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41- Post-capitalisme et transition anti-tehno selon Theodore Kaczynski .
410- Une société post-capitaliste est une société qui a abouti sur les revendications de genre, aboli la pensée colonialiste, dépassé les a priori sociaux, franchi la conscience écologique, résolu la relation entre la vie intime et le monde public, ainsi que la relation low-tech/high-tech liées à la question climatique. Il nous expose dans un premier temps son point de vue sur la réalité du fait technologique. « Les programmes de réforme sociale du milieu des années 1960 aux États-Unis, conduits par le président Lyndon Johnson, exposèrent l’inexactitude des croyances communes sur les causes et les remèdes des problèmes sociaux tels que la criminalité, la toxicomanie, la pauvreté et la bidonvillisation. Selon les mots d’un réformateur déçu : « Il fut un temps où nous pensions que si nous pouvions extraire les familles à problèmes de ces bidonvilles mortifères, alors papa cesserait de prendre de la drogue, maman arrêterait de courir après lui, et junior n’aurait plus à porter un couteau. Aussi, nous les avons placés dans des appartements neufs avec des cuisines modernes et des centres de loisirs. Mais ils sont encore la même bande de salopards qu’ils ont toujours été. Cela ne signifie pas que tous les programmes de réformes aient été des ratages complets. Cependant, le niveau était si faible qu’il indiquait surtout que les réformateurs ne comprenaient pas les rouages de la société, en tout cas pas assez pour pouvoir résoudre les problèmes sociaux auxquels ils se heurtaient, leurs maigres réussites étant elles-mêmes probablement dues à la chance. » « On croyait autrefois que l’émergence d’un monde véritablement interconnecté via Internet serait un pas en direction de la coopération interculturelle et de l’éveil mondial. À mesure que les sociétés communiqueraient plus librement, l’empathie se développerait, la vérité serait plus facile à trouver et de nombreuses causes de conflits s’estomperaient. L’ère des réseaux sociaux, en d’autres termes, serait une ère de paix et de tolérance. » « Rien de cela ne s’est produit. Internet a au contraire joué un rôle majeur dans le développement de ce que beaucoup appellent une société « post-vérité » ou « post-factuelle », une société dans laquelle il devient toujours plus difficile d’échapper à la tromperie systématique ou de déterminer la vérité objective. Internet sert également d’instrument de mort pour les terroristes, et d’arme pour les dirigeants nationaux peu scrupuleux qui promeuvent intentionnellement des conflits. On pourrait continuer longtemps à citer de tels exemples. On pourrait également citer de nombreux exemples d’actions visant à contrôler le développement des sociétés s’étant avérées fructueuses à court terme. Mais dans de tels cas, les conséquences à long terme pour la société dans son ensemble n’ont jamais été celles que les réformateurs, ou les révolutionnaires, attendaient ou appelaient de leurs vœux. »
411- « Supposons de façon irréaliste que les techniques de manipulation des dynamiques sociales internes soient un jour assez développées pour qu’un seul dirigeant, tout-puissant, ou qu’un groupe suffisamment petit (x < 7) pour ne pas connaître de conflits entre un grand nombre de volontés individuelles en son sein, soit en mesure de diriger une société. La notion de régime autoritaire, gouverné par un seul homme ou un petit groupe de dirigeants, n’est pas aussi farfelue qu’elle n’y paraît pour les citoyens des démocraties libérales modernes. Le monde est plein de personnes vivant déjà sous l’autorité d’un homme ou de quelques-uns, et lorsque la société technologique connaîtra des troubles assez graves, ce qui pourrait bien advenir au cours des prochaines décennies, les citoyens des démocraties libérales envisageront eux aussi des solutions aujourd’hui inconcevables (fenêtre d’ Overton). Pendant la Grande Dépression des années 1930, beaucoup d’Américains, des gens ordinaires, pas des marginaux, furent déçus de la démocratie et se prononcèrent en faveur d’une dictature ou d’une oligarchie. Beaucoup admiraient Mussolini. À la même époque, de nombreux Britanniques admiraient l’Allemagne d’Hitler. La réaction de Lloyd George à Hitler était typique : « Si seulement l’Angleterre pouvait aujourd’hui se doter d’un homme d’une si grande valeur », déclara-t-il. »
Mais revenons-en à notre hypothétique dictateur, à notre philosophe-roi. Aussi improbable que cela puisse paraître, nous supposerons qu’il est en mesure de remédier aux problèmes de complexité, de conflit entre un nombre de volontés individuelles, de résistance des subordonnés, et de compétition pour le pouvoir entre les groupes ou les systèmes qui évoluent dans toute société complexe et étendue. Même en formulant une hypothèse aussi peu plausible, nous faisons face à des difficultés fondamentales.
Premièrement, qui choisira le philosophe-roi et comment sera-t-il placé au pouvoir ? Compte tenu des grandes disparités d’objectifs et de valeurs (conflit entre un grand nombre de volontés individuelles) que l’on trouve dans toute société étendue, le règne d’un seul philosophe-roi ne s’accordera probablement pas avec les objectifs et les valeurs d’une majorité de la population, ni même avec ceux de la majorité de n’importe quel plan des élites (les intellectuels par exemple, les scientifiques ou les riches).
À moins, peut-être, qu’une fois au pouvoir, le philosophe-roi parvienne à accorder les valeurs de la majorité aux siennes, au moyen de la propagande ou d’autres techniques d’ingénierie sociale. Une fois les réalités politiques concrètes prises en compte, il apparaît que notre philosophe-roi devrait soit être un candidat prêt à faire des compromis, un type banal principalement soucieux de n’offenser personne ; soit un chef implacable d’une faction agressive en quête de pouvoir.
– Dans ce dernier cas, notre philosophe-roi pourrait n’être que peu scrupuleux, uniquement préoccupé par l’accaparement du pouvoir (un Hitler), ou bien être un véritable fanatique convaincu de la justesse de sa cause (un Lénine) ; dans tous les cas, il ne reculerait devant rien pour réaliser ses objectifs.
– Le citoyen séduit par l’idée du philosophe-roi devrait donc garder à l’esprit qu’il ne pourrait pas le choisir lui-même, et que ce philosophe-roi ne serait probablement pas comme il l’imagine ou l’espère
412- Un autre problème se pose : celui de la succession du philosophe-roi disparu. Chaque philosophe-roi aurait à présélectionner un successeur fiable, aux objectifs et aux valeurs pratiquement identiques aux siens ; sans quoi, le premier philosophe-roi orientera la société dans un sens, le deuxième dans un sens un peu différent, le troisième également, et ainsi de suite. Finalement, le développement à long terme de la société relèverait plutôt de l’égarement que d’une direction constante ou du sens d’une certaine politique déterminant des finalités souhaitables ou non. Dans toutes les monarchies absolues, l’Empire romain constituant un exemple adéquat, il s’est historiquement avéré impossible de garantir une succession de dirigeants raisonnablement compétents et consciencieux. À de tels dirigeants succédaient des irresponsables, corrompus, vicieux ou incompétents. Quant à l’éventualité d’une succession longue et ininterrompue de dirigeants dont chacun serait non seulement compétent et consciencieux, mais dont les objectifs et les valeurs le rapprocheraient de son prédécesseur, cela n’a strictement aucune chance d’advenir. Au passage, ces arguments valent non seulement pour le philosophe-roi, mais aussi pour les philosophes-oligarques ou groupes dirigeants dont la taille pourrait empêcher la formation de « conflits entre un grand nombre de volontés individuelles », à l’instar des idées d’Engels. Nous pouvons affirmer pragmatiquement et sans risque que le développement des sociétés échappera toujours au contrôle rationnel des êtres humains. » « Jusqu’à présent, les personnes dont on aurait pu attendre mieux continuent d’ignorer le fait que le développement des sociétés ne peut jamais être contrôlé de manière rationnelle. Ainsi voyons-nous souvent des technophiles déclarer des choses aussi absurdes que :
– « L’humanité contrôle son propre destin », « Nous allons prendre en charge notre propre évolution », ou encore, « Les gens vont s’emparer du processus évolutif ».
– Les technophiles veulent « orienter la recherche de manière à ce que les nouvelles technologies améliorent la société ». Ils ont même créé une « Université de la singularité » et un « Institut de la Singularité » censés déterminer les avancées et aider la société à faire face aux ramifications du progrès technologique, à s’assurer qu’elles « améliorent la société » et demeurent favorables aux humains.
413- Bien évidemment, les technophiles ne parviendront ni à déterminer les avancées du progrès technique ni à s’assurer que les améliorations technologiques seront « déterminées » par des luttes imprévisibles et incontrôlables entre groupes rivaux, qui développeront et utiliseront la technologie à seule fin de maximiser leurs avantages aux dépens de leurs concurrents, comme il en a été avec le langage. Il est peu probable que la majorité des technophiles croient pleinement ces âneries de « déterminer les avancées de la technologie pour améliorer la société ». En pratique, l’Université de la Singularité promeut surtout les intérêts de ceux qui investissent dans la technologie, tandis que les fantasmes « d’amélioration de la société » servent à désamorcer la méfiance de l’opinion publique envers les innovations technologiques extrêmes. Une telle propagande n’est efficace que parce que le profane est assez naïf pour croire en toutes ces fantaisies. » Quelles que soient les motivations des projets technophiles visant à « améliorer la société », d’autres programmes de ce genre sont parfaitement sincères. Pour des exemples récents, il faut lire les livres de Jeremy Rifkin et Bill Ivey ou de Gunter Pauli. Il existe bien d’autres propositions apparemment plus sophistiquées que celles de Jeremy Rifkin et Ivey, et tout aussi impossibles à réaliser en pratique. Dans un livre publié en 2011, Nicholas A Ashford et Ralf Hall « proposent une approche unifiée et transdisciplinaire pour parvenir à un développement durable dans les pays industrialisés.
Face au défi de la durabilité, les auteurs plaident pour la conception de solutions polyvalentes intégrant l’économie, l’emploi, la technologie, l’environnement, le développement industriel, le droit national et international, le commerce, la finance, la santé publique, la santé des travailleurs et leur sécurité.
Ashford et Hall ne formulent pas cela à la manière d’une spéculation abstraite telle « La République de Platon » ou « L’Utopie » de Thomas More, ils croient vraiment proposer un programme pratique.
Ainsi de Naomi Klein, qui propose une « planification » massive, élaborée et planétaire, censée permettre de juguler : 1) le réchauffement climatique global, 2) résoudre nombre de nos problèmes environnementaux, 3) nous apporter une vraie démocratie, 4) « Dompter » le monde des entreprises, 5) atténuer le chômage, 6) réduire le gaspillage dans les pays riches tout en permettant aux pays émergents de poursuivre leur croissance économique, 7) favoriser « l’interdépendance plutôt que l’hyperindividualisme, la réciprocité plutôt que la domination et la coopération au lieu de la hiérarchie », 8) « tisser élégamment toutes ces luttes dans un récit cohérent portant sur les manières de protéger la vie sur Terre » et plus généralement, promouvoir un agenda « progressiste » afin de créer un monde sain et juste. L’on est tenté de se demander si tout cela ne constitue pas une sorte de blague sophistiquée ; mais non, à l’instar d’Ashford et de Hall, Klein elle est très sérieuse. Comment peuvent-ils croire un instant que les scénarios qu’ils imaginent pourront se concrétiser dans le monde réel ? Sont-ils totalement dénués de tout sens pratique concernant les affaires humaines ? Peut-être. Mais une explication plus réaliste nous est offerte par Naomi Klein elle-même : « Il nous est toujours plus confortable de nier la réalité que de voir votre vision du monde s’effondrer ». La vision du monde de la plupart des membres de la classe moyenne supérieure, y compris de la majorité des intellectuels, est profondément tributaire de l’existence d’une société étendue, minutieusement organisée, culturellement « avancée » et caractérisée par un haut degré d’ordre social. Il leur est donc extrêmement difficile, sur le plan psychologique, de reconnaître que la seule chose pouvant nous permettre d’éviter le désastre qui se profile serait un effondrement total de la société organisée, une plongée dans le chaos.
414- Ainsi s’accrochent-ils à n’importe quel programme, aussi fantaisiste soit-il, promettant de préserver la société dont dépendent leurs vies et leur vision du monde : et l’on suspecte qu’à leurs yeux, cette dernière possède plus d’importance que leurs propres vies. » « La plupart des versions de l’utopie technologique des technophiles/technolâtres et transhumanisme, entre autres merveilles, comprennent l’immortalité à laquelle ils s’estiment destinés et est envisagée de trois façons. » 1. La préservation indéfinie du corps humain vivant tel qu’il existe actuellement. 2. La fusion homme-machine et la survie éternelle des hybrides en résultant. 3. Le téléchargement des esprits depuis les cerveaux vers des robots ou des ordinateurs, leur permettant ainsi de vivre pour l’éternité dans des machines. « Bien sûr, si, comme nous le prévoyons, le système-monde technologique s’effondre dans un futur proche, personne n’obtiendra aucune forme d’immortalité. Mais même à supposer que nous ayons tort et que le système-monde technologique survive indéfiniment, le rêve des technolâtres d’une vie éternelle demeure illusoire. Indubitablement, il sera un jour techniquement faisable de conserver indéfiniment vivant un corps humain ou un hybride homme-machine. Nous doutons toutefois de la possibilité de « télécharger » un cerveau humain sous forme électronique, avec suffisamment de précision pour que l’entité apparaisse vraiment comme un duplicata fonctionnel de l’original. Néanmoins, supposons que des solutions deviennent techniquement réalisables au cours des prochaines décennies. » « L’aveuglement des technophilolâtres se manifeste notamment dans leur croyance commune selon laquelle tout ce qu’ils considèrent comme désirable sera réalisé dès que techniquement possible. Bien entendu, beaucoup de choses incroyables sont déjà techniquement réalisables, et depuis longtemps, mais ne se font pourtant pas. Des gens intelligents n’ont eu de cesse de ressasser une vieille croyance : « Avec quelle facilité les hommes pourraient rendre les choses bien meilleures qu’elles ne le sont, si seulement ils essayaient tous ensemble ! » Mais les gens n’essaient jamais « tous ensemble », étant donné que le principe de sélection naturelle conduit les systèmes auto-propagateurs à agir principalement en vue de leur propre survie et propagation, en compétition contre d’autres systèmes auto-propagateurs, sans sacrifier aucun avantage compétitif à des fins philanthropiques. Persuadés que l’immortalité, telle qu’ils la conçoivent, pourrait un jour être réalisable, les technophilolâtres en concluent que quelques systèmes auxquels ils appartiennent les garderont indéfiniment en vie, ou leur fourniront de quoi le rester. Aujourd’hui, il serait sans doute techniquement possible de fournir à toute la population mondiale ce dont elle a besoin en matière de nourriture, de vêtements, de logement, de protection contre la violence et de soins médicaux appropriés, si seulement les systèmes auto-propagateurs les plus importants décidaient de se consacrer sans réserve à cette tâche.
415- Mais cela n’arrivera jamais, parce que les systèmes auto-propagateurs sont avant tout préoccupés par l’incessante lutte pour le pouvoir et n’agissent donc philanthropiquement que lorsqu’ils y ont intérêt. C’est pourquoi des milliards de personnes dans le monde souffrent aujourd’hui de malnutrition, sont exposées à la violence ou manquent de ce que l’on considère comme des soins médicaux décents. Cela étant, il serait absurde d’imaginer que le système-monde technologique satisfera indéfiniment les besoins de sept milliards d’humains. Si l’immortalité fantasmée devenait possible, elle ne le serait que pour un minuscule sous-ensemble des sept milliards, une minorité, une élite. Certains technophilolâtres le reconnaissent. L’on peut supposer que bien d’autres le savent aussi, mais refusent de l’admettre publiquement. À l’évidence, il serait imprudent d’informer le public que seule une petite élite obtiendra l’immortalité tandis que les gens ordinaires seront laissés pour compte. Les technophilolâtres supposent bien entendu qu’ils feront partie de cette minorité d’immortels. Il leur est confortable d’occulter que les systèmes auto-régulateurs, à long terme, ne prendront soin des êtres humains, élite comprise, que si cela demeure dans leur intérêt. Lorsqu’ils ne seront plus utiles aux systèmes auto-propagateurs dominants, les humains, élite ou non, seront éliminés. Pour survivre, les humains devront non seulement s’avérer utiles, mais aussi plus rentables à entretenir que tout substitut non humain. Ce qui n’est pas une mince affaire, étant donné que les humains sont bien plus coûteux à entretenir que les machines. On nous rétorquera que beaucoup de systèmes auto-propagateurs, gouvernements, entreprises, syndicats, etc., s’occupent de nombreux individus qui ne leur sont d’aucune utilité : les personnes âgées, les personnes handicapées ou même des criminels condamnés à perpétuité. La raison en est que lesdits systèmes ont encore besoin de la majorité des gens pour fonctionner. Au cours de l’évolution, les humains ont hérité de sentiments compassionnels, les clans de chasseurs-cueilleurs s’épanouissant mieux lorsque leurs membres s’entraident. Tant que les systèmes auto-propagateurs auront besoin d’êtres humains, ils n’auront pas intérêt à offenser les sentiments compassionnels de la majorité utile en traitant impitoyablement la minorité inutile. Cependant, l’intérêt privé des individus compte plus encore que la compassion :
– Les gens rejetteraient farouchement le système s’ils pensaient qu’en vieillissant, ou en devenant handicapés, ils finiraient à la décharge.
– Mais quand toutes les personnes seront devenues inutiles, les systèmes auto-propagateurs n’auront plus intérêt à en prendre soin. Les technophilolâtres eux-mêmes insistent sur le fait que l’intelligence des machines surpassera bientôt l’intelligence humaine. Lorsque cela arrivera, les humains deviendront superflus et la sélection naturelle favorisera les systèmes qui les élimineront, si ce n’est violemment, du moins par une série d’étapes minimisant les risques de rébellion. » Il serait imprudent d’en conclure qu’un mouvement ne peut jamais réaliser des fins abstraites contre une opposition farouche et sans l’appui d’une tendance historique préexistante. Toujours est-il qu’un mouvement sera lourdement désavantagé s’il ne possède pas d’objectif clair et concret. Plus l’opposition est conséquente, plus il importe que le mouvement soit uni et sache concentrer ses capacités sur un seul objectif, ce qui implique, au préalable, de l’avoir clairement défini. Pourtant, même dans les situations où il importe plus que tout de disposer d’un objectif clair. Ils jouent souvent un rôle essentiel dans la détermination et la justification d’un objectif concret. Typiquement, une aspiration à la « liberté » peut motiver et justifier la formation d’un mouvement cherchant à renverser un dictateur. Il découle de l’expérience ordinaire que nous savons tous combien, en général, il est inutile de chercher à changer le comportement des gens en prêchant la bonne parole. En réalité, il serait faux de croire, par exemple, que les enseignements de Jésus-Christ furent assez efficaces pour guider le comportement humain. Les premiers chrétiens semblent avoir essayé de vivre en accord avec les préceptes de Jésus, mais ils n’étaient alors qu’une infime minorité. Le mode de vie des chrétiens se corrompit progressivement à mesure qu’augmentait leur nombre, et lorsque le christianisme en vint à dominer l’Empire romain, peu d’entre eux vivaient encore à la mode du 1er siècle apr. J.-C. Le monde continua comme avant, avec son lot de guerres, de convoitise, de cupidité et de trahison.
416- En contrepoint, les doctrines chrétiennes étaient régulièrement réinterprétées afin de s’accorder avec la société existante. Ainsi, l’interdiction biblique de « l’usure » interdisait originellement tout prêt d’argent en échange d’intérêts. Cet interdit fut souvent violé, du moins jusqu’à la fin du Moyen Âge, où il devint un obstacle sérieux au développement économique. Alors, il fut totalement abandonné et, de nos jours, rares sont les chrétiens qui affirment que leur religion interdit le prêt à intérêts. Jésus lui-même, si tant est que les Évangiles reflètent fidèlement sa pensée, s’opposait à toute accumulation de richesses. Les premiers chrétiens essayèrent sans doute de vivre en conséquence, car tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu et le déposaient au pied des apôtres, et l’on faisait des distributions à chacun selon qu’il en avait besoin. Mais cela ne dura pas. Au début du IIe siècle apr. J.-C., il se trouvait déjà des chrétiens fortunés, que l’Épître de Jacques condamnait au motif qu’ils n’aidaient pas leurs pauvres frères. Au cours des siècles suivants, le nombre de chrétiens riches augmenta, dont beaucoup étaient cupides et indifférents à la pauvreté. Aujourd’hui, aux États-Unis du moins, il est clair que la majorité des chrétiens se soucie moins que la gauche majoritairement non chrétienne de faire reculer la pauvreté. En Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, il est souvent estimé que le christianisme aurait engendré un apaisement, un déclin de la cruauté et de la violence. Jésus est communément perçu comme un pacifiste. En vérité, le commandement de Jésus, « Tu ne tueras point », ne fut jamais pensé en vue d’interdire tout homicide, mais seulement d’empêcher le « meurtre », c’est-à-dire l’homicide injustifiable. Dès lors, les sociétés chrétiennes déterminèrent leurs propres définitions, en accord avec leurs propres besoins, de ce qui constituait un homicide « injustifiable », comme elles l’auraient fait si Jésus n’avait jamais existé. En Europe, le christianisme connut son apogée au Moyen Âge, époque particulièrement cruelle et violente. Le déclin de la cruauté et de la violence coïncide donc plutôt avec le déclin progressif du christianisme du XVIIe siècle à nos jours. Il ne semble donc pas que les enseignements de Jésus aient eu, à cet égard, le moindre effet perceptible sur le comportement humain. Si Marx n’avait pas existé, il y aurait tout de même eu des révolutionnaires, qui auraient fait d’un autre penseur socialiste leur saint patron. Le cas échéant, la terminologie et les détails rhétoriques auraient différé, mais les événements politiques subséquents n’auraient certainement pas beaucoup varié, étant donné qu’ils ne découlèrent pas des théories marxistes, mais de la conjonction de conditions « objectives » et de décisions prises par les organisateurs des révolutions socialistes. Ces hommes d’action étaient moins guidés par Marx que par les exigences pratiques de la révolution.
417- Mais de tels penseurs ne contredisent pas le principe selon lequel la promotion d’idées ne peut, en soi, produire de changements d’importance et durables dans le comportement humain. Néanmoins, il convient de noter quelques exceptions. Les jeunes enfants sont hautement réceptifs aux leçons prodiguées par leurs parents ou par d’autres adultes qu’ils estiment, et les principes inculqués à un enfant peuvent influencer son comportement pour le reste de sa vie. Toutefois, il est probable que tous les mouvements radicaux n’attirent pas de la même manière des personnes aux objectifs différents des leurs.
– Un mouvement illégal et persécuté, en raison du risque personnel qu’impliquerait le fait d’y participer, attirera sans doute peu d’illuminés et de bien-pensants, mais plutôt des aventuriers en quête de danger, de complots ou de violence.
– Un mouvement pleinement engagé dans une rude bataille, doté d’un but unique, spécifique et clairement défini, risque peu d’attirer des individus indisposés à se consacrer sans réserve à cet objectif.
– Quoi qu’il en soit, même si un mouvement doté d’un objectif simple, concret et clair choisissait d’accueillir de nombreuses personnes aux buts vagues et divers, son objectif pourrait demeurer inchangé, à condition qu’il s’y consacre exclusivement. Par exemple, la plupart des premières figures féministes semblent avoir été des réformatrices professionnelles proches de diverses causes telles que la sobriété, la paix, le pacifisme, l’abolition de l’esclavage, le racisme et les causes dites « progressistes » en général. Pourtant, vers 1870, une fois le mouvement féministe clairement organisé autour de l’objectif unique et primordial du suffrage féminin, il semble lui être demeuré entièrement fidèle, jusqu’à l’instauration dudit suffrage dans les années 1920. Même des révolutionnaires sincères peuvent céder aux sirènes du pouvoir lorsque le mouvement devient trop puissant. « L’histoire des héros de la libération montre qu’en prenant fonction, ils sont amenés à interagir avec de puissantes entités : ils peuvent alors facilement oublier qu’ils ont été hissés au pouvoir par les plus pauvres des pauvres. Ils perdent souvent leur lien avec le réel et se retournent contre leur propre peuple ». (Nelson Mandela) D’une manière générale, il est rare, tant dans la pratique d’une modification de la nature que dans celle d’une modification de la société, que les idées, théories ou projets préalablement élaborés par les hommes se trouvent réalisés sans subir le moindre changement. Dans une telle situation, par suite de l’apparition de circonstances imprévues dans la pratique, les idées, théories, plans ou projets se trouvent partiellement et parfois même entièrement modifiés. En d’autres termes, il arrive que les idées, théories, plans et projets tels qu’élaborés à l’origine ne correspondent pas à la réalité, soit partiellement, soit totalement, et se trouvent être partiellement ou totalement erronés. Bien souvent, c’est après des échecs répétés que l’on réussit à éliminer l’erreur, à se conformer aux lois du processus objectif, à transformer ainsi le subjectif en objectif, c’est-à-dire à parvenir, dans la pratique, aux résultats attendus. S’il s’agit d’un mouvement social, les véritables dirigeants révolutionnaires doivent non seulement savoir corriger les erreurs qui apparaissent dans leurs idées, théories, plans et projets, mais aussi, lorsqu’un processus objectif progresse et passe d’un degré de son développement à un autre, être aptes, eux-mêmes et tous ceux qui participent à la révolution avec eux, à suivre ce progrès et ce passage dans leur connaissance subjective, c’est-à-dire faire en sorte que les nouvelles tâches révolutionnaires et les nouveaux projets de travail proposés correspondent aux nouvelles modifications de la situation ». « Si les révolutionnaires n’ont pas cessé de faire leur travail convenablement, ils devraient pouvoir s’attirer un large soutien malgré tous les risques et difficultés qu’implique le projet révolutionnaire. Sachant que ce n’est pas toujours la majorité physique qui est décisive : au contraire, c’est la supériorité de la force morale qui fait pencher la balance politique » (Simon Bolivar). Dans l’éventualité d’une faillite suffisamment sérieuse de l’ordre social existant, la plupart des gens perdront tout respect et toute confiance à son égard, et feront donc peu d’effort pour le défendre.
418- Alinsky affirme « les temps sont mûrs pour la révolution lorsque bon nombre de nos concitoyens ont atteint le point de désillusion vis-à-vis des valeurs et manières passées. Ils ne savent pas ce qui fonctionnera, mais savent que le système en vigueur est autodestructeur, frustrant et sans espoir. Ils n’agiront pas pour le changement mais ne s’opposeront pas fermement à ceux qui le font ». Dans de telles circonstances, beaucoup seront désespérés, apathiques et passifs, tandis que la plupart des autres se préoccuperont uniquement de sauver leur peau et celles de leurs proches. La structure de pouvoir existante, désorganisée, désorientée et minée par des conflits internes, ne réussira sans doute pas à organiser et diriger quelque minorité encore désireuse de défendre le système. Par conséquent, si les révolutionnaires parviennent efficacement à inspirer, organiser et diriger leur propre minorité, ils détiendront la part décisive du pouvoir.
1- L’organisation anti-technologie pourrait trouver des recrues convenables parmi les membres des groupes écologistes radicaux.
2- Si un membre de l’organisation anti-tech parvenait dans le comité éditorial d’un périodique, un « Earth First Journal », il pourrait en influencer le contenu. Si une majorité d’individus anti-tech étaient placés dans ce comité éditorial, ils seraient de facto en mesure de prendre le contrôle du périodique, de limiter son contenu gauchiste, et d’en user systématiquement afin de propager les idées anti-technologie.
3- Si une organisation anti-technologie décidait d’entreprendre une action concernant un enjeu environnemental, et si elle possédait l’influence dans des groupes écologistes radicaux, alors elle devrait être capable de s’assurer le soutien et la coopération de ces groupes en vue de réaliser l’action en question.
4- Dans certains cas, les révolutionnaires-transitionneurs anti-tech pourraient pleinement s’emparer d’un groupe écologiste radical et le transformer en groupe anti-technologie. On pourrait alors s’attendre à ce que les gauchistes s’en écartent, et qu’à leur place soient attirées des recrues déjà sensibles à la perspective anti-tech.
5- Travailler au sein de groupes d’écologistes radicaux pourrait fournir aux révolutionnaires-transitionneurs anti-tech une formation et une expérience précieuses en matière de travail organisationnel et de direction.
6- Lorsqu’une grave crise surviendra au sein du système, le pouvoir et l’influence accumulés par les révolutionnaires-transitionneurs anti-tech au sein des groupes d’écologistes radicaux seront utiles à l’effort d’organisation de masse. Une organisation révolutionnaire anti-tech aura besoin d’une section ou d’un comité dédié à l’étude de la technologie, au fait de son développement, et pas seulement dans l’optique de l’attaquer politiquement. L’organisation doit aussi être capable d’utiliser la technologie en vue de réaliser ses propres objectifs.
419- Tout le monde sait qu’aux États-Unis, les forces de l’ordre et les services de renseignement ont longtemps fait usage des écoutes téléphoniques, souvent illégalement, pour surveiller les plans et les activités de groupes qu’ils jugeaient suspects. Mais de nos jours, l’écoute téléphonique est obsolète. Il existe des techniques d’écoute bien plus sophistiquées, ainsi que d’autres outils d’espionnage aussi omniprésents que les caméras de surveillance, la technologie de reconnaissance faciale, des drones de la taille de colibris et des machines lisant les pensées.
Aux États-Unis, les écoutes ou les espionnages mis en place par les agences gouvernementales, à moins d’être autorisés par une cour de justice, violent l’interdiction des perquisitions injustifiées qui figure dans le « Quatrième amendement » et sont donc illégales.
Plus important encore, le remplacement des humains par des machines progresse rapidement dans l’armée. Actuellement, les soldats humains et les policiers sont encore nécessaires, mais étant donné l’accélération du développement technologique, il est possible que d’ici quelques décennies la police et les forces militaires soient majoritairement composées de robots. Ces derniers seront probablement insensibles à la subversion et n’auront aucun scrupule à battre des manifestants. Bien entendu, la technologie peut également être utilisée par les rebelles, contre le pouvoir. Ainsi, une révolution future ne se déroulera probablement pas de la même manière que les révolutions passées et contemporaines. Au lieu de quoi, son issue dépendra fortement de manœuvres technologiques, tant de la part des autorités que des révolutionnaires-transitionneurs anti-tech. Il importe donc que les révolutionnaires-transitionneurs anti-tech disposent de compétences technologiques. Les armes nucléaires ne représentent probablement pas l’aspect le plus dangereux de la technologie moderne, qui correspond plutôt aux remèdes susceptibles d’être adoptés pour faire face au réchauffement climatique. Les nations sont lourdement incitées à éviter l’usage d’armes nucléaires, du moins à grande échelle, étant donné que cela relèverait probablement du suicide. Cela ne veut pas dire qu’une guerre nucléaire n’aura jamais lieu. Au contraire, ce risque est bien réel. Mais la probabilité d’une guerre nucléaire majeure dans un avenir proche n’est pas très élevée. En revanche, il est presque certain que les États ne réduiront pas leurs émissions de dioxyde de carbone à temps pour empêcher le réchauffement global de tourner au désastre (syndrome « Don’t look up »).
Au lieu de quoi, ce dernier sera maîtrisé par la « géo-ingénierie ». C’est-à-dire que le climat terrestre sera artificiellement géré afin de demeurer dans des limites acceptables. Parmi les nombreux outils proposés pour la gestion du climat, trois exemples peuvent ici être mentionnés :
(i) De la poudre de fer peut être larguée dans les océans en vue de stimuler la croissance du plancton, afin qu’il absorbe le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère.
(ii) Des microbes ou d’autres organismes peuvent être génétiquement modifiés pour absorber le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère.
(iii) Le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère peut être séquestré et stocké dans des réservoirs souterrains de manière permanente. Toute tentative de géo-ingénierie impliquera un haut risque de catastrophe immédiate. La géo-ingénierie fait passer le problème de la défense antimissile pour simpliste. Il faut qu’elle fonctionne parfaitement, et dès la première fois. Les nouvelles solutions technologiques doivent habituellement être corrigées à plusieurs reprises par essai et erreur : elles fonctionnent rarement « parfaitement, et dès la première fois », c’est pourquoi les gens sensés considèrent plutôt la géo-ingénierie comme une chose à craindre. Mais supposons qu’elle puisse fonctionner du premier coup, et parfaitement. Même ainsi, tout porte à croire qu’elle engendrera des conséquences catastrophiques à long terme. Premièrement : les tentatives de gestion de l’environnement ont presque toujours des conséquences indésirables, imprévues. Pour les corriger, il devient alors nécessaire de l’altérer plus encore : ce qui provoquera d’autres conséquences inattendues… et ainsi de suite. Essayer de résoudre nos problèmes en bricolant l’environnement ne fait qu’empirer notre situation.
Deuxièmement : pendant des centaines de millions d’années, les processus naturels ont permis au climat terrestre et à la composition de l’atmosphère de rester dans des limites autorisant la survie et l’évolution des formes de vie complexes. Au cours de cette période, le climat terrestre changea parfois suffisamment pour causer l’extinction de nombreuses espèces, sans devenir extrême au point d’éliminer toutes les formes de vie les plus complexes. Lorsque les humains auront pris en charge la gestion du climat terrestre, les processus naturels qui, jusqu’ici, faisaient en sorte que le climat se maintienne dans des limites supportables ne seront plus en mesure d’exercer cette fonction. Le climat deviendra entièrement dépendant de la gestion humaine. En tant que phénomène mondialisé, le climat ne saurait être dirigé par des groupes locaux indépendants ; sa gestion devra être organisée à l’échelle mondiale, en recourant à des moyens de communication rapides et mondialisés. Pour cette raison, notamment, la gestion du climat de la Terre dépendra de la civilisation technologique. Mais c’est de la pure science-fiction.
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