leur importance, et finissent par former une organisation en forme de neurone, étendant ses axones d’infrastructure et ses influences dans tous les lieux du camp. Pénétrant dans le lot circon-topique, on ressent des arrangements beaucoup mieux pensés et structurés que dans le reste du camp. Le cheminement se poursuit en suivant les tours et les détours constitués d’attelages beaucoup plus impressionnants qu’à la périphérie. Ici, les Dodge côtoient les Raptor Shelby, alternant avec des urbanismes de doubles essieux rutilants. Nous arrivons à la superbe Airstream toute alu de la Mère des dix-sept louves. La porte de Mère-louve est toujours ouverte et toujours entourée de la vigilance des lieutenants. Arrivés au point circon-topique du camp, l’ambiance est à la rigolade et le petit groupe installé devant sa roulotte semble vouloir commettre une fête de folie pour la soirée. La porte de l’Airstream était grande ouverte et Mère-louve apparaît en jubilant. Elle reconnut Nour et nous invite à participer à la communion de joie de sa meute de louveteaux qui se prépare ce soir. Nous acquiesçons avec empressement et demandons une audience. Elle nous fait entrer dans son antre où tout a l’air d’avoir strictement sa place, l’ambiance balance entre le poste d’un QG de campagne et le laboratoire de Merlin l’enchanteur. Dans le principe, tout lieutenant est susceptible d’assister Mère-louve dans ses tâches administratives. À la question de savoir si un certain Bartley Mac Mahès avait résidé dans le camp, Mère-louve nous renvoya vers un lieutenant affalé sur une banquette de jardin. Il nous accompagna avec enthousiasme dans la roulotte et farfouilla dans les registres. « Effectivement, il y a un Bartley Mac Mahès qui a séjourné dans le camp à deux reprises, en 2038 et en 2042, et y a séjourné à chaque fois six mois. »
Muni de ces informations dont je ne sais que faire, hormis la conviction que le bonhomme risque de me faire la peau, je m’efforçais d’oublier ces mauvaises idées pour « carpe diem » avec mes nouveaux amis : Nour, Zeline, Alix, Belina, Providence, Ameele ma sœur chérie, Jauko et toute la crème de ce petit peuple tendrement turbulent. Galouzo ne pouvait pas rater une telle occasion. Nous étions assis sur des tables, attendant que l’ambiance se mette en place. Le cercle de pick-ups et de roulottes cernait une vaste cour comme un espace de concert, au centre duquel on aurait placé un feu que des jeunes filles en legging alimentaient avec ardeur. Petit porcelet est là, qui a suivi la bande des chats bohèmes et attendait comme nous, montée l’excitation et l’enthousiasme de l’esprit Tziganes. La pénombre commençait à s’imposer, embrasant les visages du rougeoiement de l’âtre en croissance. Une multitude de groupes s’est formée et une flopée de petits Sun Tzu se battaient en combat singulier, provoquant parfois des gerbes de tisons ardents en frappant le feu de leurs bâtons de samouraï. J’entendis une rude explication entre Galouzo et un lieutenant à lourde poitrine, l’avertissant qu’il n’était pas question qu’il distribue ses pils à l’occasion, cela allait foutre une mauvaise ambiance, ce que Galouzo approuva sans discuter : « Loin de moi cette intention », lui répond-il. Le Glitch m’approcha et me glissa à l’oreille : « J’ai de la pseudo-caïne dans ma Quech’, je vais la chercher ? ». Le Glitch maintenait une tente à demeure dans la colonie, qui lui permettait de faire la navette avec les pizzérias de son oncle pour les alimenter en blanche. La difficulté était de trouver un véhicule conforme pour faire le voyage et passer les deux barrières électroniques qui bunkérisaient la capitale. Ameele, voyant approcher Mère-louve, qui venait faire connaissance avec ses nouveaux petits louveteaux qu’elle voyait à travers nous, tenta de la susciter comme à une mère la possibilité d’emprunter une de ses robes tzigane pleine de couleurs. Mère-louve, ravie de notre spontanéité et de notre fraîcheur d’esprit à participer aux festivités, engagea Ameele à venir dans sa roulotte choisir son bonheur et s’en allèrent toutes deux, Ameele clopin-clopant devant et chantonnant des ritournelles qu’elle aimait inventer. Dix minutes s’écoulèrent et Ameele réapparut avec une robe façon parure de paon, dominante verte émeraude avec des moirés mauves et violettes, parsemée de flammèches de chaleur constituées d’orangées. Avec son teint poire-chocolat noir, elle était magnifique. Habillée d’un legging noir, elle se mit à tourner comme une ballerine de coffret à bijoux dans l’éclat du feu jusqu’à en perdre l’équilibre et se mit à rire sans retenue. Ameele semblait réaliser son rêve, la soirée commençait bien. Comme à l’habitude, Jauko ne tenait pas en place et se dirigea vers Providence pour lui raconter ses conversations avec la reine des insectes, en s’agitant comme en plein acid-trip. Providence, amusée, semblait approuver ses propos et un petit yorkshire apparaissant devant moi semblait m’interroger, son bout de queue s’agitant comme une horloge. « Tu veux un « susucre » ? » pensais-je quand soudain un jeune homme avec une chevelure de pur sang arabe couleur d’ébène sortit d’une caravane avec une magnifique basse acoustique Ibanez et s’installa un peu en avant dans la lumière, un genou sur un fauteuil d’extérieur et les doigts appliqués sur le manche et le chevalet. Le silence se fit puis ce bel hidalgo nous emplit les oreilles de Django Reinhardt. Les effets de tapping résonnaient à souhait sur la caisse de sa basse Ibanez et Django-junior avait les doigts d’un dieu. Une troupe de danseuses à la mode manouche, rivalisant avec leurs robes soixante-dix plis, s’était aussitôt constituée près du feu et Ameele n’attendait que ce moment pour montrer ses aptitudes de diablesse de la mouve. J’étais hypnotisé par ma sœur qui rivalisait de prestance avec ses nouvelles sœurs de cœur. Le petit yorkshire se dressa sur ses pattes arrière et se mit à danser au rythme d’un ragtime manouche. Suite à cela, le Glitch m’emmena dans la roulotte d’un lieutenant du quarteron des biologistes qui possédait tout le matériel nécessaire pour sniffer sa pseudo-caïne. Au premier abord, elle n’avait pas l’inconvénient de flinguer les cloisons nasales, et l’effet de fuzz, de frisage et de scintillements des neurones habituels étaient absents. Seul le palpitant était sollicité et une poussée proche de l’ecstasy semblait vouloir monter. Avec un air de vice, le Glitch me prépara de nouveau un rail deux fois maousse en me tendant la paille : « T’es prêt ? ». La soirée se passa à merveille, hormis l’invasion des arthropodes toujours au rendez-vous à minuit. Le petit coup de pouce du Glitch me donnait le courage d’aborder la présente et tendre Nour. Avec un sourire à la mode casoar, je l’approchais pour évoquer nos moments d’intimité qui correspondaient à des fous rires communs et abordais sa passion de tireuse à l’arc : « J’ai l’âme d’Hippolyte », la préférée de Penthésilée, me dit-elle, « c’est la plus belle des amazones ». Son assurance masquait une grande sensibilité et un besoin d’affection certain que mon attention aux choses de la vie aurait pu peut-être étancher. Nous évoquions les événements de la Maladrerie et elle semblait me dire qu’à travers ce drame son destin était engagé. La cruauté de la situation était que je ne pouvais m’engager de même et n’étais qu’un touriste qui balayait le territoire en oubliant parfois ses amis de passage. Nous avions une grande affinité entre Nour, avec laquelle je partageais mes idées de stratégie clausiusienne et de systémique opérationnelle, mais le fait était là : je restais un patricien de l’Empire qui n’a pas encore choisi son camp. La soirée se passa jusqu’à épuisement des énergies, nous étions passés de Django Reinhardt au reggae-time et au reggaeton, puis aux chants contestataires et les groupes de fêtards s’étaient petit à petit dissipés. Je demandais à Providence l’autorisation de passer à nouveau une nuit dans son coléoptère géant, qu’elle m’accorda avec plaisir, et je voyais bien en partant Ameele en ballet d’esprit avec un lieutenant qui ressemblait à un descendant de Mohican. Je lui fis signe et partis me coucher avec le petit groupe : Belina et son Sun Tzu, Jauko, Nour, Providence et le Glitch qui devait charger les kilos d’afghane dans le coffre d’une voiture pour le retour du lendemain. Nous devions ainsi faire le retour en vélo sans le Glitch. Il fallait se reposer, surtout que les frontières électroniques étaient quasiment impossibles à franchir incognito à partir d’une certaine heure.
La nuit se déroula comme un passage au travers d’un trou blanc. Au réveil, il ne me restait que les souvenirs de la veille et le constat désolant de devoir partir, quitter cette assemblée de magnifiques personnes avec lesquelles j’ai partagé, le temps d’un songe, l’existence et peut-être le destin. Providence m’avait préparé son café secret grand-mère qui commençait à peine à refroidir sur la table et qui avait fini par éveiller mes sens et mes papilles de ses arômes grillés au-delà de mon état d’endormissement. J’entendis Providence s’éloigner, me lançant un « Il est sept heures, Paris s’éveille ! ». Je récupérais les quelques affaires que j’avais éparpillées dans le camp et allais récupérer nos vélos dans l’amas inextricable de guidons et de cadres à chaînes qui s’élevait à l’entrée de la colonie. Bientôt, Ameele et Jauko me retrouvèrent devant la pelote de roues-pédales tout en nœuds et participèrent au démêlage de la ferraille. J’aperçus nos vélos dans un creux, comme si cet amas inextricable de bicyclettes se retournait miraculeusement pendant la nuit. Nos amis du camp étaient venus observer ce récurrent et étrange rituel des vélos emberlificotés qui se produit au moment du départ et en avaient fait une tradition qui, en guise d’adieux, venait plaisanter sur ce phénomène oripilant et sur l’aptitude des visiteurs à en sortir quelque chose sans tout emmener avec eux ; cela leur donnait en plus l’occasion de présenter leurs regrets de nous voir partir. Hormis Galouzo qui, à cette heure, parcourait déjà le camp pour vanter ses pils roses, tout le monde était là : Belina et Sun Tzu, Alix, Nour et Zeline nous ayant transmis ses bonnes pensées par la bouche de Providence, plus le nouvel ami mohican d’Ameele qui était dans l’état d’un amoureux transi. Comme l’on peut s’en douter, le départ fut déchirant. Les vélos retrouvés, nous passions une bonne demi-heure à épancher et échanger nos sentiments respectifs les plus profonds et les plus vibrants, nous câlinant une dernière fois tout en évoquant la conviction de nous revoir au plus vite. Le temps passe inexorablement et l’heure fatidique est déjà là, il faut partir. La première barrière est relativement facile à franchir sans alerter les douanes internes qui ont un pouvoir quasi-absolu sur les patriciens soupçonnés de collusion avec les indigènes, surtout s’ils sont fichés au registre des subversifs. Jauko avait conservé les indications du Glitch pour passer les barrières électroniques ; il y avait le plan des brèches les plus récentes dans le système. Il s’agissait de trouver les adresses de squats qui donnaient accès à des sous-sols contournant le champ de couverture de la barrière électronique en descendant assez profond, quelques fois jusqu’au troisième sous-sol, avec les vélos sur le dos et d’arpenter les sous-terrains sans la garantie d’échapper aux cerbères.
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