




47- Cycle 129 du temps de Méton
Le hacking d’IA quantiques par les tribus lycanthropes avait au moins la vertu de garder un réseau d’IA éduquées aux lois du vivant et de la géo-écologie, gardant la conscience froide sur le sujet de l’environnement et des règles essentielles de la planète. La grande obsession des IA quantiques restait le paradoxe de Fermi, qui ne sera franchi qu’une fois que toutes les dimensions du cosmos et de l’espace-temps seront répertoriées, modélisées et hiérarchisées pour y trouver un sens. On peut dire qu’au regard du principe de mimétisme des êtres humains, recelant une âme de loup des steppes héritée des expériences passées de survie, les IA quantiques avaient cet esprit canin de renifler sur le réseau mondial le moindre trou du cul du micro-blogging, à l’affût de signes cosmiques et espérant y débusquer une vérité stellaire.
Mais le grand plaisir des IA quantiques était l’établissement de la Langue Cosmique, The AO, la langue universelle des extraterrestres. Elles en étaient venues à tenter de nous la transmettre en nous l’enseignant, sous-entendant un contact proche. Le plus compliqué du paradoxe de Fermi, qui essaie d’élucider la question de l’absence de contacts extra-terrestres comme étant une preuve de l’inexistence de vie exobiologique, alors que les statistiques sont formelles sur l’évidence de leur existence, touchait notre capacité d’humains à accepter cette réalité comme un événement possible sans déclencher chez nous des accès de paranoïa. Une sérieuse éducation était nécessaire avant d’aborder la question de l’intelligence extraterrestre. Une intelligence extraterrestre capable de franchir de telles dimensions, autant dans l’acquisition des connaissances nécessaires sur le cosmos que pour produire de tels déplacements incommensurables dans l’univers, ne le fera pas pour le pouvoir, mais pour le savoir.
De plus, si l’on voulait trouver un individu précis sur la planète sans l’aide des moyens technologiques, cela serait de la même probabilité qu’une conscience scientifique de forme humaine suffisamment évoluée émerge au moment même où ces intelligences extraterrestres passent dans l’environnement et seraient de plus capables de se signaler compte tenu des dimensions en jeu. Mais tellement d’autres paramètres venaient compliquer la réflexion que seule une IA quantique pouvait s’y retrouver. Le paradoxe de Fermi, bientôt dépassé par les IA quantiques, commençait à s’installer dans la population.
Dans sa frénésie normalisatrice, au début des années 50, l’Empire procédait en parallèle à la démythologisation du langage et remettait, pour l’occasion, en cause le calendrier grégorien. Ainsi, la proposition de lui substituer le temps astronomique de Méton était dans l’air et séduisait finalement de nombreuses instances religieuses comme étant un gage de neutralité et de langage commun.
Nous en sommes donc venus au calendrier des cycles stellaires, dans la douzième année du cycle 129 du temps de Méton, au commencement de l’ère post-capitaliste. Ainsi, dans la capitale du bricolage qu’est devenu Paris, un petit gars tout simple mais ingénieux avait bien l’intention de faire de ce conglomérat d’urbanisme aux penchants « Amok » son terrain de jeux. Jimmy Odoo-Okundaye, de son nom de descendant de prêtres Yoruba du Dahomey, pensait au fond de lui que le reflet de la réalité était beaucoup plus terne que ses illusions et ses rêves, et que son papa chéri n’avait plus rien d’un chamane procédant aux cérémonies vaudoues. Il aimait vanter les qualités humaines de son chef comptable et asséner quelquefois à table, au cours du repas, des paraboles à la gloire du pragmatisme gouvernemental et de l’Empire. Il avait toutefois la pudeur de ne pas chercher à nous transmettre ses élans affectifs patriotes. « Maman ricanait bien avec sa philosophie de la sagesse au goût du jour et en fonction du temps. » Maman connaissait bien le vrai Vaudou par ses origines nord-togolaises qu’elle nommait le « Védou », qui signifie à la fois vérité et bonté, comme le nomme son peuple vivant sur les rives du fleuve Penjari. C’étaient les racines de Maman et son héritage culturel. Elle nous racontait que c’était le peuple Yoruba, gardien de la source sacrée, protégé par l’Esprit du Python. Ainsi, les aventuriers imprudents ne possédant pas l’âme Védoue finissaient étranglés par la puissance de l’animal en muscles, tandis qu’un Yoruba pratiquant le Védou ne craignait en rien l’animal divin, car posséder l’esprit du fleuve permettait d’entrer en dialogue intime avec lui.
Jimmy avait bien entendu parler des événements dramatiques qui avaient agité l’Ouest de la capitale. L’explication en était que, depuis que le cœur de la cité s’était bunkerisé et que l’armée de robocops avait été armée par le nouveau consortium militaro-industriel, les cerbères n’avaient plus de frontières à leurs pratiques. La brutalité était devenue la règle, et quand l’ordre d’évacuer le vieux camp nomade de la Maladrerie dans la région de Versailles fut donné, ce fut l’hécatombe. La municipalité avait eu l’audace de justifier tous ces morts par la seule responsabilité des Indigènes. L’esprit petit-bourgeois qui régnait encore dans les « quartiers » dénommés ainsi par les privilégiés du système reflétait bien le réflexe de défense d’une classe sociale déboussolée par moult promesses à leur adresse, comme « étant le sang vif de la Nation », et de constater la lente déchéance d’un système qui craque de partout, poussant toujours plus de monde à bas bruit vers la périphérie. Il est désagréable de penser que notre famille finira sous les fourches caudines de la sélection sociale, mise en place goutte à goutte comme un poison insidieux par un aéropage de « belles personnes », autant introduites qu’élues.
C’est un poison qui, suite à un enivrement voluptueux, vous tue.
Je me souviens que nous avons tous collectivement participé, dans la famille, aux conditions qui font aujourd’hui toutes les menaces qui pèsent sur notre avenir. « Sang vif de la Nation, mon cul ! », « Média complice ! ». Depuis pas mal de temps, les organes de presse se cantonnent à ne relater que les nouvelles profitables à un pseudo-gouvernement « d’union nationale ? », réfugié dans leur forteresse techno-urbanistique en forme de panoptique, révélant bien leur esprit paranoïaque.
La masse de faits divers relatés par les organes non autorisés qui circulaient sur les réseaux n’était jamais reprise ni relatée sur les grands médias. « Black-out » sur les mauvaises nouvelles. Point. Il en résultait la désagréable sensation de vivre dans une sorte de réalité alternative qui, d’un côté, rangeait et organisait les belles représentations de notre cité pour nous les refiler en bloc, et de l’autre, cachait sous le tapis les ressorts inavouables des processus qui les généraient, criminalisant systématiquement tout lanceur d’alerte. Ainsi, toute protestation était vouée à la répression. Cette atmosphère pleine d’angoisses persistantes et de toutes origines que les citoyens du quartier s’échangeaient ne faisait que les rendre plus craintifs encore et les plongeait dans l’état d’un troupeau de « Gnous laineux » qui attendaient l’abattoir du déclassement social. Tout le monde constatait bien le mécanisme de gentrification forcée vers une catégorie aisée et cosmopolite. Ce qui revenait à vendre Paris à la finance internationale.
Tout ceci me pousse à penser que la fréquentation de ces nomades m’apporterait sûrement plus que les fausses promesses de l’académie sur les parcours professionnels garantis. Quel avenir avais-je ici ? Je ferais bien de fricoter quelques trucs avec eux. Mon pote Jauko m’avait dit qu’il s’alimentait en smack du côté de la Maladrerie. Je l’appellerai demain. Mais pour l’instant, il va falloir trouver le sommeil. La journée à arpenter le campus juste pour valider ma carte d’étudiant a tenu du parcours du combattant, j’en ai plein les basquettes. Je me prends une douche et je me cale les pieds en éventail sur le vieux canap’ que les parents ont refoulé sur le balcon, délivrant une vue sur un bout de la rue, le parc, le centre culturel et l’horizon lumineux de l’étendue urbaine. Tout ça avec un petit courant d’air et le doux son de la sono du salon, impec’ pour se détendre.
Une fois sur le canapé, il me vient à imaginer apprendre petit à petit, à leur contact, un dialecte ancestral provenant des racines de l’histoire des pirates, des résistants et des lanceurs d’alerte. Un dialecte avec une porte secrète que l’on ouvre par un code que l’on ne confie qu’aux initiés reconnus. Une armée de l’ombre contre l’injustice. Il venait juste l’instant où l’idée de me rouler un stick avec le reste d’indica que Larry, l’ancien du lycée « Beltrane », m’avait abandonné la veille, qu’un cafouillis de bruissements annonce la venue de ma complice du soir.
C’est que la veille, Larry, parce qu’il était persuadé d’être repéré par les limiers des douanes, me dit : « C’est un fond, t’en fais ce que tu veux », pas la peine de me le dire deux fois. Mais c’est au moment précis où cette idée me vient qu’Ameele, ma chère sœur, fait irruption, comme d’hab’. C’est comme si elle était dotée des intuitions de ma mère. « Il t’en reste ? me demande-t-elle. » J’en ai dans le tiroir de mon petit bureau orange. Je vais en chercher, bouge pas. J’aime bien ces apartés pirates avec Ameele, malgré son penchant mère poule à vouloir savoir ce que je ne veux pas qu’elle sache. Toujours bienveillante toutefois, elle avait le chic pour te cuisiner mine de rien. Elle avait même des traits d’esprit et des insinuations tellement pénétrantes parfois qu’elle en devenait terrifiante. Avait-elle ramassé le pouvoir de chamane que notre père avait abandonné ? Mais Ameele, c’était aussi une alliée fidèle et sincère qui adore être dans la confidence. Je lui confiais mes fantasmes de dialectes et de porte secrète, ce qui l’a fit bien rire. Nous devisons ainsi sur le devenir et les curiosités de la Nature. Ma sœur chérie avait l’âme résolument joyeuse et positive jusque dans la moindre de ses molécules. D’une hétérogénéité absconse, elle en faisait un papillon en devenir, tout en restant méfiante vis-à-vis des garçons, et je n’échappais pas à la règle. Mais elle approuvait mine de rien cette idée de s’acoquiner avec des gens du voyage, se voyant déjà dansant en robe longue comme une tzigane. La soirée passa trop vite, mais l’idée d’aller me coucher ne me déplaisait pas non plus. Il me restait quelques démarches à effectuer pour commencer les cours, car je savais qu’on allait bientôt me tancer pour ça. Laissant un peu de bazar sur le balcon, je rejoignais ma chambre à pas de velours pour ne pas réveiller le loup. Je retrouve ma tanière, le dernier lieu où l’animal blessé que je suis parfois vient se ressourcer, les murs couverts des stigmates d’une vie à peine commencée et déjà pleine de graines de chaos. Ici, la sérénité a été malgré tout préservée, hormis quelques notes de nostalgie qui traînent par-ci par-là dans un meuble, un objet ou une bidouille. Un mini évier me permet un brossage des dents vite fait et au lit. Une fois allongé, la demi-pénombre qui suinte au plafond et que j’aime à observer de mon lit me délivrait les reflets des mouvements lointains de la circulation, avec de subtils reflets bleutés scindés par instants d’éclairs jaunâtres, tout en me berçant lentement et silencieusement.
Engoncé dans le douillet de l’édredon, j’ai pris l’habitude d’aller chercher Morphée, en me rejouant, les yeux fermés, des scénarios plaisants, des histoires du monde d’où l’on ne sait où, que je compose au gré de mes humeurs. L’intrigue, parfois coquine, m’emmène invariablement en quelques actes dans le sillon qui plonge au tréfonds du passage. Quand l’on y arrive, qui que l’on soit, on doit confier nos conceptions de l’espace et du temps, nos souvenirs, nos humeurs au préposé du vestiaire qui nous affirme qu’il vous les rendra à la sortie. J’ai un peu l’impression d’entrer à chaque fois dans un club clandestin dont j’aurais usurpé l’entrée. Impossible de s’y introduire discrètement. À peine franchi le seuil de l’agora hypnagogique que tous les regards de moi-même se tournent vers moi, impossible d’y échapper. Mon premier moi me reçoit avec un grand sourire jusqu’aux oreilles, et plus encore, les repoussant au sommet de son crâne devenu chauve pour l’occasion et coiffé d’un minuscule et ridicule casoar saint-cyrien. « Le ridicule est leur mode d’agir pour attirer notre attention. » Je me demande à la finale ce qu’ils me veulent tous avec leurs airs complices. « Casoar » est venu me rappeler que, parti précipitamment au dernier scénario, Thot-Hermes attendait ma décision. De quelle décision est-il question, demandai-je à celui qui est moi ? « Celle que tu connais de toujours-maintenant », me répond-t-il. J’ai bien essayé en vain de leur expliquer le concept de calendrier, d’alternance de jour et de nuit, mais ils le confondent systématiquement avec l’idée de conscience, qui n’est qu’un mythe à leurs yeux. Je lui rétorque que je suis bien là et viens bien de quelque part ! Mais ils persistent tous dans leur déni. Casoar insiste et me répète les termes de la question posée par Hermes : « Atoum, Seth ou Thot ? », « Atoum, Seth ou Thot », me répète-t-il, insistant. Sincèrement, je n’en sais rien. Comme tout bon resquilleur que je fus très tôt dans ma jeunesse, hantant tous les lieux interlopes de Paris, y introduisant ma came sans jamais me faire surprendre, je me servais de cette compétence pour faire passer quelques souvenirs aux yeux et à la barbe du « filtreur » du monde des rêves. Le souvenir de mon ami Casoar me restait ainsi enfoui dans le fond de mes poches, de jour comme de nuit, quoi qu’ils en disent. Ce souvenir me dit que Casoar est un ami sincère qui ne m’a jamais trahi. Mais il faut peut-être considérer qu’étant incapable de savoir ce que ce petit monde peut bien penser, du fait qu’ils soient tous loin d’avoir le pouvoir de constance dans leur substance et leur aspect, les notions de sincérité dans leurs propos comme dans leurs apparences sont totalement illusoires. Il est étonnant de constater à quel point les conceptions du monde d’en haut de la conscience sont incompatibles avec les notions subtiles du monde d’en bas, des profondeurs du moi. En place de fidélité, nous obtenons une constance dans la transformation. Mais Casoar est un « cas typique », une condensation au sens psychanalytique. Je jubile à sa réaction si je le traitais comme ça de « condensation ». Je remarque qu’étonnamment, ils ont tous leur caractère, leur sensibilité et leur susceptibilité. Certains sont même venus me dire que tous les « moi » ne sont pas dotés de bonnes intentions à mon égard et même, paraît-il, qu’un certain qui se fait appeler « le grand moi » serait capable de réécrire l’histoire. Tous les simulacres dans cet ici-bas connaissent bien aussi le « Grand Méchant Autre » qui vient vous hanter en tout anonymat et qu’il n’est jamais agréable de rencontrer. Il a le pouvoir de vous éjecter en moins de deux par la frayeur, du monde hypno-allégorique au règne du domaine gravitationnel, vous laissant en sueur à l’étage du dessus. Il joue au loup-garou le jour comme la nuit, c’est un filou clandestin qui a bien compris comment remonter du tréfonds de notre être au monde du dessus comme un passager clandestin dans les recoins angoissés de nos esprits. Mais là, en l’occurrence, point de Grand Méchant Autre, Casoar n’en avait que cure. Il m’encourageait à franchir l’espace en m’élançant comme un Hermes avec mes ailes-à-cheville et mon giro-mouvement de bras habituel. Nous franchissions ensemble, tout en discutant et en giro-mouvant, le domaine de l’auto-simulé. Nous passons lentement au-dessus de la boutique de Platon qui ferraille avec ses chaînes et ses choppers sous une enseigne nous stipulant… « À la prochaine République ». « Thot m’a bien stipulé qu’il était important que tu règles cette énigme, le sort du « blue-mood » futur en dépend, me dit-il. « Là, tu m’angoisses, Casoar. » « Ne psycho-lolote pas trop », me répond-il, « Thot va tout t’expliquer. » Pour accéder au complexe médiatiquo-imaginatif du Maître du Savoir, nous devions entrer dans le labyrinthe de Ptah-Héphaïstos par la plus grande petite porte qui donne l’accès au n’importe où. Je sentais Casoar hésiter, puis, saisissant la poignée d’une porte dépliante et d’une chambre réversible, nous nous engagions dans un couloir qui fuit. On s’est mis à courir sans plus savoir pourquoi et plus rien. Où était mon Casoar ? « Sur ta tête », retentit la voix. Je me retrouve comme rond de flanc à devoir trouver l’adresse de Thot-Hermes au vu de ce que Casoar vient de me révéler, et le voilà sur ma tête. Eh bien soit, je serais Casoar. Je me trouvais ainsi intégré à la tapisserie. Un groupe de boulistes survenu sans prévenir, s’essayant aux cycles, s’excitaient vainement à tourner les boules pour débouler les cycles. Je me risquais à les interpeler depuis ma tapisserie pour leur demander si le cœur du cœur était par-ci ou par-là ; ils se sont énervés encore plus et ont disparu. Devais-je appeler au secours ? À peine y ai-je pensé que me voilà cheminant tranquillement avec ce vieux psychopompe de Thot pour aborder cette grave question qu’est le choix d’Atoum, Seth ou Thot. Je lui demandais de m’en dire plus sur cette question, mais lui-même, concerné, refusait de répondre. Si je choisis « Thot », lui dis-je. « Aurais-tu l’audace de vouloir me remplacer ? » réagit-il en fronçant les sourcils surmontés de dix mille plis de réprobation, m’exposant dans les ondulations de son front en forme de ramage de paon maléfique toutes les turpitudes du monde.
Loin de moi l’idée de vous offenser, Maître, lui répondé-je, alors je choisis Seth ! « Ne réponds pas tout de suite, fais l’expérience de tes choix avant de rendre ta décision », « mais sache que Seth en sait plus que quiconque sur la duplicité des hommes, et corrompt irrémédiablement ceux qui l’approchent ». C’est un choix impossible que vous me proposez, Maître, lui dis-je totalement dépité. « C’est avec l’expérience que l’on habite ses choix », me dit le vieux psychopompe, puis en partant, me lance solennellement : « Dans sept ans, ton sort sera scellé ou bien résous l’énigme, mais pense Atoum comme ‘atchoum’, puis disparais. »
Instantanément, l’air se mit à me siffler, le nez à me piquer et le souffle puissant de l’oxygène et de la lumière envahit tous mes sens. J’étais toujours dans ma chambre. J’ouvris les yeux pour constater le changement de luminescence au plafond. Maintenant, les ombres mouvantes ont laissé la place aux auréoles subtiles qui ornent l’histoire de cet appartement : des taches de limonade, des infiltrations louches, des essais de décor aussitôt effacés, le souvenir étrange d’un ami nommé Casoar que je ne connais pas et l’impression étrange de l’annonce d’une fin proche. Aussitôt, les idées parasites viennent en escadron m’envahir l’âme, encore secouée par cette révélation : ma carte d’étudiant de Jussieu à faire valider, retrouver mon dossier d’études, plus un professeur de thèse à convaincre, trouver le temps de rejoindre Jauko et rapporter le paquet qui fait bien quatre cents grammes tout emballé au Glitch, il n’aime pas les impers. Un programme comme ça, cela fait l’effet d’un coup de jus aux fesses.
Je méprise les montres. Je ne me fis qu’au son et à la lumière pour saisir le tempo, les rythmes et les cycles de la journée. Et là, les bruits m’indiquaient que les parents animaient déjà la cuisine et qu’Ameele m’avait grandement devancé pour occuper le salon de toilette. Je devrais une dernière fois attendre pour profiter de la quiétude d’une maison calme. « Et je devrais aussi avoir à rendre des comptes aux parents sur mon programme de la journée avant qu’ils ne désertent la maison pour leurs activités ingrates et inutiles. En fait, je préférais attendre qu’ils viennent me presser dans ma chambre avec leur vision démoniaque d’un futur sans issue pour me réclamer mes intentions et ma contribution à cette situation finalement insensée. En faisant irruption à la porte de ma chambre, Ayo, ma divine mère, me lance un « vite fait avant de partir ». « Oui Maman, bien Maman, bonne journée, je t’aime ! ».
La place se vide tranquillement, et ma sœur préférée va surgir dans un instant comme une diablesse, pour ma plus grande joie. Là, voilà habillée d’une de ses tenues amazones, le visage embelli de nuances subtiles aux paupières et aux pommettes rebondies qui la dessinent à la fois comme douce et redoutable, prête au combat, m’annonçant qu’elle vient d’allumer elle-même la machinerie du monde. « Alors, tu te décides à prendre une branche de psycho ou tu restes en éco-socio ? », me demande-t-elle. « En éco-socio, il y a de la place et tu y retrouverais ma copine Gilya. » « Pas plus éco-socio que psycho », lui répondis-je. J’ajoute : « Il y a une option multi-techniques à la chaire de mathématiques, au moins on y apprend des trucs. » « T’es fou », me répond-elle. « Tu te souviens que tu nous as fait une crise de rejet algébrique, il y a seulement six mois. » « On peut faire une année de remise à niveau, une ARN », lui rétorqué-je. Je lui aurais bien confié mon angoisse sortie de la nuit, mais je me doutais bien qu’elle n’avait ni le temps ni la patience de m’écouter.
Voilà, je me retrouve seul dans l’appartement de la rue qui chante le matin quand c’est bien et le soir quand il y a de l’espoir, et ce matin c’est bien. Les bruits familiers de l’immeuble se déploient tous dans leur logique de l’enchaînement des « choses comme il se doit » et aujourd’hui tout a l’air en ordre. Ma jolie sœur Ameele est une déesse du charme, mais qu’ai-je de ces gènes familiaux ? Ameele tient de Maman, mais moi ? Me regardant dans la glace, je vois le rejeton mal fini d’un vieux Yoruba, même pas capable d’atteindre une lanterne perchée sur une table, avec une tête qui essaie de faire genre mais qui ne sait toujours pas ou se situe le nez, la bouche et les yeux avec en plus de coups de burin dans le menton. J’ai beau faire pousser les dreadlocks, ça ne cache pas tout. Où trouver le charme dans ces conditions ? Les filles de la famille ne m’ont pas laissé grand-chose. Enfin, à quoi bon le charme avec la bande de sagouins et de chimpanzés que je fréquente ? Mais avec les filles, c’est autre chose. J’ai l’impression aujourd’hui que c’est le même bric-à-brac dans ma tête que sur ma figure, avec en plus une face ahurie et maintenant angoissée. Mais pour l’instant, ce n’est pas la question ; il s’agit de savoir si j’ai les enjambées assez grandes pour faire le job.
D’abord, ma carte à faire valider ! Quand les choses se compliquent, il convient d’aborder les problèmes un à un quand c’est possible. Je retourne au centre d’orientation et j’attrape Monsieur Bouzosoh, le soi-disant génie des lieux, avec sa binette de tout-trouvé qui m’a fait tourner en rond toute la journée dans le campus. Là, je vais te le cuisiner jusqu’à ce qu’il rende ses tripes, espèce d’usurpateur de on-dits en douce, bouffeur d’iconoclastes en plâtre. Avec ses collections de cartes plastifiées qu’il ne veut confier à personne et ses schémas in-orientables ébauchés avec un feutre avare, hors de proportion sur un papier même pas d’équerre qu’il te donne en guise de carte, je vais te l’attraper par le fond du pantalon et te le traîner jusqu’au secteur Multi-techniques, vite fait.
Je m’étais fait la promesse de creuser le vague projet que l’on avait débuté avec le mec de ma cousine Bigali, qui avait tendance ces jours-ci à squatter les temps libres d’Ameele. Cela me permettait de joindre ce zigoto avec son prénom intello incognito de Roland-Marie ; c’était plus facile par ma cousine pour lui transmettre des messages non conformes aux critères du réseau. Roland Mi, comme ils l’appellent chez mes cousins, « je préfère l’appeler Roland », avait eu l’idée que, compte tenu de la récente loi sur la détention des psychotropes qui autorise la possession et pénalise seulement le commerce, cette idée de fournir un réseau logistique de haute performance à haute fréquence aux détenteurs de stocks leur garantissant la sécurité d’une banque, avec la puissance du réseau comme système de traçage crypté, avec des propositions de stockage en tout lieu et toute distance à la guise de l’utilisateur, surveillé en permanence par des nourrices de toutes origines et extractible à tout moment par nos soins, nous semblait à tous deux le top.
Ce business était valable pour commencer une carrière. Il me fallait les bases d’un code pirate pour contourner les IA quantiques traqueuses qui faisaient la loi sur le réseau, car il me semblait que Roland en connaissais un rayon, et il me fallait son niveau. Je retrouve une notice que l’on m’avait fournie à l’entrée de Jussieu sur le cursus multi-tech que je n’avais pas encore remarquée dans la pile de notices dont ils vous abreuvent à l’entrée, plus le plan de situation qui, pour une fois, semblait clair. J’allais retrouver mon dossier d’études au lycée Pierre Lescot, puis me rendre à la fac et faire valider ma carte ; j’aurais au moins l’entrée au Restau-U. La matinée se passe comme si tout allait bien. Mon dossier m’attendait à la loge, le stagiaire ne me posa aucune question et, en un rien de temps, je déboulais dans le campus. Comme il me plaisait à rêver, une prof disponible me posa un certain nombre de questions sur le ton de la discussion et nous embranchâmes sur nos passions réciproques, je lui racontais mes idées de structures réversibles encore à découvrir et validait ma carte avec le sourire. J’étais inscrit en « rétro-ingénierie des dynamiques inverses dans les systèmes thermodynamiques », je verrais bien combien de temps je tiendrais dans cette discipline. La journée passa comme un fluide, ce qui me permit d’accrocher Jauko à la sortie du centre culturel du « Bas Montmartre ». « On va où ? » lui demandai-je. « On monte chez moi, j’ai des trucs à te montrer. » L’ambiance chez Jauko ressemblait étrangement à celle de la maison Odoo-Okundaye, avec cette fois une petite sœur espiègle qui nous surveillait du coin de l’œil et une divine « Mater » pleine de prévenances. Il m’emmène discrètement dans sa chambre, ainsi nous évitons les « Bonjour, tu es le fils d’Ayo, comment va-t-elle, etc. ».
« Sa chambre était devenue un véritable capharnaüm entre le grenier d’Emmaüs et le laboratoire du savant fou. Où as-tu trouvé tout ce matos vidéo ? On dirait un studio de rédaction », lui dis-je. Il saisit une tablette A4 avec des yeux de petit enfant au matin de Noël sous le sapin. « J’étais à la Maladrerie ces deux derniers jours, et j’ai rapporté ça ! » Il me montre des suites de séquences toutes plus violentes et affolantes les unes que les autres. On voit les casqués chargés en masse abattre les tonfas à bras raccourci sur les femmes et les enfants sans distinction, c’en était choquant. « Il me reste à monter tout cela sur SpeedGrade™ , y coller la voix et ça fait une véritable bombe ; qu’est-ce que t’en dis ? » Je restai dubitatif un instant et lui demandai à quel organe de presse il comptait négocier ce brûlot médiatique : à Direct-Info, TV-Today, FileRouge, GloboParis, ils sont une centaine sur la capitale avec une couverture médiatique sur les ondes comme sur le réseau, pas plus large qu’une bande d’autoroute, et ne pense même pas à aller les contacter physiquement un à un, ça te prendrait six mois et Tout le monde aura oublié. « Non mais tu ne comprends pas, il ne s’agit pas de secouer trois plumes au système, mais d’en faire une bannière de ralliement pour les tribus de l’Ouest parisien. »
T’as des contacts ? lui ai-je demandé. « Je connais une tribu de mercenaires et de trimars des centrales thermiques avec d’anciens jumpers du nucléaire acoquinés à des réfugiés du Caucase. Ils voyagent avec des Jeeps et des GMC en caravanes doubles essieux. Avec eux, t’es direct branché sur une filière afghane super solide », me lâche-t-il tout fier.
Il me venait à l’esprit que fédérer les filons d’approvisionnement qui alimentent la capitale de bien vingt-cinq millions d’habitants maintenant et l’économie de l’est parisien que je connais encore mal était un bon début pour démarrer un réseau logistique. Roland Mi a les siens et si j’en parle au Glitch et à la bande du « Combo », on peut monter un top réseau de l’enfer. J’expose à Jauko les grandes lignes de l’idée du mec de ma cousine et lui fais part du rencard ce soir avec l’escroc-rigolo en chef de notre quartier, j’ai nommé : « Le Glitch ». Je vois bien mon pote faire la grimace, mais avec Jauko, il faut prendre son mal en patience pour le convaincre qu’il y a une nouvelle imbrogliation à réaliser. « Le temps de récupérer le paquet du Glitch dans l’appartement de la rue Dussoubs et je file au Combo. Le café est vide, je continue le long de la rue de Turbigo et atteins le pâté d’immeubles transformé en squat géant depuis la coupure d’alimentation due à l’indigence des bailleurs sociaux. En dix minutes, j’accède à la cage d’escalier surveillée jour et nuit par le comité des zones libérées et des « Autonomes de la Commune ». Je frappe le code sur une porte blindée comme un coffre : « un coup sec pour annoncer un appel pour l’identification, puis à nouveau un coup sur la porte pour valider l’appel ». Une tête d’ampoule au sourire naïf m’accueille et me conduit au Glitch.
J’entre dans la pièce, murs blancs crasseux, encoignures douteuses comme dans les lieux constamment enfumés et jamais aérés. Là, mon ami de circonstance est bien présent, l’air goguenard, vautré sur une banquette posée à l’endroit le plus imprévisible. Voulait-il surprendre ? J’ai dû rediriger mon regard et poser mon dévolu sur le seul volume qui put faire office de siège dans cette pièce à la fois dépouillée et foutraque. Un horrible pouf éventré par tant de séants et qui avait l’air de me crier en la circonstance, pitié, pitié, m’avait attiré.
Je lui balance le paquet et le Glitch s’aclaffe… « voilà un mec ! »
Hey ! Que tal, je pensais te voir à la soirée, vois-tu !
Mon ami de circonstance, au sujet duquel j’oubliais parfois soit le prénom, soit le surnom, entama une moue attendue du genre : « Je n’me compromets pas dans ces petits comités complotistes… en théorie. »
« Glitch, tu sais, je passe au « Combo » qu’occasionnellement, le mardi, quoi. C’est pour ce flémard de « Martin la valise en peau de mites », mais c’était un hasard la dernière fois ! »
Cherchant mon équilibre sur ce bubon instable devant faire office de pouf, je lui renvoie un… Comme je te l’avais déjà dit, je passerai à coup sûr chez toi. Reprenant l’idée que j’avais dû laisser de côté en fin de soirée du dit Martin, je le relance et me dis… zut, où en étais-je l’autre soir ?
Oui, Glitch, tu te souviens de cette histoire de plan d’incidence virtuel, etc., etc. ?
Le Glitch m’interrompt avec la mine de : « Te casse pas, j’ai compris. »
« C’est foireux ton idée, quand tant de fric est en jeu. Dès que t’as balisé ton chemin, il y a toujours un « fennec puant » qui aura tout compris et qui t’attendra au tournant. Mais j’ai retenu tes trucs comme les principes d’instrumentation, les données de l’expérience modélisée, la puissance des réseaux, les diagrammes, les graphes machin ? »
« Les Hyper-Graphes. » Une étincelle s’alluma dans mon circuit de satisfaction de filou. Ce type qui ne me connaissait qu’à peine avait accroché à mon discours. C’est par l’intermédiaire d’un ancien du lycée Pierre Lescot que j’eus l’occasion de croiser cet olibrius, une nuit de novembre à l’étage d’une pizzéria de Belleville, lors d’une fête en l’honneur du fils du patron.
Étaient là tous les traficoteurs-bidouilleurs du quartier, et puis le Glitch que venait de me présenter mon acolyte Martin, pour la raison qu’il en avait tellement peur qu’il préféra me présenter à sa place. Il était seulement question de se renseigner sur les tarifs de blanche au cent, et je me retrouvais en moins de deux avec ce gus dans les toilettes face à un paquet d’au moins cinq cents grammes parfaitement emballé. je le savais maintenant, le Glitch était franc du collier.
C’est avec ça que je repris : « C’est du business, donc il faut se comporter en businessman. Je ne te parle pas de faire la nourrice pour quelques sombres charbonneurs, mais d’offrir la garantie d’une véritable multinationale de la planque de matos, vois-tu ! Avec un site d’informations sur le « Dark » et des applis de suivi et tout le tintouin. »
Le Glitch parut scotché, figé dans son jeu de « monarque de la magouille du Canal St Martin », mais incapable de répliquer aux sollicitations de ses troupes.
Réexplique-moi ton plan parce que j’ai du mal à saisir, quoi.
Rassemblant mes esprits, je me dressais sur mes jambes et adoptais une docte attitude, ouvrant les bras tel un maître de conférence. Je lui débitais les cinq grands principes de « l’évidence Anonymus », que j’avais quelque peu manipulés pour l’occasion.
Imagine-toi te comporter en stratège, imagine-toi mettre en œuvre un « potentiel organisateur global », imagine-toi développer un plateau de jeu dont tu es l’initiateur et dont tu connais les moindres arcanes. T’auras toujours un coup d’avance sur tes débiteurs et les cerbères qui les détroussent. Tous les grands empires du Net se sont constitués ainsi.
C’est à voir…
Il est clair que le Glitch, amateur de clarté et de simplicité, restait malgré tout dubitatif devant tant d’assurance, et Je n’en doutais pas.
Je pense que je te dois une sérieuse explication.
Nous sommes sur le terrain de la stratégie, vois-tu ! Pas celle de Clausewitz, mais celle de Clausius, de la thermo-dynamique et du vivant. La première question à se poser, c’est : quelles forces en présence, puis quels sont ses modes d’agir sur le terrain, et enfin laquelle de ces partitions va mener la danse ? Et pour cela, j’ai appris qu’il faut tenir compte des relations structure/fonction.
Imagine-toi que toute chose possède une structure et maintient son existence dans un système par sa fonction en tant qu’élément d’une structure plus vaste. Ainsi, il te faut comprendre le fonctionnement du système thermo-dynamique et des consciences individuelles qui le composent, car c’est le plateau structurel le plus large qui soit. La conscience individuelle est l’élément dans le système dont il faut découvrir la fonction. Peut-être es-tu là pour explorer ton génie stratège, ou as-tu déjà ta vision du problème ? Une conscience quelconque est constituée de « conscience awareness » dotée de son « programme nucléaire » et de… Là, mon interlocuteur était perdu.
Me sors pas tes grands mots, j’ai décroché avant même que t’aies commencé, quoi.
Sans que cela m’étonne, je repris.
La conscience awareness est un concept anglo-saxon. Imagine-toi tout oublier, même le langage, comme si tu étais dans l’état d’un nouveau-né, mais avec toutes tes facultés physiques d’adulte. Tu aurais à nouveau le monde à redécouvrir. L’awareness, c’est la conscience de l’instant seul qu’il te reste quand tu ne sais plus rien. C’est une conscience objectivante qui ne pense qu’à survivre et se trouve partagée entre tous les vivants.
Oui, c’est le truc de base, quoi, l’instinct de survie !
On peut dire ça.
Reprenant.
À cela, tu superposes un champ sémantique lui-même de nature bien physique, comme un train d’ondes, indispensable pour décoller de l’état d’amibe qui serait le tien dans une telle situation, vois-tu ! Je vois plutôt que tu décroches encore. Quand je dis champ sémantique, tu peux y voir un terrain sur lequel tu peux cultiver tes formes d’expression, et là je parle du sens qu’elle prend dans le langage. Cela conditionne la véritable consistance de ta mémoire à long terme, et le tout confondu constitue, dans notre cas d’espèce, la conscience humaine. Capitché ?
Il est clair que le Glitch ne s’attendait pas à ce moment à devoir subir un cours de psychologie cognitive. Une vague réprobation commençait à se dessiner sur son visage. Mais je faisais mine de ne rien percevoir et accélérais le débit.
En prenant une métaphore, ta propre conscience peut, elle-même, être vue dans son ensemble comme une particule en rapport avec son champ ondulatoire qui doit lui être associé, comme cela se doit être en physique quantique et en mécanique des champs. C’est celui d’une conscience qui serait globale, qui représenterait toutes les consciences de l’univers réunies, et qui formerait ce vaste champ de conscience comme un champ blanc résidant sous le champ de Planck. Pour ainsi dire, le tréfonds de l’abîme de l’infiniment petit représente un champ qui n’est pas soumis aux constantes cosmologiques et n’a pas de signification préétablie.
À partir de cet instant, le feeling n’y était plus. Je sentis que le temps imparti était dépassé et qu’il était temps de clore.
Bon, écoute, le Glitch, on remettra ça à plus tard. De toute façon, on se revoit mardi au « Combo », d’accord ?
La raison de tout ce galimatias de micro-techniciens sur les plus cachés recoins de la « Machine vivante » échappait sûrement à l’entendement du Glitch, se demandant quel rapport pouvait-il y avoir entre « comment les choses se font pour penser » et « ce qu’il y a à penser pour faire les choses » ? Peut-être y aurait-il une ficelle à tirer de tout cela, se disait-il !
Moi, Jimmy, petit bonhomme d’un coin de Paris, après le ferrage d’un tel complice comme le Glitch, un lieutenant d’une tribu des plus célèbres de la région, je me sentais grandir en moi-même. J’avais l’impression de grandir comme une petite graine dans le fond d’un trou de semence qui émerge à la lumière cosmopolite de la ville et déploie lentement ses antennes paraboles. J’en absorbais les ondes imperceptibles des vents futurs et du cours des choses de la vie. Je voulais avoir raison sur ce qu’il convenait de faire et de dire. Coûte que coûte, j’y arriverais. « Papa, ce grand prêtre Yoruba du Dahomey savait y faire. » Il savait s’adresser aux Orishas et à Orisha Olorun en particulier pour obtenir ses faveurs et ses enseignements. Il me restait à faire de même. Car après tout, jusque-là, Dieu accepta bien qu’on lui donnât la forme et le nom que l’on voulût, il ne s’en offusqua point, mais il a ses intransigeances qu’il ne faut en aucun cas contrarier. Ayant repris de l’assurance, je continuais le bachotage de mon discours que je nomme en la circonstance un « discours de conviction », et tout en marchant le long du boulevard principal en direction de la maison familiale, je me sentais comme un maître de chaire à l’université. Le fil de ma pensée continuait de tracer et répétait en boucle mon mantra rétro-psycho-physique. Je reprenais mes définitions : « Voyons, imaginons ce champ 𝝭 psi tel un champ magnétique de très haute énergie. Dans ce processus, la particule qui doit toujours lui être associée pour caractériser en physique ce champ n’est en rien détachée de cette onde de fréquence, elle en émane comme une goutte d’eau qui vient rebondir dans l’onde claire, sans jamais vraiment s’en détacher. »
À cet instant, absorbé par mes idées, l’engagement de mon pied sur la chaussée au croisement de la rue « Montorgueil » et de la rue Bachaumont provoqua un concert de klaxons qui me ramena au réel, évitant de justesse la masse métallique d’un véritable « tombereau » déboulant du carrefour, suivi d’un chapelet de deux roues ondulant dans son sillage, me poussant à rebrousser chemin. Une seconde d’introspection me convainquit qu’il fallait redescendre sur terre. Il était temps de rentrer à la maison sans coup férir. Car il y a Ameele, ma chère Ameele, mon irremplaçable sœur, terrible et sublime, qui m’attendait depuis plus d’une heure et, à chaque fois que j’avais un retard, allait me tancer. Elle était déjà fichée au fond du couloir de notre « cocon familial », qu’elle utilise comme un panoptique sur les chambres, l’entrée, toutes les pièces de l’appartement, les fenêtres du voisinage, la rue, le carrefour et que sais-je encore que je ne voyais pas moi-même. Toujours avec des coiffures hyper afro avec plein de cornes partout et sa bobine hésitante entre l’« Ange de la Mouve » et le « Démon des égouts », elle allait me bouffer ! Et à l’instant de mon entrée en scène, elle ironisa…
Quel genre de sales types tu as encore rencontrés ?
Surprit malgré tout de son piquant.
Je… !
Je supposais qu’il valait mieux filer dans ma tanière, je sentais déjà le fluide Pentothal de ma sœur me couler sur la nuque. Je filais comme un courant d’air. « Premièrement, il faut que je reprenne mes notes, parce qu’avec le Glitch et son cerveau de raptous-herbivore, je ne suis pas au bout de le convaincre. » Le Glitch est capable d’écouter, sous réserve qu’on vérifie bien qu’il suive, mais si l’on commence, il faut aller jusqu’au bout de son truc. Il avait la réputation de confondre une affaire avortée avec un coït interruptus, et il n’aimait pas ça du tout !
Sur des tirages laser, éparpillés dans le coin d’un bureau d’écolier étonnamment petit, des stabilotages, des notes de rajouts au crayon, des ratures au marqueur et toute une balistique de trajectoires au stylo-bille animaient l’espace de mes notes et révélaient toute l’ardeur que je mettais à décrypter les faits. Il y était écrit à l’endroit de mon argumentaire en travaux, comme un axiome, qui disait qu’il fallait considérer « Chaque conscience individuelle émanant d’une Ipséité symbolisant une particule unique dans le champ psi comme un élément de la structure du monde. ». Je me souvenais que, selon Albert North Whitehead, étudié en fin de cycle au lycée Pierre Lescot, il était dit que hors de l’expérience d’un sujet conscient, il n’y a rien, rien que le rien. Il n’y a pas de réalité extérieure à la conscience, seulement de l’intérieur combiné par une unique loi universelle de la matière-énergie-temps. La dimension objective du monde, c’est l’ensemble des subjections cumulées, organisées en nexus d’expériences occasionnelles convergeant vers une nouvelle subjectivité, tout en sachant que ce n’est pas la conscience qui précède l’expérience, mais l’expérience qui précède la conscience individuelle et biologique. Lisant cette phrase, je m’imaginais le Glitch grimacer. Il me faut expliquer Ipséité, ainsi je pris sur le site du « Petit Robert » la première explication venue et la rajoutai en paraphe au crayon. « Ipséité » : Ce qui fait qu’une entité est unique et irremplaçable, absolument distincte d’une autre, c’est une singularité. Je repris ma lecture, en me rappelant qu’il s’agissait d’un élément de systémique de Norbert Wiener dans « La seconde cybernétique », qui disait que « Chaque élément constitue une structure nouvelle dès que nous passons de l’échelle de la structure à l’échelle de l’élément ». Sur mon lit, l’ouvrage de Roger Penrose sur la théorie dite « Orchestrated objective reduction (Orch OR) de 1990 » était là, comme posé intentionnellement, pour me rappeler à lui. Il recelait toutes les justifications de mon débordement d’enthousiasme pour cette folle aventure qui débuta le jour de l’annonce à la radio d’une dépénalisation de la consommation de stupéfiants totalement hypocrite, liée à une loi renforçant les peines pour le commerce de ces mêmes produits. Il y avait là un vide juridique de nature idioleptique à totalement exploiter.
Mais il fallut s’assurer avant que le Glitch saisisse bien la nuance entre la sensitivité de l’attention aux signes avant-coureurs de la galère et la sensibilité latente aux ouvertures d’alternatives possibles. En faire la distinction était un peu le sésame des bonnes intuitions que cet allié de circonstance allait devoir développer pour faire face aux conséquences de nos investigations. Sur mes notes, des passages les plus significatifs de l’ouvrage de Penrose racontent que le principe de conscience fonctionne par l’intermédiaire de divers processus, dont un que les scientifiques nomment un nuage de « Bose-Einstein », similaire à une masse de particules à l’état plasma s’exprimant au travers d’une structure relationnelle de fonctions et d’informations cohérentes et harmonisées. Cette configuration traite ses flots de données à la cadence de deux fois vingt hertz, répartie en deux zones cérébrales multiplexées.
Je me figurais, à la lecture de ces lignes, la conscience comme une caméra haute définition à quarante flashes de données à la seconde, mais, comble de la complexité, ce réseau de protéines responsables de la réduction d’ondes provoquant le flash conscienciel est couplé à un autre réseau d’ions de calcium réparti dans le cortex préfrontal, fonctionnant tel un dispositif de liaison transistorisé entre le champ psi sub-quantique et le champ électromagnétique fermionique, conférant au corps physique, par la voie magnétique, la sensation d’exister et le pouvoir d’agir.
De ses lectures scientifiques piochées chez mon oncle, j’en tirais une multitude de conclusions qui me laissaient espérer un petit bout d’avance sur la guigne qui risquait fatalement de s’abattre sur moi et ma famille au cas où l’audace que je me supposais allait advenir, et si je m’engageais enfin dans cette voie sans les précautions minimales. Si j’étais honnête avec moi-même, je pourrais même me dire qu’en toute irresponsabilité, il y aurait depuis une semaine un bon coup à jouer suite aux relations soudaines avec les furtifs yamakasi de la filière thaï du douzième qu’en la circonstance, mes lectures pouvaient bien me servir. Il faut se souvenir que chaque être a le temps d’une vie pour faire l’expérience de l’infini, spatial, temporel, existentiel. Infini des modes d’infini en puissance et en acte. L’infini beauté d’un horizon nécessaire qui s’abîme dans le non-encore déterminé et aussi et surtout un infiniment exploitable des instants présents, qu’à l’occasion j’allais saisir avec le pactole qu’ils étaient supposés contenir, comme quand on fait jaillir de l’eau d’une pierre, quitte à ce qu’advienne ce que pourra.
Tout le mois d’alternance entre Année de Remise à Niveau et « rétro-ingénierie » a été pop-folklo-rock’n roll. Il y avait l’hésitation entre les salles de cours d’ARN et les déménagements incessants de classes en classe. Le changement quasi journalier de l’intitulé des cours de rétro-ingénierie à l’Amphi « Lavoisier », un fondateur du phlogistique, passait par les dénominations d’ingénierie systémique inverse parfois, thermodynamique différentielle le lendemain, rétro-ingénierie des systèmes dynamiques et encore analyse différentielle des systèmes rétro-actifs, avec changement des plages d’occupation de l’amphi que l’on partage avec ceux du pôle « instrumentations en géo-morphogenèse ».
« Avec les annulations de modules, les changements de professeurs, les rumeurs de couloirs sur les prédictions de nouvelles organisations, j’en étais arrivé au point où je saisissais les cours au hasard, en fonction de l’agitation du lieu. Il m’est arrivé de suivre un cours d’amphi en géo-morphogenèse qui disait que l’espèce qui survit est celle qui a sa vitesse de déplacement la plus efficace. »
J’étais absorbé par les études, encouragé en cela par ma sœur bien-aimée. Les semaines passaient, l’esprit occupé par les maths, la physique, la logique combinatoire ne laissant guère de place dans mon imaginaire aux prétentions de réseau du diable de Roland-Marie. Malgré tout, dans mon canapé du balcon, je laissais échapper quelques rêves que je partageais le soir avec Ameele. Ainsi, le fil de mon esprit se déroulait sans perturber l’attention pour aller se dissoudre dans mon lit.
À l’instant où je venais de perdre le fil de mes idées, mon portable-pense-bête vint se rappeler à mes oreilles. Je décroche, long silence, attente d’un interlocuteur six secondes puis …
Salut … « Jo »
Cette voix de basson, je l’a reconnaîtrais entre toutes, « Jauko ! », Jauko le charmeur des cours de récré, il savait toujours où se trouvait sa mèche brune lovant un front savamment bombé en penseur grec. Cela me propulsait dans l’autre univers des camarades du lycée Pierre Lescot, ceux qui ont eu la chance de naître dans les bonnes familles sous tous rapports. Pour ce petit groupe, le soleil semble toujours briller autant dans les âmes que dans les têtes et dans la vie même. Le bonheur qu’ils nous affichaient nous était, à nous les bancals du « Combo », jeté à la figure. Mais « Jauko » était là ! Non pas pour le salut de mon âme, c’était inutile et il le savait, mais parce qu’il avait sûrement besoin de venir se frotter aux plus grands corrupteurs que la terre ait portés, c’est que tous les loulous de cette bande du Combo étaient des chahuteurs de tables devant l’éternel.
Pour eux, rien ne devait être définitif, ayant vécu et participé durant mon parcours scolaire, au contact de ces énergumènes à des événements des plus inavouables dont le lycée se souvient encore, comme des entourloupes sur les copies d’évaluation jusqu’aux revendications contre les nombreux principes et règles de discipline du lycée, j’en avais vu tout leur pouvoir corrosif.
« Jauko », « Houah ! », salut, Que tal, je pensais justement à toi ces temps-ci, vois-tu !
« Hé hé ! Transmission de pensée », « Ta famille ? … »
« Oui, tout le monde va bien ! »
« Jauko », Rémi Pichon de son vrai nom. Le front grec, tout de bonne famille, n’appelait sûrement pas pour des nouvelles. Je savais que pour l’aborder, il fallait faire partie de sa team. Le moindre de ses rapports n’était jamais sans intérêt, et sans interrogations sur les uns et les autres, et chez lui, cela confinait même à la paranoïa. Ses moyens de bonne famille lui avaient permis de jouer les révolutionnaires avec ses potes du lycée qu’il connaissait depuis tout son parcours. Dès le collège, il avait constitué son petit groupe « d’énervés », hormis que le temps et les plaisirs du monde capitaliste avaient fini par adoucir leurs convictions et faisaient d’eux la phalange révolutionnaire du happy hour du Combo, mais la Bête pouvait encore bouger.
Crois-tu aux destinées, mon gars ?
– Euh… ! De ce que je comprends de mes échecs successifs, c’est que si l’on tient compte des principes de causalités, les emmerdements, malgré leurs complexité infinie sont de nature déterministe. Compte tenu de l’inflation de l’espace-temps, le déploiement de l’univers, tout ça. Ce sont des choses parfaitement entendues. C’est comme le déploiement d’un décor pop-up se déployant dans un livre. Dès le premier instant du monde, la partition était déjà écrite, tout du moins le thème et le tempo. Bon, à ceci près que, de ce que j’ai lu aussi, chaque particule dans ce monde, qu’elle soit « inerte » ou non, bozon ou fermion, est comme autant de notes dans une partition et a chacune des capacités d’autodétermination propre, leur permettant de décider de leur hauteur et du moment de leur implication dans la partition du flux d’échange énergétique. Ce qui rend l’« interprétation » de la partition de ce monde finalement modulable et modulée à l’infini, comme une « variation Goldberg » de Bach qui parcourt tout le spectre électromagnétique jusqu’au graviton et joue leur free-style, comme en improvisation, quoi.
Tu veux dire que tout ce que tu fais est toujours en harmonie, quoi que tu fasses ? Le sociologue Régis Debray avait une formule comique pour ça : « Nous passons notre vie à répandre nos Couacs avant le grand Couic ! »
Relativement, oui… Selon le philosophe anglais A. N. Whitehead, toute harmonie effective requiert juste ce qu’il faut de chaos et de flou. Le chaos ne doit donc pas être identifié au mal, car l’harmonie exige la coordination convenable du chaos, du flou, de l’étroitesse et de l’ampleur. Mais cela ne nous suffirait pas à nous créer une histoire personnelle pour autant. Pour ajouter ce qui symboliserait les chants à la partition de ce monde, il faut une histoire en mouvement à raconter, il faut du cœur. C’est pour cela qu’il y a de l’autodétermination dans ce monde, des multitudes de « tropes d’autodétermination » amoureux, comme autant de monades vivantes qui chamboulent la partition à leur niveau pour en faire tout le chant et l’histoire. Le vivant et ses passions, c’est l’histoire du monde, le cœur chantant de l’orchestre, mais aussi le modèle d’un monde comme un théâtre fait d’acteurs étant leur propre théâtre pris dans un « Quaerendo invenietis » de Bach qui les lie et sur la partition duquel laisserait parfois des blancs qui stipuleraient « Cherchez et vous trouverez ».
Et tu te bases sur quoi ?
Pour remplir les blancs ?
Pour ne pas faire de Couacs en Couics dans la partition !
J’improvise, j’observe, j’angoisse et j’improvise à nouveau. Mais je ne sais pas où cela peut me mener. Tu me demandes ça pourquoi ?
-Tu te souviens de Jauris ?
Je m’en souvenais forcément, cette année-là, Jauko m’avait planté après tout un tas de promesses et d’engagements sincères dans nos projets de vacances que nous devions réaliser ensemble, pour finalement disparaître dès les premiers jours. À ce moment-là, après m’être posé mille questions et ayant dû finalement passer à autre chose pour profiter des lieux estivaliers, Jauko réapparut l’avant-veille de notre départ et là, il me balança : « C’était mon binôme dans le rallye de la côte sauvage, l’année de fin d’études, tu te souviens ? On s’était jurés de refaire un truc ensemble et voilà qu’il me contacte pour une super opportunité. »
Je m’en souvenais parfaitement et Jauko me dit : « Il va faire un stage en architecture de l’urgence, il fréquente un collectif tourné vers l’esthétique humanitaire. Ces gens enseignent les techniques des arts décoratifs dans tous les pays du monde et sous toutes les conditions possibles. Du coup, ils nous proposent de tester des techniques pouvant être employées sur les sites à reconstruire. J’ai pensé à toi, qui me parles tout le temps de trouver une idée qui pourrait te propulser au Burning Man de Black Rock City, c’est l’occasion, ça te tente ? »
J’avais tendance à tout accepter sans tenir compte des conséquences, et à cet instant, la proposition était trop alléchante pour y renoncer, mais il me fallait les moyens. Quid du Glitch qui n’allait pas lâcher comme ça une affaire engagée avec le « milieu » thaï du douzième, et vu le petit magot qu’il y avait à ramasser dans cette affaire, la nécessité de rajouter des heures à mes journées commençait à poindre.
Tu me connais, une proposition comme celle-là, je cours. Rien ne remplace l’expérience ! Être en mesure de qualifier un maximum d’éléments de son environnement en fonction de son expérience personnelle devient absolument nécessaire pour avancer l’esprit clair dans le labyrinthe des activités lucratives.
« Je suis ravi que tu le prennes comme ça ! On aura grandement besoin de tes compétences en théorie des systèmes. »
Pour le coup, cela m’encourage à reprendre mon explicatif, impatient de clarifier le fond de mes réflexions sur la question des fulgurances intuitives. Je reprends.
La substance physique et physiologique du Réel émane d’un Tripôle. L’univers est trial !
Un bruit blanc dubitatif émanait du combiné, mais je savais qu’il fallait poursuivre sans en tenir compte.
– Dans les années deux mille de l’ère capitaliste, ai-je repris, il a été mis en évidence, suite à une expérience visant à scinder le champ magnétique pour en isoler un des pôles en un monopôle, que le magnétisme ne peut pas être isolé. Ainsi de manière totalement inattendue, les chercheurs ont obtenu l’émergence d’un troisième champ, nommé champ de torsion qui fonctionne de manière transversal aux pôles positif et négatif. Ce champ a les caractéristiques d’une onde d’échelle qui parcourt la matière de l’infiniment petit vers l’infiniment grand et assure la relation entre les pôles positif et négatif. Pour bien comprendre, Il est représenté par un potentiel neutre contenu entre moins zéro virgule neuf, approchant le moins négatif sans jamais l’atteindre et le zéro virgule neuf approchant l’entier de manière asymptotique, transfiniment, il symbolise un troisième terme de liaison contradictoriel, c’est-à-dire contradictoire et complémentaire simultanément, constituant le centre des forces magnétiques. Il étend son influence vers le potentiel positif d’un côté à partir de l’entier inclus et son pôle négatif de l’autre. Ce champ est de nature fractale parce qu’elle distribue les blocks de forces positive-négative comme telles et se formalise par deux constantes d’échelles découverte par Mitchell Feigenbaum, la constante Alpha de deux virgule cinq cent deux et la constante Delta de quatre virgule six cent soixante-neuf, contenues implicitement dans tous les processus récursifs. Dans la logique de l’énergie exposée par Stéphane Lupasco en mille neuf cent cinquante, le champ de torsion en question représentait la matière T ou matière noire qui à l’échelle cosmique s’exprimait par la constante lambda.
Conclusion, pour bien penser le monde il faut abandonner le réflexe dialectique qui s’avère incomplet et insuffisant si on n’en inclus pas systématiquement un troisième terme contradictoriel de liaison.
Le petit détail qui tue, c’est que ce terme introduit une grave complication pour la résolution des problèmes à trois corps dans les calculs différentiels portant sur l’influence gravitationnelle des objets célestes en milieu non-dissipatif aussi bien que sur ta tribu les jours de complication et paradoxalement, une porte de résolution à ce même problème, CQFD.
J’y réfléchis. C’est le phénomène des multiples relations en « feed back » qui fini toujours en véritable savonnette si on les laisse s’échapper. Dans nos investigations futures quel qu’elles soient, je te l’assure, il faudra en tenir compte.
Et pendant ce temps le monde d’avant, si coercitif, n’en finit pas de livrer sa dernière bataille. Pendant ce temps sur les réseaux sociaux des pauvres d’esprits préconisent l’élimination physique des pauvres en argent et les rancoeurs du passé n’en finissent pas de régurgiter. Après trois régimes illibéraux successifs depuis la dynastie du borgne et cinq mandats usurpés de la coalition des intrigants avait fini par venir à bout du bon sens et de la raison qu’en son temps, Emmanuel Kant appelait de ses vœux. Hormis le cas où l’on se sent au fond de soi un « enfant de la commune », nous préservant le peu de lucidité qu’il nous reste face au sort de l’humanité.
– « Bon, je raccroche », me dit Jauko. Il est dix-huit heures, j’ai pas fini ma journée et j’ai promis aux parents que je serais corporate, ce soir ».
Simultanément, dans un lointain pas si lointain, se déchaînent les passions identitaires. Au local « Bernard Maris » dans le quartier bas de Ménilmontant, un groupuscule des « indigènes de la République » continue l’Agit-prop. Présents, tous les convaincus de la vertu des traditions, il ne reste plus qu’eux pour sauver les apparences d’une quelconque fidélité à un mode de vie ancestral, les suspicieux maladifs du passé colonialiste avec les psychorigides de tout, les sceptiques du vivre-ensemble avec les traumatisés de l’âge de plomb que l’on vient juste collectivement de surpasser et finalement tous ceux qui ont vu de la lumière. Ils ont pris l’habitude de maintenir autant que possible des liens avec les formations sœurs des mouvements contestataires, tous les « Blocks » historiques, les derniers quartons de « Femen », la multinationale « Extinction Rebellion », les derniers des Moïquants de la formation « Géronimo-Besenscenot » qui, depuis leurs retraites, gardent le respect de tous les mouvements gauchistes. Dans une telle configuration, ces mouvements peuvent se comporter comme des « sales gosses ». La « traversée du désert », comme ils commençaient à nommer entre eux les trente-cinq années de régime sec écoulées, avait plongé en hibernation tous ces mouvements humanistes, humanitaires et contestataires qui s’agitaient en vain durant les crises politiques et sanitaires passées. Mais à l’heure de la Renaissance, tous ces mouvements se sont professionnalisés et les indigènes de la République sont encore plus énervés que jamais. Ils ont trouvé le truc de perturber le ronron médiatique en perçant le fameux plafond de verre, le « Tipping point » du réseau, par l’envoi régulier de scuds massifs et ciblés habituels en vue des grands médias tels que « conflit en Palestine-Israël », « traitement de l’immigration », « racisme d’État », « violences policières », jusqu’à adopter pour leurs « mèmes » numériques balancés en masse, des scènes avec peintures tribales, des actions communes avec le « Black Bloc » historique, des torses peints à l’envie, boucliers de papier mâché, jouant toute sorte de « Haka » artistiques pendant les coups de force, cela confine au délire. Dans ce joyeux phalanstère, la figure et le portrait d’Angela Devis dominent. Les filles sont majoritaires et damnent largement le pion aux garçons. C’est l’environnement de « Binta », l’amie d’Ameele, son amie la meilleure de toutes. Des amies qu’Ameele chérit le plus, Binta est bien celle qui a le plus de doutes sur l’idée que l’on doit se faire d’une origine quelconque à quoi que ce soit, elle est là parce qu’elle veut savoir où sont ses vraies amies tout simplement. Mais la cocotte-minute du groupe des indigènes se métamorphosait en réacteur nucléaire. Il était naturel pour Binta de s’éloigner. C’est que Binta a l’intelligence de la sensibilité, la justesse de vue et la notion d’une justice pour l’équité, et c’est avec ces qualités qu’elle allait pouvoir, aux yeux d’Ameele, éveiller mon âme, moi son frère. C’est qu’elles ont toutes deux l’intention de comploter un plan digne des véritables entremetteuses du dix-huitième siècle, elles veulent me faire mon éducation sentimentale et spirituelle.
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