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40- Nous devons tout aux hippies !
400- Dans la Silicon Valley, les Geeks véhiculaient l’Utopie Numérique. Cette évolution technique qu’est le World Wide Web, aussi spectaculaire soit-elle, ne peut être la source unique des utopies auxquelles furent associés les ordinateurs. Qu’une telle machine puisse être posée sur un bureau et manipulée par un individu n’en fait pas pour autant une technologie « personnelle ». Que des groupes de personnes échangent via un réseau d’ordinateurs connectés n’implique pas nécessairement que leurs interactions en ligne s’inscrivent dans une logique de « communautés virtuelles ». Au contraire, sur les lieux de travail, ordinateur de bureau et en réseau peuvent devenir de puissants leviers pour assimiler plus encore l’individu à son entreprise. Au sein du foyer, si les mêmes outils permettent aux écoliers de télécharger les contenus de bibliothèques publiques, ils transforment également le salon en supermarché numérique, opportunité dont se saisissent les boutiques afin de collecter toutes sortes d’informations personnelles sur ces consommateurs potentiels. Malgré les promesses d’une utopie en marche auréolant l’émergence de l’internet, rien ne vouait l’ordinateur, connecté ou pas, à aplanir les structures organisationnelles, participer à l’individuation des humains ou œuvrer à la création de communautés soudées malgré la dispersion géographique. Pourquoi alors, ordinateurs et réseaux furent-ils le moteur des rêves d’une ad-hocracie distribuée, d’un marché libre et égalitaire et d’un « Soi » plus épanoui ? Où ces rêves avaient-ils pris forme ? Et qui enrôla ces outils informatiques comme porte-drapeaux ? Pour répondre à ces questions, il faut en revenir à l’histoire de ce groupe extrêmement influent de journalistes et d’entrepreneurs de la baie de San Francisco : Stewart Brand et le réseau Whole Earth. Entre la fin des années soixante et la fin des années quatre-vingt-dix, Brand constitua un réseau composé de personnes et de revues qui furent à l’initiative d’une série de rencontres entre les milieux bohèmes de San Francisco et la Silicon Valley, carrefour technologique naissant. Dès 1968, il regroupa les acteurs des deux mondes dans les pages d’un des ouvrages les plus représentatifs de l’époque, le Whole Earth Catalog. En 1985, il les réunit de nouveau au sein d’un dispositif de conférences électroniques qui allait devenir le plus influent de la décennie, le Whole Earth Lectronic Link ou WELL. Dès lors, et ce jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, Brand et les autres membres du réseau, dont Kevin Kelly, Howard Rheingold, Esther Dyson ou encore John Perry Barlow, devinrent les personnalités les plus citées pour illustrer une vision contre-culturelle de l’internet. Finalement, en 1993, tous participèrent à la création de Wired, le magazine, qui plus que tout autre vantera la dimension révolutionnaire du monde numérique émergent.
401- Si l’on fait le récit de leur histoire, celui de la culture militaro-industrielle de la recherche, qui fit son apparition lors de la Seconde Guerre mondiale, et celui de l’Amérique de la contre-culture, qu’elle soit érudite ou vulgarisée, on la dépeint en utilisant des termes apparus au sein même du mouvement : une culture antithétique aux technologies et structures sociales qui nourrissent l’État en guerre froide et son industrie de l’armement. De ce point de vue, les années quarante et cinquante sont souvent considérées comme une période sombre, modelée par des normes sociales rigides, des institutions hiérarchiques et les pressions permanentes résultant du face-à-face nucléaire entre les États-Unis et l’Union Soviétique. La décennie suivante aurait quant à elle surgi dans un grand tourbillon en Technicolor de contestation politique et de développement personnel visant en grande partie à renverser la bureaucratie militaro-industrielle de la guerre froide. On explique la pérennité du complexe militaro-industriel, ainsi que la perpétuelle croissance du capitalisme des grandes industries et de la culture de consommation, en avançant que les idéaux authentiquement révolutionnaires de la génération de 68 ont été en quelque sorte intégrés par leurs adversaires, pour ainsi dire récupérés. La production intellectuelle et technologique de la recherche aux États-Unis présentait énormément d’intérêt aux yeux des « Nouveaux Communalistes ». Et si les hippies, qu’ils soient de Manhattan ou de Haight-Ashbury, condamnaient dans son intégralité l’industrie de l’armement ainsi que le processus politique à son origine, ils n’en furent pas moins des lecteurs assidus de Norbert Wiener, Buckminster Fuller et Marshall McLuhan. La Nouvelle Gauche et les Nouveaux Communalistes partageaient l’idée que la bureaucratie technologique représentait, au mieux, la menace d’une existence d’adulte terne et psychologiquement douloureuse, et qu’au pire elle entraînerait l’extinction de l’espèce humaine. Pour la Nouvelle Gauche, la politique de mouvement rendait possible le renversement de cette bureaucratie tout en permettant d’expérimenter dans son intimité propre la solidarité dans l’engagement commun et la possibilité de vivre une vie d’adulte qui conserve sa charge émotionnelle. Pour les Nouveaux Communalistes et une grande partie du mouvement contre-culturel, la cybernétique et la « Théorie Générale des Systèmes » offraient une alternative idéologique. Comme Norbert Wiener vingt ans plus tôt, un certain nombre de membres de la contre-culture voyaient dans la cybernétique la perspective d’un monde construit non pas sur des hiérarchies verticales ou des flux d’autorité descendants, mais autour de circuits en boucle, d’énergie et d’information. Ces circuits ouvraient la voie à un ordre social stable dont les fondations ne seraient pas les chaînes de commandement aliénantes des univers militaire et économique, mais les flux et les reflux de la communication. Brand se mit à l’idée que le LSD, le peyotl et les psychotropes pouvaient altérer et sublimer les perceptions. Cette idée faisant son chemin, c’est alors que Brand se mit à fréquenter les Merry Pranksters, ces fervents adeptes du trip dans tous les sens du terme. Les Pranksters s’étant rencontrés pour la première fois aux alentours de la maison de Ken Kesey sur Perry Lane, à proximité du campus de Stanford. Peu de temps après le séjour de Kesey à l’hôpital psychiatrique des anciens combattants de Menlo Park, connaissant bien la pharmacopée et la chimie, Kesey prit l’habitude de ramener du LSD chez lui. Un petit groupe se constitua dès lors, une poignée d’écrivains de Stanford, l’artiste Roy Seburn, auteur de l’habillage du Magic Bus, le psychologue Richard Alpert, professeur de psychologie à l’université Harvard ayant étudié les effets des substances psychédéliques, le guitariste Jerry Garcia et encore Page Browning, initiateur des happenings et des Acid Tests. Tous étaient venus pour faire la fête en différentes occasions. En moins d’une année, Kesey avait rassemblé une nouvelle tribu dont Page Browning et Gurney Norman, rescapés de la bande de Perry Lane. À l’automne 1964, lui et les Pranksters peignirent ce vieux bus scolaire et partirent pour l’Est, première étape de ce qui deviendrait la tournée légendaire décrite par Tom Wolfe dans les pages de « The Electric Kool-Aid Acid Test », Brand ne faisait pas partie de l’équipée. Il représentait selon Wolfe « l’aile modérée et réfléchie des Merry Pranksters », un comble de la part de celui qui allait plus tard trahir le mouvement en se vendant aux financiers de « Wall Street ».
402- Fred Turner nous raconte : « Cet espace constitué de toutes ces communautés devint à son tour un forum-réseau. Un espace où les membres des différentes communautés se réunissaient, échangeaient idées et légitimité, et ce faisant produisaient de nouveaux cadres intellectuels et de nouveaux réseaux sociaux. En utilisant le terme forum-réseau, on crée une passerelle entre deux concepts importants des champs de la sociologie des sciences et des techniques : celui de « zone d’échange » développé par Peter Galison et celui « d’objet frontière » forgé par Susan Leigh Star et James Griesemer. Les forums-réseaux fonctionnent comme une zone d’échange dans la mesure où ce sont des espaces dans lesquels des représentants de plusieurs disciplines se rassemblent pour travailler et élaborent des langages de contact pour pouvoir collaborer. Pour autant, dans le regard de Galison, et dans celui des anthropologues dont il s’est inspiré, les zones d’échanges sont avant tout des lieux physiques, par exemple des laboratoires, des inter-lieux. Dans une étude, Star et Griesemer soumirent l’idée qu’un artéfact médiatique pouvait être également utilisé à des fins collaboratives. Ils montrèrent que le travail scientifique nécessitait une collaboration entre des représentants d’un grand nombre de sous-disciplines. Ils trouvaient le moyen de collaborer tout en conservant leurs réflexes individuels à leur champ d’étude originel, en partie grâce à la création et la mise en circulation « d’objets-frontière ». En d’autres termes, « des objets que l’on trouve dans plusieurs mondes sociaux entrecroisés et qui satisfont aux conditions informationnelles nécessaires à chacun ». Pour Star et Griesemer, ce type d’objets comprend les collections d’objets organisées et indexées : les cartes, les diagrammes, les formulaires standardisés (Sémiologie graphique, Jacques Bertin, édition EHESS) et des objets aux limites tracées collectivement par l’ensemble des membres mais dont le contenu pouvait être analysé différemment par chacun d’entre eux. Un forum-réseau présente à la fois les propriétés singulières des zones d’échange et des objets frontières. À l’image de l’objet-frontière, il prend la forme d’un média, tel un catalogue ou un système de discussion en ligne, autour et au sein duquel les individus échangent et collaborent sans renoncer à leur propre réseau de filiation. Mais à l’image de la zone d’échange, il s’agit également d’un espace dans lequel de nouveaux réseaux peuvent être créés, non pour créer un nouveau tissu social, mais également dans la perspective d’un travail à accomplir. Au sein d’un forum-réseau, de la même manière que dans une zone d’échange, des contributeurs fabriquent des outils rhétoriques inédits avec lesquels ils peuvent exprimer et faciliter de nouvelles collaborations. Les forums-réseaux ne sont pas confinés au seul univers des médias. Des think tanks, des conférences et même des marchés en plein air peuvent être les supports de ce type de forums quand un ou plusieurs entrepreneurs réunissent des membres de réseaux multiples, leur permettent de communiquer et de collaborer, facilitant ainsi la formation simultanée de nouveaux réseaux et de nouveaux langages de contact. Cependant, les forums-réseaux structurés autour d’un média, comme le Whole Earth Catalog, sont à la fois issus de ces nouvelles langues mais également l’espace même de leur développement. En dernière instance, les forums eux-mêmes deviennent souvent les prototypes concrétisant les analyses collectives autour desquelles ils ont été construits. Le Whole Earth Catalog jouera chacun de ces rôles, en premier lieu pour ses contributeurs et son lectorat d’origine au sein des communautés. Le premier numéro de CoEvolution Quarterly faisait la part belle à un article d’Erhlich, « Coevolution and Biology of Communities », qui traçait les grandes lignes du cadre théorique de son travail. Brand considérait cependant la coévolution comme un phénomène plus large qu’une simple théorie biologique ; c’était une métaphore dérivée d’une approche scientifique, dont elle conservait la légitimité pour une nouvelle manière de vivre. Cette métaphore ne résulte pas tant des lectures de Brand liées à la biologie contemporaine qu’à celles teintées de cybernétique mystique d’un ancien anthropologue, psychiatre et chercheur en biologie, Grégory Bateson. À l’image des idées de Buckminster Fuller et de Norbert Wiener qui avaient présidé à la création du Whole Earth Catalog, la vision cybernétique de Bateson imprégnait littéralement CoEvolution Quarterly. À la fin des années soixante, Fuller et Wiener avaient proposé un regard sur l’usage des outils qui s’accordait avec le retour à la terre caractérisant la jeune génération : pour le début de la décennie suivante, l’analyse de Bateson du monde lui-même comme un système et de ses habitants comme des éléments potentiellement capables d’influer sur ce système était en phase avec le retour des Nouveaux Communalistes au cœur de l’Amérique installée. Dans la vision de Bateson, comme dans celle de Brand, les anciens contre-culturalistes et le reste de la société allaient enfin devoir coévoluer.
403- « Nous sommes les égaux des dieux et notre responsabilité est immense. Jusqu’à présent, le pouvoir et la gloire exercés à distance – via le gouvernement, les grandes entreprises, l’université, l’église – ont prospéré au point que désormais leurs défauts cachent leurs qualités. Pour résoudre ce dilemme et pour faire honneur à ces qualités cachées, se développe un univers d’un pouvoir personnel et intime – le pouvoir de l’individu à s’éduquer lui-même, trouver sa propre inspiration, modeler son environnement et partager son aventure avec qui le désire. Le Whole Earth Catalog répertorie et promeut des outils qui soutiennent cette démarche ». L’auto-suffisance ne mérite pas d’être vécue en aucune façon, jamais. C’est une charmante et sylvestre extension de l’obsession américaine fatale pour la vie privée… C’est un foutu mensonge. Il n’y a pas de Soi isolé que l’on puisse disséquer. Jamais depuis que coexistent deux organismes, la vie n’a été autre chose qu’une affaire de coévolution. La vie s’enrichit perpétuellement de la vie. Nous pouvons simplement nous demander quel genre de dépendance aura notre préférence. C’est en cela que réside notre seul choix. » Une deuxième vague émergea dans les années soixante avec la publication de « Observing Systems », un recueil d’essais rédigés par Heinz Von Foester. Ce dernier, qui devint plus tard un abonné fidèle du Whole Earth Catalog et un ami de Brand, proposait d’inclure les observateurs comme faisant partie des systèmes qu’ils observaient. Dans l’analyse de Foester, et plus tard dans le travail d’un petit nombre d’autres cybernéticiens, l’observateur et le système étaient inséparables. Au regard de cette chronologie, Gregory Bateson appartenait à la première vague de cybernéticiens. En 1942, peu de temps après avoir mené des recherches de terrain dans le Pacifique Sud et s’être marié avec sa collègue Margaret Mead, il participa à un colloque organisé par la Macy Foundation à New York qui avait pour thème l’hypnose et les réflexes conditionnés. Il y rencontra Warren McCulloch et Arturo Rosenblueth, et écouta la présentation de ce dernier sur le concept de feedback que celui-ci venait de développer en compagnie de Wiener et Julian Bigelow. Ainsi que l’a montré Steve Heims, les sciences physiques et sociales s’étaient concentrées jusqu’alors sur des modèles circulaires dans la théorie de la relativité générale d’Einstein ; la plupart des scientifiques pensaient que des schémas circulaires de causalité ne pouvaient pas être modélisés ou vérifiés mathématiquement, et donc ne sauraient être étudiés. Cependant, l’analyse de la causalité que développait Rosenblueth était non seulement totalement inédite, mais pouvait également être appréhendée au travers des méthodes mathématiques traditionnelles comme le pensait Mitchell Feigenbaum. En 1946, aussitôt la Seconde Guerre mondiale terminée, la Macy Foundation convoqua la première d’une dizaine de rencontres censées explorer ces hypothèses et quelques autres traversant la cybernétique. La théorie de Bateson d’un esprit immanent permettait également à ses adeptes de renouer avec le sentiment de participer à la préservation de la planète. Dans « Vers une écologie de l’esprit », Bateson indiquait que si les causes immédiates de ce qui apparaissait comme une crise écologique imminente pouvaient être d’ordre technologique et social, la cause première en était épistémologique. Dans un essai intitulé (Effets du but conscient sur l’adaptation humaine), il soulignait l’idée que la conscience individuelle était accaparée en permanence par des processus d’apprentissage individuel et d’échange culturel. Ces processus donnaient leur forme aux relations de l’être humain à la nature et offraient à l’individu une opportunité de la modifier. En 1972, Bateson indiquait que ce dont la nature avait le plus besoin alors était d’être préservée. Au cours des siècles précédents, certaines « entités au développement auto-engendré », comme les grandes entreprises ou les gouvernements et les empires, avaient transformé l’être humain individuel en une créature déshumanisée. Il émettait l’hypothèse que chaque individu pourrait retrouver son humanité et agir de manière plus humaine à l’égard de la planète dans sa globalité s’il prenait conscience de son niveau d’intégration dans les systèmes naturels et sociaux qui l’entourent.
404- L’esprit individuel est immanent mais pas seulement dans le corps. Il est immanent dans des circuits et des messages à l’extérieur du corps ; et il existe un Esprit plus vaste et comparable à Dieu et peut-être est-ce même ce que certaines personnes entendent par Dieu, mais il reste immanent dans le système social et l’écologie planétaire entièrement interconnectés. Au travers de la cybernétique, expliquait Bateson, les êtres humains pouvaient finalement admettre que l’individu n’était rien de plus qu’un « servo-système couplé à son environnement ». L’idée d’une séparation de l’esprit individuel avec le corps ou même avec le vaste monde n’était autre qu’un vestige de l’ère industrielle, voire de l’ère pré-industrielle, de la civilisation humaine. Les années soixante, imprégnées d’innocence et d’idéalisme païens, subsistent et continuent d’exercer leur fascination sur les mômes d’aujourd’hui. En jetant un œil sur les images d’archive de Woodstock, on s’interroge : où sont passés tous ces ados illuminés, avides d’orgasmes ? Ils se sont éparpillés sur tout le territoire et restent en dormance, tels des plantes vivaces enfouies profondément dans la terre. Mais leurs nucléotides issus de mutation ont engendré une nouvelle génération entière de filoutes et de filous mutants et diablement intelligents, et c’est en eux que nous devons placer notre foi et le pouvoir. Au contact de Norbert Wiener, Buckminster Fuller et Marshall McLuhan, Stewart Barlow, qui s’était converti plutôt tardivement à la puissance des technologies numériques, était cependant un vieux briscard du mysticisme et du LSD. Fils de propriétaires de ranch dans le Wyoming, il avait été élevé dans un esprit mormon, attaché au parti républicain. Il n’avait pas été autorisé à regarder la télévision avant l’âge de 11 ans et lorsqu’il le put, il regarda essentiellement des programmes de télévangélistes. À 14 ans, il fut envoyé dans une école catholique et, ironie du sort, c’est à ce moment-là qu’il commença à avoir la foi. À la fin des années soixante, alors qu’il fréquentait l’Université de Wesleyan dans le Connecticut, il prit régulièrement part aux activités du groupe de Timothy Leary situé à Millbrook, dans l’État de New York. Sa foi refit surface à l’issue de son premier voyage sous acide. « Le sentiment qu’il y avait quelque chose de sacré dans l’Univers m’animait de nouveau », raconta-t-il plus tard. Mais cette présence sacrée ne pouvait être contenue dans un dogme en particulier. Barlow se tourna plutôt vers les inclinations mystiques de Pierre Teilhard de Chardin et la vision cosmique de Vernadsky, le prêtre jésuite et le géochimiste éclairé dont il avait découvert les œuvres lorsqu’il était à l’université, et de Grégory Bateson, dont il avait lu « Vers une écologie de l’esprit » au début des années soixante-dix. Dans leurs travaux, et plus tard dans ceux des biologistes et des théoriciens du chaos, Barlow entrevit ce qu’il appelait « une grammaire sous-jacente à la nature ». Le monde matériel était devenu pour lui un amalgame polymorphe de formes vivantes, chacune pénétrée d’une certaine énergie. Bien que les formes elles-mêmes puissent fluctuer, les énergies demeurent, circulant sans interruption, articulant le monde. Dans ce sens, pour Barlow tout comme pour Bateson, « l’esprit était un espace » – autrement dit, esprit et monde matériel étaient tous deux des systèmes constitués et perpétués par la circulation de l’énergie de nature hétéromorphe à l’ensemble, sortes de miroirs l’un de l’autre. Et dans l’expérience de Barlow, si ce n’est dans celle de Bateson, le LSD avait été un portail permettant d’accéder à cette compréhension.
405- Norbert Wiener édita en 1948 « Cybernétique », résultant de l’évolution récente de la technologie des calculateurs, de la théorie de l’information, et des processus de « feedback ». Au même moment est éditée la théorie de l’information de Shannon et Weaver et la théorie des jeux de Von Neumann et Morgenstern. Wiener développa les concepts de cybernétique, de rétroaction, et d’information bien au-delà du domaine de la technologie. Il les généralisa aux domaines biologique et social. Les dangers de cette évolution sont hélas manifestes. Le nouveau monde cybernétique ne se préoccupe pas de l’homme, le considérant comme un sujet d’exploitation et d’expérimentation dans l’esprit transhumaniste d’où le ressentiment à l’oppression du « Système ». L’homme y devient remplaçable et sacrifiable. Dans le « Grand Système », l’homme doit devenir un idiot-pousse-bouton ou un idiot-instruit, c’est-à-dire être étroitement spécialisé ou un simple morceau de la machine. Ceci est un principe des systèmes appelé « mécanisation progressive ». L’individu se transforme en rouage dominé par quelques leaders privilégiés, médiocres et mystificateurs, qui poursuivent leurs intérêts propres sous le couvert des idéologies. Que nous envisagions la croissance positive de la connaissance et le contrôle bénéfique de l’environnement et de la société, quoi que nous envisagions dans l’évolution des systèmes, le spectre du « Meilleur des Mondes » plane au-dessus de nous, et nous rappelle l’avertissement solennel de Prométhée sur la responsabilité des hommes par rapport à son pouvoir technologique. Ceci nous réserve un travail intensif, que Ted Kaczynski a commencé pour nous et dont nous devons venir à bout.
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