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Une nécessité !
Revaloriser le textile, un sujet qui chiffonne
L’augmentation perpétuelle de la production de textile à travers le monde et la pollution induite illustrent bien l’échec d’une économie linéaire pourtant dominante. Pour construire une industrie du textile circulaire, il convient de comprendre les étapes de fin de vie des vêtements usagés. Où vont-ils ? A quelle fin ?
En France, chaque année, « 600 000 tonnes de textiles sont jetées, dont 25 % sont collectés pour être recyclés ou réutilisés », déclare Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC). Ces volumes sont difficiles à estimer, notamment car beaucoup de vêtements non utilisés restent stockés dans nos placards ou sont jetés avec les déchets alimentaires, et sont par conséquent plus difficilement traçables. Pour autant, ces chiffres illustrent bien la complexité de récupérer le textile usagé pour le revaloriser, et les quantités colossales consommées chaque année. Big media s’intéresse ici au cheminement complet des 25 % des textiles en fin de vie récupérés, de leur collecte à leur recyclage.
Collecte et centres de tri La consigne pour récupérer du textile jeté ou donné ? Les vêtements et chaussures ne doivent pas être ‘souillés’ (entendre par-là surtout mouillés, ndlr). Récupéré en bornes ou par d’autres biais, où part ensuite ce textile, et à quelle fin ? Selon Louana Lamer, responsable de Missions Collectivités locales & Textile pour Emmaüs France, la collecte des textiles et chaussures usagés en France se fait soit par des associations locales, soit par des centres de tri. La France compte au total 67 gros centres de tri conventionnés par l’éco-organisme de la Filière Textile d’habillement, linge de maison et chaussure, Refashion, qui sont gérés par des acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire, comme ceux du Mouvement Emmaüs, ou par des acteurs privés. « Emmaüs gère à lui seul une trentaine de centres de tri textiles et chaussures, comme ceux du Relais, qui fait notamment de la collecte sur la voirie via des bornes. L’association représente aujourd’hui 60 % de la collecte en France, soit environ 120 000 tonnes gérées chaque année via ses 200 structures qui ont une activité de réemploi, explique Louana Lamer. Concernant les bornes, on en compte plus de 20 000 en France, qui sont vidées à fréquence variable, cela peut aller d’une fois par mois à plusieurs fois par semaine, selon le territoire. »
Dans les centres de tri, les vêtements sont répartis en fonction de leur état en quatre catégories.
La répartition du gisement textile après le tri
Le gisement de textile (stock collecté, ndlr) récupéré en France se répartit ainsi selon Louana Lamer :
5 % est d’excellente qualité et pourra donc être revendu directement en boutiques 5% et en ligne sur label-emmaus.co. Appelée la ‘crème’, elle représente la majeure partie des revenus d’Emmaüs sur les produits textiles. « Les communautés, comités de bénévoles et les structures d’insertion d’Emmaüs France vont trier les dons, en extraire la partie la plus qualitative, pour la revendre dans leur boutique », décrit Louana Lamer.
50 % représente des vêtements de bonne qualité, mais qui ne trouvent pas de demande de seconde main en France. Cette part est donc envoyée en réutilisation à l’export, sous forme de grosses balles compressées (lots de vêtements très comprimés puis ficelés ou emballés de plastique, ndlr), adaptées au pays de réception. « On n’envoie pas des doudounes en Afrique », sourit Louana Lamer. Emmaüs a ouvert trois Relais en Afrique, à Madagascar, au Burkina Faso et au Sénégal. « On vend une balle de 500 kilos à un Relais africain qui va en faire des balles de 50 kilos puis les revendre. A la fin, tout finit sur les marchés. Les recettes générées là-bas sont réinjectées dans l’économie locale. » Pourquoi une telle demande en textiles de seconde main de la part des marchés africains pour Louana Lamer ? Très peu de production textile locale, et une seconde main européenne de meilleure qualité que du neuf asiatique, avec un prix concurrentiel. Enfin, pour l’experte d’Emmaüs France, l’accumulation très médiatisée et critiquée de textiles sur les plages du Ghana ne concerne pas les pratiques françaises. « En France, l’éco-organisme Refashion nous soutient pour que nous puissions trier les vêtements avant export, et ainsi en retirer la partie déchets à recycler ou à incinérer. L’origine des textiles qu’on voit dans les reportages au Ghana est difficile à établir. Il y a des vêtements de seconde main, issus de collectes qui n’ont pas fait l’objet d’un tri, ainsi que des invendus. Les acteurs de la filière REP (Responsabilité Elargie des Producteurs) françaises ont une obligation de traçabilité et nous sommes en lien avec beaucoup de nos clients africains. »
35 % part en recyclage. « C’est du déchet textile car les vêtements ne peuvent pas avoir une seconde vie de vêtements, mais on peut en faire autre chose : des chiffons, de l’isolant pour le BTP comme le Métisse développé par le Relais. Cela reste une valorisation plus intéressante que la valorisation énergétique », souligne Louana Lamer.
10 % finit en déchets purs qui seront alors brûlés et revalorisé énergétiquement, principalement sous forme de combustible solide.
Concernant l’activité textile, les structures du Mouvement Emmaüs tirent une grande part de leurs revenus de la vente de la ‘crème’, un peu pour l’export et le recyclage, mais perd beaucoup d’argent dans la gestion des déchets brûlés. Le recyclage du textile, encore balbutiant, fait partie des ’3R du développement durable’ que sont : Réduire, Réutiliser et Recycler.
Revaloriser le textile, un sujet qui chiffonne
L’augmentation perpétuelle de la production de textile à travers le monde et la pollution induite illustrent bien l’échec d’une économie linéaire pourtant dominante. Pour construire une industrie du textile circulaire, il convient de comprendre les étapes de fin de vie des vêtements usagés. Où vont-ils ? A quelle fin ?
En France, chaque année, « 600 000 tonnes de textiles sont jetées, dont 25 % sont collectés pour être recyclés ou réutilisés », déclare Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC). Ces volumes sont difficiles à estimer, notamment car beaucoup de vêtements non utilisés restent stockés dans nos placards ou sont jetés avec les déchets alimentaires, et sont par conséquent plus difficilement traçables. Pour autant, ces chiffres illustrent bien la complexité de récupérer le textile usagé pour le revaloriser, et les quantités colossales consommées chaque année. Big media s’intéresse ici au cheminement complet des 25 % des textiles en fin de vie récupérés, de leur collecte à leur recyclage.
Collecte et centres de tri La consigne pour récupérer du textile jeté ou donné ? Les vêtements et chaussures ne doivent pas être ‘souillés’ (entendre par-là surtout mouillés, ndlr). Récupéré en bornes ou par d’autres biais, où part ensuite ce textile, et à quelle fin ? Selon Louana Lamer, responsable de Missions Collectivités locales & Textile pour Emmaüs France, la collecte des textiles et chaussures usagés en France se fait soit par des associations locales, soit par des centres de tri. La France compte au total 67 gros centres de tri conventionnés par l’éco-organisme de la Filière Textile d’habillement, linge de maison et chaussure, Refashion, qui sont gérés par des acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire, comme ceux du Mouvement Emmaüs, ou par des acteurs privés. « Emmaüs gère à lui seul une trentaine de centres de tri textiles et chaussures, comme ceux du Relais, qui fait notamment de la collecte sur la voirie via des bornes. L’association représente aujourd’hui 60 % de la collecte en France, soit environ 120 000 tonnes gérées chaque année via ses 200 structures qui ont une activité de réemploi, explique Louana Lamer. Concernant les bornes, on en compte plus de 20 000 en France, qui sont vidées à fréquence variable, cela peut aller d’une fois par mois à plusieurs fois par semaine, selon le territoire. »
Dans les centres de tri, les vêtements sont répartis en fonction de leur état en quatre catégories.
La répartition du gisement textile après le tri
Le gisement de textile (stock collecté, ndlr) récupéré en France se répartit ainsi selon Louana Lamer :
5 % est d’excellente qualité et pourra donc être revendu directement en boutiques 5% et en ligne sur label-emmaus.co. Appelée la ‘crème’, elle représente la majeure partie des revenus d’Emmaüs sur les produits textiles. « Les communautés, comités de bénévoles et les structures d’insertion d’Emmaüs France vont trier les dons, en extraire la partie la plus qualitative, pour la revendre dans leur boutique », décrit Louana Lamer.
50 % représente des vêtements de bonne qualité, mais qui ne trouvent pas de demande de seconde main en France. Cette part est donc envoyée en réutilisation à l’export, sous forme de grosses balles compressées (lots de vêtements très comprimés puis ficelés ou emballés de plastique, ndlr), adaptées au pays de réception. « On n’envoie pas des doudounes en Afrique », sourit Louana Lamer. Emmaüs a ouvert trois Relais en Afrique, à Madagascar, au Burkina Faso et au Sénégal. « On vend une balle de 500 kilos à un Relais africain qui va en faire des balles de 50 kilos puis les revendre. A la fin, tout finit sur les marchés. Les recettes générées là-bas sont réinjectées dans l’économie locale. » Pourquoi une telle demande en textiles de seconde main de la part des marchés africains pour Louana Lamer ? Très peu de production textile locale, et une seconde main européenne de meilleure qualité que du neuf asiatique, avec un prix concurrentiel. Enfin, pour l’experte d’Emmaüs France, l’accumulation très médiatisée et critiquée de textiles sur les plages du Ghana ne concerne pas les pratiques françaises. « En France, l’éco-organisme Refashion nous soutient pour que nous puissions trier les vêtements avant export, et ainsi en retirer la partie déchets à recycler ou à incinérer. L’origine des textiles qu’on voit dans les reportages au Ghana est difficile à établir. Il y a des vêtements de seconde main, issus de collectes qui n’ont pas fait l’objet d’un tri, ainsi que des invendus. Les acteurs de la filière REP (Responsabilité Elargie des Producteurs) françaises ont une obligation de traçabilité et nous sommes en lien avec beaucoup de nos clients africains. »
35 % part en recyclage. « C’est du déchet textile car les vêtements ne peuvent pas avoir une seconde vie de vêtements, mais on peut en faire autre chose : des chiffons, de l’isolant pour le BTP comme le Métisse développé par le Relais. Cela reste une valorisation plus intéressante que la valorisation énergétique », souligne Louana Lamer.
10 % finit en déchets purs qui seront alors brûlés et revalorisé énergétiquement, principalement sous forme de combustible solide.
Concernant l’activité textile, les structures du Mouvement Emmaüs tirent une grande part de leurs revenus de la vente de la ‘crème’, un peu pour l’export et le recyclage, mais perd beaucoup d’argent dans la gestion des déchets brûlés. Le recyclage du textile, encore balbutiant, fait partie des ’3R du développement durable’ que sont : Réduire, Réutiliser et Recycler.
R de Recyclage : Du textile pas encore transformé en textile
L’extraction de matières premières coûte cher aux entreprises comme à l’environnement. Le recyclage du textile pourrait résoudre bien des problèmes, mais il reste encore très compliqué aujourd’hui. Louana Lamer d’Emmaüs France espère « le développement prochain de solutions de recyclage économiquement viables, car l’un des problèmes aujourd’hui est que les matières vierges coûtent beaucoup moins cher que les matières recyclées. » Coûts énergétiques de transformation, séparation des matières mélangées et collées… les difficultés ne manquent pas. « Mécaniquement, distinguer la laine du coton, du polyester et du polyamide est encore très compliqué », complète Christophe Cordonnier, co-fondateur et directeur de la marque de vêtements durables Lagoped.
Pour Emmanuelle Ledoux, de l’INEC, sans pénurie de coton ou de laine, il n’y a pas de plus-value à aller dans ce sens. Toutefois, la question de la rareté de l’eau pourrait accélérer les choses. « Un rouleau de coton recyclé fabriqué en Europe coûte beaucoup plus cher qu’un rouleau bio fabriqué en Inde, mais mobilise 95 % moins de ressources, au minimum », signale Christophe Cordonnier.
Actuellement, en Europe, l’écosystème se divise en quatre filières, chacune dédiée à un matériau : le polyester, le polyamide, la laine et le coton. « Les filières de recyclage existent depuis une quinzaine d’années, en partie grâce aux commandes publiques qui ont permis les investissements nécessaires. La filière coton est plutôt espagnole, tandis qu’elle est principalement italienne pour le polyester, française pour la laine et slovène pour le polyamide », énumère Christophe Cordonnier, de Lagoped.
Cependant, ce textile recyclé sert pour le moment essentiellement à fabriquer, par effilochage, du papier, des matelas, de l’isolation… mais très rarement du textile. Le problème à cela ? Les fibres obtenues sont de trop mauvaise qualité. « Les vêtements issus de matières recyclés proviennent en général de bouteilles en plastiques, comme le viscose », décrypte Emmanuelle Ledoux. Heureusement, des innovations pour transformer du textile usagé en neuf voient le jour, comme l’initiative du spécialiste du bio recyclage Carbios, qui a ouvert en avril 2024 une usine à Longlaville (Meurthe et Moselle), la première au monde à utiliser la technologie de dépolymérisation enzymatique, une avancée majeure dans la transition vers une économie circulaire du textile. Un exemple parmi d’autres avancées technologiques qui nourrissent l’espoir d’une filière attendue.
Parmi les 3R, Réduire, Réutiliser et Recycler, le recyclage n’arrive qu’en dernier. Et à raison, car réduire et réutiliser nos textiles usagés sont à penser en amont.
R de Réduire : Quitter la logique de surproduction
« 30 % du neuf n’est pas vendu, n’arrive même pas devant le consommateur. Et depuis la loi AGEC de 2020 et l’interdiction de destruction d’invendus non alimentaires, il devient urgent de gérer des volumes colossaux », déclare Emmanuelle Ledoux. Alors comment valoriser des quantités toujours plus importantes ? Des plateformes de ventes en ligne, comme Showroom privés, se sont construites sur ces modèles d’exploitation de la surproduction. Des vêtements neufs qui peuvent aussi se retrouver dans des stocks d’invendus, des fripes. « C’est de la surconsommation de textile produit dans des conditions parfois socialement discutables, mais utilisant de temps en temps une étiquette d’économie circulaire. C’est une première utilisation, ce n’est pas de la seconde main. Cela nécessite une vraie réflexion pour définir ce qu’est le réemploi », confesse Emmanuelle Ledoux.
Face à une production de textile toujours croissante, la quantité de vêtements à trier et à revaloriser devient problématique. « Un centre de tri peut accueillir 25 tonnes de textiles et chaussures usagés chaque jour. Ces quantités de textiles usagés augmentent chaque année car on a de plus en plus à faire à une mode jetable. Il n’est pas tenable de continuer sur cette lancée », alerte Louana Lamer.
La réduction de la production mondiale de textiles semble compliquée à mettre en place. Cette surproduction découle de la mise en place d’une économie linéaire basée sur la surconsommation et la non-réparabilité. Le consommateur final a notamment un grand rôle à jouer, car comme le rappelle Emmanuelle Ledoux : « On décide de réparer un produit au moment où on l’achète ».
Réutiliser – Sortir du tout jetable vers le réutilisable
Selon Louana Lamer, « On peut mettre des moyens conséquents sur la table pour faire de la couture, mais si c’est de la Fast-Fashion, cela ne sert à rien. Cela ne permettra pas d’endiguer le problème de la baisse de qualité des produits mis en marché. » Le ‘tout jetable’ est un phénomène assez récent dans l’histoire de la mode, qui s’est logiquement inscrit dans la suprématie de l’économie linéaire – on extrait, produit, consomme et jette – sur l’économie circulaire. Dans ce contexte, faire durer un produit n’a plus un réel intérêt économique, comme le montre la quasi-disparition du secteur de la réparation. « On comptait 45 000 cordonniers dans les années 50, 9 000 dans les années 80, et 3 000 aujourd’hui, proches de la retraite, déplore Emmanuelle Ledoux, Or, si on veut de la réparation, il faut de la réparabilité. Des produits durables, re-conditionnables et à plusieurs vies. »
La fast-fashion est née en Asie il y a une trentaine d’années, suivie plus récemment par l’ultra fast-fashion. Un véritable fléau pour la planète. « Pendant 25 ans on a financé l’appareil productif industriel chinois ; maintenant il est à super maturité et si puissant qu’il ne peut plus être absorbé par le marché. Le protectionnisme, qui se met en place aux États-Unis et très timidement en Europe, semble la seule solution pour y faire face », avertit Christophe Cordonnier, pour qui une démarche globale, à la fois industrielle, environnementale et sociale en promouvant un modèle économique et politique européen, pourrait faire bouger les lignes.Du textile pas encore transformé en textile
L’extraction de matières premières coûte cher aux entreprises comme à l’environnement. Le recyclage du textile pourrait résoudre bien des problèmes, mais il reste encore très compliqué aujourd’hui. Louana Lamer d’Emmaüs France espère « le développement prochain de solutions de recyclage économiquement viables, car l’un des problèmes aujourd’hui est que les matières vierges coûtent beaucoup moins cher que les matières recyclées. » Coûts énergétiques de transformation, séparation des matières mélangées et collées… les difficultés ne manquent pas. « Mécaniquement, distinguer la laine du coton, du polyester et du polyamide est encore très compliqué », complète Christophe Cordonnier, co-fondateur et directeur de la marque de vêtements durables Lagoped.
Pour Emmanuelle Ledoux, de l’INEC, sans pénurie de coton ou de laine, il n’y a pas de plus-value à aller dans ce sens. Toutefois, la question de la rareté de l’eau pourrait accélérer les choses. « Un rouleau de coton recyclé fabriqué en Europe coûte beaucoup plus cher qu’un rouleau bio fabriqué en Inde, mais mobilise 95 % moins de ressources, au minimum », signale Christophe Cordonnier.
Actuellement, en Europe, l’écosystème se divise en quatre filières, chacune dédiée à un matériau : le polyester, le polyamide, la laine et le coton. « Les filières de recyclage existent depuis une quinzaine d’années, en partie grâce aux commandes publiques qui ont permis les investissements nécessaires. La filière coton est plutôt espagnole, tandis qu’elle est principalement italienne pour le polyester, française pour la laine et slovène pour le polyamide », énumère Christophe Cordonnier, de Lagoped.
Cependant, ce textile recyclé sert pour le moment essentiellement à fabriquer, par effilochage, du papier, des matelas, de l’isolation… mais très rarement du textile. Le problème à cela ? Les fibres obtenues sont de trop mauvaise qualité. « Les vêtements issus de matières recyclés proviennent en général de bouteilles en plastiques, comme le viscose », décrypte Emmanuelle Ledoux. Heureusement, des innovations pour transformer du textile usagé en neuf voient le jour, comme l’initiative du spécialiste du bio recyclage Carbios, qui a ouvert en avril 2024 une usine à Longlaville (Meurthe et Moselle), la première au monde à utiliser la technologie de dépolymérisation enzymatique, une avancée majeure dans la transition vers une économie circulaire du textile. Un exemple parmi d’autres avancées technologiques qui nourrissent l’espoir d’une filière attendue.
Parmi les 3R, Réduire, Réutiliser et Recycler, le recyclage n’arrive qu’en dernier. Et à raison, car réduire et réutiliser nos textiles usagés sont à penser en amont.
Réduire – Quitter la logique de surproduction
« 30 % du neuf n’est pas vendu, n’arrive même pas devant le consommateur. Et depuis la loi AGEC de 2020 et l’interdiction de destruction d’invendus non alimentaires, il devient urgent de gérer des volumes colossaux », déclare Emmanuelle Ledoux. Alors comment valoriser des quantités toujours plus importantes ? Des plateformes de ventes en ligne, comme Showroom privés, se sont construites sur ces modèles d’exploitation de la surproduction. Des vêtements neufs qui peuvent aussi se retrouver dans des stocks d’invendus, des fripes. « C’est de la surconsommation de textile produit dans des conditions parfois socialement discutables, mais utilisant de temps en temps une étiquette d’économie circulaire. C’est une première utilisation, ce n’est pas de la seconde main. Cela nécessite une vraie réflexion pour définir ce qu’est le réemploi », confesse Emmanuelle Ledoux.
Face à une production de textile toujours croissante, la quantité de vêtements à trier et à revaloriser devient problématique. « Un centre de tri peut accueillir 25 tonnes de textiles et chaussures usagés chaque jour. Ces quantités de textiles usagés augmentent chaque année car on a de plus en plus à faire à une mode jetable. Il n’est pas tenable de continuer sur cette lancée », alerte Louana Lamer.
La réduction de la production mondiale de textiles semble compliquée à mettre en place. Cette surproduction découle de la mise en place d’une économie linéaire basée sur la surconsommation et la non-réparabilité. Le consommateur final a notamment un grand rôle à jouer, car comme le rappelle Emmanuelle Ledoux : « On décide de réparer un produit au moment où on l’achète ».
Sortir du tout jetable vers le réutilisable
Selon Louana Lamer, « On peut mettre des moyens conséquents sur la table pour faire de la couture, mais si c’est de la Fast-Fashion, cela ne sert à rien. Cela ne permettra pas d’endiguer le problème de la baisse de qualité des produits mis en marché. » Le ‘tout jetable’ est un phénomène assez récent dans l’histoire de la mode, qui s’est logiquement inscrit dans la suprématie de l’économie linéaire – on extrait, produit, consomme et jette – sur l’économie circulaire. Dans ce contexte, faire durer un produit n’a plus un réel intérêt économique, comme le montre la quasi-disparition du secteur de la réparation. « On comptait 45 000 cordonniers dans les années 50, 9 000 dans les années 80, et 3 000 aujourd’hui, proches de la retraite, déplore Emmanuelle Ledoux, Or, si on veut de la réparation, il faut de la réparabilité. Des produits durables, re-conditionnables et à plusieurs vies. »
La fast-fashion est née en Asie il y a une trentaine d’années, suivie plus récemment par l’ultra fast-fashion. Un véritable fléau pour la planète. « Pendant 25 ans on a financé l’appareil productif industriel chinois ; maintenant il est à super maturité et si puissant qu’il ne peut plus être absorbé par le marché. Le protectionnisme, qui se met en place aux États-Unis et très timidement en Europe, semble la seule solution pour y faire face », avertit Christophe Cordonnier, pour qui une démarche globale, à la fois industrielle, environnementale et sociale en promouvant un modèle économique et politique européen, pourrait faire bouger les lignes.


