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Le Fouriérisme au XXIe siècle
Le fouriérisme est l’ensemble des idées économiques, politiques et sociales de Charles Fourier et de ses disciples. Les contemporains politiques, puis les érudits, ont ensuite associé l’ensemble des idées de Fourier à une forme de socialisme utopique, nous dit Wikipédia
À noter : Inculquée dès le berceau, la solidarité n’est pas la seule valeur à partir de laquelle il est loisible de lire l’œuvre de Charles Fourier et Claude Godin, non seulement à travers leurs multiples écrits, mais aussi et surtout au prisme de leurs réalisations concrètes. La juste reconnaissance des mérites est une autre exigence que chérit particulièrement le capitaine d’industrie socialiste Claude Godin. À l’instar de Charles Fourier, celui-ci estime que la véritable égalité ne consiste pas à fournir à chacun une part égale mais à offrir des ressources en fonction des besoins. Le travail, que Godin tient pour le « principal aspect de la vie sur la terre », est un terrain particulièrement fertile pour décliner et expérimenter une telle idée.
« Lui seul avait eu la force de concevoir la possibilité d’un ordre nouveau » (Jean Jaurès). Il est assez curieux en effet que Charles Fourier, qui s’affirme résolument « à l’écart absolu » parce qu’il applique « le doute absolu », ait non seulement créé un système sans pareil, mais suscité un mouvement de pensée diffus et de nombreux essais de réalisation. Le fouriérisme englobe à la fois une théorie qui prétend expliciter et orienter, selon « le juste essor », les relations naturelles des hommes ou le dynamisme des choses, et le retentissement réel de ce modèle théorique, en France et bien au-delà, en Russie notamment et aux États-Unis. Il comporte deux aspects : le fouriérisme pratiqué, c’est-à-dire les diverses mises en application tentées, et le fouriérisme écrit ou la formulation du modèle d’« Harmonie » par Fourier et les gloses de ses disciples.
Ce personnage, en marge de la culture traditionnelle et du pouvoir, « sergent de boutique illitéré » (dit-il), a provoqué des commentaires sans fin et des essais pratiques qui sont loin d’être tous dénombrés ; certains, en effet, furent trop limités et brefs pour avoir laissé des traces, d’autres sont difficiles à situer car ils se rattachent à la « doctrine sociétaire » en « mode composé » : c’est ainsi que les plus amples résonances de l’œuvre de Fourier, sur le mouvement coopératif en particulier, se firent par l’intermédiaire de disciples actifs.
Et, cependant, Fourier est encore méconnu. L’amas d’articles et de livres écrits sur lui n’éclaire pas sa pensée et les épreuves du système sont restées partielles et marginales. Du grand intérêt que lui portèrent Marx et Engels, on a retenu la critique : on le qualifie d’utopiste et l’on apprécie tout au plus son attaque contre le « commerce mensonger » et les mœurs hypocrites. En fait, s’il atteint la société à son défaut, s’il marque la « civilisation » au fer rouge (elle couvre de ses beaux principes, dit-il, « indigence, fourberie, oppression, carnage »), c’est qu’il sait comment tout reconstruire. Son projet est critique dans la mesure où il supplée au réel ; la découverte des nouvelles assises du monde et la fureur de renversement vont de pair. Or Fourier croit atteindre, en deçà des avatars historiques, un invariant humain : notre « nature intentionnelle » ou « passionnelle ». Muni de ses cinq sens et des passions affectives, il départage l’évidence : celle de la raison s’effrite ; l’autre au contraire, relevant de la sensibilité, récuse le monde inhumain édifié au cours des siècles et se montre capable de recréer l’univers. Rien ne résiste à la « baguette enchantée » de « l’attraction passionnelle » : tout est métamorphosé, le travail, la police, l’amour, la vieillesse et jusqu’aux « désordres des climatures », la glace des pôles, l’amertume des mers ou les étoiles de notre « ciel de nuit ».
Une pensée sauvage
Il n’est pas surprenant qu’une telle pensée sauvage, qui combine l’analyse minutieuse des secrets du désir et les considérations encyclopédiques ou cosmogoniques, ait trouvé d’amples échos en des temps proches encore de la Révolution. Fourier, ce provincial né à Besançon en 1772, reprend le souffle de liberté renversant les vieux mondes et prolonge, en imagination, la grande vacance des institutions, pour rebâtir tout à neuf. Révolutionnaire brut et total, il ne met pas seulement en question les lois ou l’organisation du travail, mais la morale et toutes les valeurs civilisées. Aussi hardi que Sade, dont il est comme le contrepoint positif, il devançait de loin ses compagnons de bonne volonté, qu’il déroutait par ses extravagances, car l’« écart absolu » ne va pas sans dérèglement possible : certes, il fait retour sur lui-même avec une étrange lucidité, mégalomane inspiré, certain que ses créations les plus fantastiques indiquent la réalité de quelque autre chose : « Preuve que savent rien inventer, prennent figure à la lettre », note-t-il. Mais il n’est pas facile de comprendre tous les aspects d’une œuvre qui concilie le principe de réalité et l’imagination, le désir et les sciences exactes, d’autant que, sur deux questions essentielles, les séries et le « plein essor » de l’amour, Fourier ne publia pas les points d’aboutissement de sa pensée.
À sa mort (en 1837 à Paris), il légua tous ses manuscrits à Victor Considérant et à ses disciples dits orthodoxes, comme on lance une bouteille à la mer. Ceux-ci, en effet, « malgré toute leur orthodoxie », observe Marx, « sont exactement les antipodes de Fourier, des bourgeois doctrinaires ». Ils ont réduit la théorie à leur mesure, tendant à la présenter comme un jalon de la pensée sociale et économique. Mais ils se heurtèrent aux disciples « dissidents », acharnés à faire un essai du système. Leur différend éclata même à l’occasion des funérailles de Fourier. Les opposants protestèrent contre la cérémonie religieuse : « Nous repoussons d’auprès du corps de notre Maître ce culte dont les cérémonies consacrent la croyance au péché originel, ou vice natif de l’homme », alors que, pour Fourier, il n’y a de péché qu’historique ; « le véritable péché originel », dit-il, « ce fut l’asservissement du premier esclave, car il se perpétue : les enfants des esclaves furent eux-mêmes esclaves » ; et, jusque dans « les bagnes mercantiles » de la société civilisée, il faut pour s’en libérer échapper à l’hypnose du passé, transformer les rapports d’exploitation en échanges réciproques et la domination des uns sur les autres en faveur mutuelle.
C’est aux orthodoxes, néanmoins, que revint le soin de publier les inédits de Fourier. Ils le firent « avec si peu de méthode rigoureusement critique et, d’autre part, avec tant de préoccupation doctrinale qu’ils ne donnèrent presque jamais la reproduction fidèle des textes », écrit H. Bourgin. D’ailleurs, si Victor Considérant et ses amis publièrent les textes relatifs aux séries, au commerce, à l’analogie, ils se gardèrent bien d’éditer les cinq cahiers manuscrits qui constituent le Nouveau Monde amoureux, l’analyse des amours d’Harmonie et des « passions infinitésimales », ou perversions (Fourier dit « manies ») ; ce texte, essentiel à l’intelligence de l’œuvre, car il montre en quelle réalité psychique et fantasmatique elle s’enracine, est resté inédit jusqu’en 1967.
Pour Raymond Queneau, « l’intime alliage de la poésie et des mathématiques donne son sens le plus profond et les fondations les plus fermes à la « folle » entreprise de libération qui fut celle de Fourier », mais si la « poésie » est l’expression de ce que nous sommes et que nous ignorons, elle se confond avec le déchiffrage de nos désirs refoulés ou méconnus. Or ces désirs ont été réfrénés parce qu’ils menaçaient l’ordre établi. Leur donner libre cours, c’est accepter de rompre la cohérence des lois, et dépasser toutes les certitudes de la raison. L’irruption des passions inavouables rompt et discrédite l’ordonnance sociale du passé, elle instaure l’insolite dans le quotidien. Mais franchir l’interdit ne provoque un scandale insupportable que si l’acte de rébellion reste isolé. Il ne peut avoir, en ce cas, qu’une valeur critique négative ; au contraire, le « plein essor » de toutes les passions individuelles tend à un nouvel équilibre, il appelle des structures inconnues et l’« ordre sériaire » répond précisément à cette exigence. L’« alliage » de la poésie et de la science se fait si intime que le mouvement du désir emporte la loi elle-même dans son dynamisme. La « théorie des groupes », dit Fourier, ou les « moduls » (sic) d’Harmonie n’empruntent pas leur modèle aux mathématiques constituées, mais fournissent aux savants « l’indice de méthodes nouvelles ».
DESCRIPTION DU PHALANSTÈRE
Pour Fourier, l’homme est mû par douze passions : cinq (sensitives) qui se rapportent aux cinq sens, quatre (affectives) qui assurent les rapports entre individus (l’amitié dans l’enfance, l’amour dans l’adolescence, l’ambition dans la maturité, le « familisme », c’est-à-dire le sens de la famille, dans la vieillesse), trois enfin (distributives) qui sont fondamentales, et qu’il met à la base du lien sociétaire : la passion d’intrigue, de rivalité, qu’il appelle la cabaliste, ou contrastante ; la passion opposée, qui pousse à l’accord et à la coopération – la composite, ou exaltante ; enfin la passion de la diversité et du changement, qu’il dénomme joliment la papillonne, ou alternante. Toutes ces passions étant synthétisées par une treizième, l’harmonique.
La combinaison de ces passions, qui doivent toutes être satisfaites, et non pas réfrénées, permet de former des séries de groupes humains. De ces prémisses, Fourier tire deux conclusions. Sur le plan sexuel, liberté totale : « Toute femme pourra avoir simultanément, si tel est son goût, un époux, un géniteur pour avoir des enfants, un favori pour vivre dans sa compagnie, et de simples possesseurs. » Au libre exercice de toutes les formes d’amour, Fourier, qui ne redoute pas d’enrichir son vocabulaire, donne le nom de « mœurs phanérogames ».
Sur le plan social, création de sociétés- de production et de consommation, où les hommes volontairement réunis travailleront et vivront dans la joie. Ces groupements seront des « phalanstères » : le mot associe la phalange et le monastère. Ils évoqueront vaguement les villages de coopération imaginés par Robert Owen, mais avec un luxe de précisions méthodiques dans lequel se marient l’arithmétique et la poésie chères à Fourier.
Le site, d’abord : le phalanstère sera construit « dans un pays pourvu d’un beau courant d’eau, coupé de collines, propre à des cultures variées, adossé à une forêt ». Le domaine, ensuite : quatre cents hectares avec bâtiments de ferme et établissements industriels permettant à l’association de vivre en autarcie. Le phalanstère lui-même, enfin : un palais élégant et commode, de la plus belle symétrie, tenant de Versailles et du grand hôtel de ville d’eaux : trois niveaux de cent soixante-deux fenêtres chacun en façade, sept grandes cours intérieures avec des bâtiments à cinq niveaux ; un beffroi de huit étages, la « tour d’ordre », siège du télégraphe, de l’horloge et des signaux chargés de transmettre les instructions aux travailleurs disséminés dans la campagne ; une bibliothèque, un théâtre, une bourse, une galerie pour les expositions, des salles d’études, des réfectoires… Fourier dessine lui-même les plans du phalanstère-modèle, « palais sociétaire dédié à l’humanité ».
Doivent y vivre 1 620 personnes, soit 810 de chaque sexe, correspondant aux séries des différents caractères humains. Les repas sont pris en commun, mais peuvent être servis, si on le préfère, dans les chambres individuelles. Ils comportent sept menus, conformes aux exigences de la « gastrosophie ». La cuisine centrale met en appétit.
Toute la phalange travaille : mais tous les travaux sont attrayants. D’abord parce que, selon les exigences de la papillonne, aucun ne dure plus de deux heures. Parce que chacun choisit celui qui répond le mieux à ses affinités, dans la série qui lui est le plus sympathique. Mais aussi parce qu’ils relèvent surtout du jardinage et de l’artisanat rural : horticulture, arboriculture, aviculture, apiculture, pisciculture. Il y a des « cerisistes », des « fraisistes », des « poiristes ». On ne cultive pas de blé, on ne mange pas de pain chez Fourier : il préfère les fruits et les confitures.
Mais les travaux sales, les travaux répugnants ? La réponse est toute simple : les enfants ont un goût particulier pour ce genre de besognes. Une fois sortis des pouponnières pour « bambins, chérubins et séraphins », mobilisés en « petites bandes » et en « petites hordes », ils accompliront avec volupté les tâches qui éclaboussent ou qui barbouillent.
Si le phalanstère est bien une communauté, il ne prétend pas à instaurer l’égalité : il est ouvert aux riches et aux pauvres, qui, répartis en cinq classes, peuvent y vivre selon leurs moyens, dans des pièces plus ou moins grandes, en prenant des repas plus ou moins raffinés, un peu comme feraient les clients d’un hôtel qui comporterait plusieurs tarifs et plusieurs catégories de régimes. L’inégalité, pour Fourier, « entre dans le plan de Dieu ». Mais, en offrant à tous les mêmes services collectifs sous le même toit, le phalanstère vise à rapprocher les esprits et les cœurs.
Juridiquement, et bien que cette formule soit encore rare lorsque Fourier la retient, le phalanstère est une société par actions. Il reste une entreprise de type capitaliste, dont les bénéfices seront répartis à raison de 4/12 au capital, de 5/12 au travail, de 3/12 au talent. Aux investisseurs, on promet même des dividendes plantureux : de 30 à 36 % de leur mise, ou, s’ils préfèrent un intérêt fixe, un peu plus de 8 %. Qui dit mieux ?
La liberté sauvegardée, le salariat aboli, le commerce et la monnaie éliminés à l’intérieur du phalanstère, l’« harmonie parfaite » instaurée en son sein : telle est l’œuvre d’un « grand poète » (dira Michelet), telle se présente « l’Arcadie d’un chef de bureau » (dira Emile Faguet). Mais cette Arcadie, pour Fourier, ne doit pas être une Utopie. Elle est réalisable. Elle sera réalisée.
Sources du texte : Wikipédia, Solar Soliane


L’Album du familistère
Les éditions du familistère

Le Familistère de Guise a été fondé il y a 170 ans dans une petite ville de l’Aisne par un ancien ouvrier, Jean-Baptiste André Godin (1817-1888). Le Palais social est toujours habité et l’usine continue à produire les fameux poêles « Godin ». Les écoles, le théâtre et les jardins ont conservé leur vocation d’origine. Le Familistère est désormais aussi un musée de site et un lieu culturel original. Hier comme aujourd’hui, des visiteurs nombreux font le voyage vers cette utopie concrète pour en comprendre la portée et pour continuer à croire en la possibilité d’une société plus juste. 44 auteurs, 700 images pour découvrir l’une des plus importantes expérimentations sociales du monde contemporain.
- Éditeur : Les éditions du familistère
- Relié : 720 pages
- Langue : Français
- ISBN-10 : 2951679149
- ISBN-13 : 978-2951679146